A l'heure où la problématique de l'adéquation formation-emploi alimente le chômage, le choc des générations entrantes sur le marché ne donne pas forcément l'assurance et même aux meilleurs de bien évoluer dans l'entreprise marocaine. Conscientes de ce nouveau phénomène les universités et les grandes écoles offrent désormais des outils et des conseils aux jeunes lauréats pour accroître leurs chances dans leur réussite professionnelle. L'éclairage de Ikram Sefiani, docteur en économie, consultante-coach et enseignante en ressources humaines au sein de l'Université Internationale de Casablanca, est édifiant à plus d'un titre. Aujourd'hui et à l'échelle du globe, l'initiative d'organiser des Job Fair au sein des établissements s'impose de fait. Pouvez-vous nous en rappeler les enjeux ?
Ikram Sefiani: Effectivement, au fil des expériences et au vu des retombées positives constatées de par le monde, les Job Fair sont devenus des événements annuels incontournables, attendus tant par les étudiants que par les opérateurs économiques ; les premiers cherchant pour la majorité d'entre eux à établir leur premier contact avec le marché de l'emploi, les seconds soucieux de communiquer autour de leurs besoins en recrutement et d'attirer vers eux des profils spécifiques. Cette approche s'avère particulièrement intéressante lorsque l'on sait que l'une des causes principales de non convergence des besoins/demandes est liée à un manque d'information, de préparation et de ciblage chez les jeunes lauréats ou juste à une problématique de « timing » de dépôt de candidature. Les entreprises ainsi que les cabinets de recrutement reçoivent quotidiennement des dizaines, voire des centaines de dossiers de candidatures, qu'elles n'ont pas toujours ni le temps ni les moyens de traiter. Au Maroc principalement et compte tenu de la problématique de l'adéquation formation-emploi, cette initiative est plus que souhaitable. Quels sont les moyens mis en œuvre pour donner tous les outils aux futurs lauréats lors de leur sortie sur le marché du travail ? Précisément, en plus de la problématique de l'adéquation formation-emploi qui rend dans certains cas l'insertion difficile, les étudiants peuvent arriver sur le marché de l'emploi en n'étant pas préparés à l'entretien de recrutement, en n'ayant pas préparé correctement leur dossier de candidature et en prospectant tous azimuts, sans ciblage préalable et sans connaissance de l'entreprise, ce qui rend la démarche inefficace et débouche sur un découragement et une perte de confiance en soi. Bien avant l'arrivée sur le marché de l'emploi, un accompagnement devrait être fait pour les futurs lauréats. Mais à mon sens, ce processus commence dès le moment de choix d'orientation que fait l'étudiant en intégrant l'université. Tout le travail de l'équipe pédagogique et de l'enseignant sera d'accompagner ces étudiants en offrant des contenus pédagogiques proches du terrain et de le faire savoir aux étudiants en mettant en perspective les contenus des cours avec les applications concrètes au sein de l'entreprise. Cela permet de projeter l'étudiant dans le rôle qu'il aura à tenir au sein de l'entreprise et de l'y préparer. Ceci d'une part. D'autre part, avant la rencontre avec le monde professionnel, il est utile pour les étudiants de réaliser une étude marché à l'instar de ce qui se passe à l'occasion de toute création ou lancement de projet. Générations X, Y et Z; des appellations qui commencent à faire le tour du globe mais qui démontrent surtout que certaines essaient encore de se trouver une place dans la société. Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet compte tenu de votre expertise dans le domaine? La génération X est celle des personnes nées entre les années 60 et 80 et qui aujourd'hui se trouve à des postes de top management ou de management intermédiaire. C'est la génération de la lecture, des rapports hiérarchisés que ce soit au niveau de la cellule familiale ou de l'entreprise et enfin celle qui a assisté à l'apparition de l'ordinateur mais qui n'a pas vécu le trop-plein de connexion. Autre spécificité de cette génération : les rythmes lents, que ce soit dans les changements de postes, d'entreprise ou de lieu géographique. La génération Y est celle née entre les années 80 et 95. La principale caractéristique de cette génération est sa correspondance avec l'apparition de la notion de «l'enfant-roi». A côté de l'abandon progressif du schéma parental basé sur la subordination, cette génération a vécu le passage à l'utilisation massive du digital. Cette génération est en totale rupture avec les modes de management classiques basés sur la subordination. Elle ne comprend pas les liens hiérarchiques et les remet en question car n'y voit aucun intérêt ni explication sinon celle du retard dans la prise de décision et dans la communication alors que cette génération se revendique être celle de l'efficacité et de la rapidité. Elle est d'ailleurs souvent cataloguée «d'hyperactive». On peut aisément imaginer la génération X dans le désarroi face à des modèles nouveaux de fonctionnement qu'elle qualifie d'irrespectueux des règles et d'insubordination. La génération Z est celle née après 1995 et qui arrive bientôt sur le marché de l'emploi. Celle-ci est hyper connectée, hyper créative et bascule toutes les notions de communication verticale car ne sait fonctionner qu'à travers les réseaux. Autant imaginer que ces 3 générations se côtoyant au sein de la même entreprise vont avoir du mal à se comprendre si la génération X ne fait pas l'effort d'appréhender les nouvelles valeurs, les préférences et les modes de fonctionnement de ces nouvelles générations... Les managers qui sont à l'écoute des besoins de ces nouvelles générations et qui ont développé la flexibilité suffisante pour se mettre à leur diapason à travers une communication partagée et des liens fonctionnels ont pu gagner leur confiance et se trouver des alliés de qualité car mieux outillés et adaptés aux exigences actuelles. La génération Z est celle à laquelle devra s'adapter la génération Y. Elles ont pour point commun la connexion et la remise en question du fonctionnement de la génération X. La génération Z arrivant dans des structures non connectées au Web aura du mal à les comprendre. D'ailleurs, elle ne comprend pas non plus l'exigence de présence dans les locaux quand le travail peut se faire à partir de chez soi. Cette génération remet en question également les modèles pédagogiques. Pour elle, l'existence du Web permet davantage d'efficacité et les méthodes pédagogiques traditionnelles les ennuient. Cette génération hyper connectée chez elle a du mal à comprendre pourquoi le système éducatif manque d'interactivité, d'autant plus qu'elle s'attend à retrouver cela dans le monde professionnel et s'y prépare. Cette génération a également vécu des bouleversements radicaux touchant le globe et le monde de l'entreprise. Il n'y a qu'à observer les vagues de licenciements et les exigences d'hyper rentabilité chez beaucoup d'entreprises. Elle s'interroge sur un avenir incertain et a besoin de se sentir sécurisée. Aussi, il me semble que pour accroître les synergies entre ces trois générations, la meilleure attitude est l'écoute, l'ouverture et l'acceptation de la différence de la part de la génération X. Ce sont les générations Y et Z qui sont porteuses de l'avenir et à même d'y répondre. Les entreprises et le système éducatif ont tout intérêt à introduire la connectivité car de par le monde, certains systèmes pédagogiques ont déjà introduit le e-learning 2.0 dans leurs cursus. Quels sont les meilleurs outils, selon vous, à donner aux étudiants pour qu'ils soient armés lors de leurs sorties en dehors bien entendu des contenus pédagogiques ? Beaucoup d'écoles d'ingénieurs ont fini par adapter leur contenu aux besoins du marché par l'introduction de matières nouvelles telles que la communication, le management et les technologies de l'information, répondant ainsi à un besoin lancinant de doter les élèves-ingénieurs d'aptitudes autres que techniques. L'acquisition de ces compétences est d'autant plus nécessaire pour les évolutions de carrière vers des postes de management d'hommes ou de gestion de projets faisant appel à la mobilisation d'équipes. Preuve en est que beaucoup de lauréats brillants intellectuellement arrivant sur le marché de l'emploi et n'étant pas dotés de ces aptitudes, ont eu du mal à s'insérer dans le monde de l'entreprise. Lorsqu'au bout de quelques mois ils arrivent à décrocher leur premier job, l'intégration se fait dans la douleur de la remise en question et dans la nécessité de s'orienter vers la formation continue lorsque l'entreprise en a les moyens. Aussi, à côté des compétences comportementales d'adaptabilité, de souplesse, de gestion de la complexité, de capacité d'analyse et de synthèse, d'aptitudes relationnelles et de communication, de rigueur, de créativité, ces personnes doivent être dotées de la capacité à aller au-delà de leur zone de confort et d'être prêtes à l'abandonner à tout moment pour basculer dans le doute, l'incertitude, la non-maîtrise. C'est ce que certains appellent «accueil de la nouveauté» mais on peut tout à fait accepter la nouveauté sans rien changer dans son fonctionnement. Or, cette aptitude à accueillir, intégrer et être partie prenante du changement suppose l'acceptation faite par l'individu de redevenir dépendant des autres qui savent plus que lui. Elle fait basculer tous ses schémas de fonctionnement et il peut redevenir l'apprenti après avoir été le manager. L'enjeu est de taille, les individus n'étant pas tous capables de telles concessions car une fois le processus d'individuation bouclé, on ne veut plus le réinitialiser à nouveau. Biographie Ikram Sefiani, docteur en économie, consultante-coach et enseignante en ressources humaines. Expérience dans le conseil RH, évaluation et recrutement de cadres managers et dirigeants. Mme Sefiani est aussi spécialisée dans les bilans de compétences et Assessment Centers.