Le syndicat indépendant, l'Union marocaine du travail, pointe l'ensemble des dysfonctionnements qui ont entraîné la Caisse dans l'impasse. Pour sa part, la commission d'enquête parlementaire poursuit ses investigations sur le sujet. Au delà de la polémique, c'est l'avenir de la prévoyance sociale au Maroc qui est en jeu. à condition de tirer les leçons du passé. La caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) vit «une crise institutionnelle, administrative et financière extrêmement grave». Cette crise est le résultat direct d'un «système d'abus de pouvoir, de laxisme, de prévarications et de gabegie, délibérément entretenu par tous les gouvernements depuis le début des années 80». En guise d'entrée en matière, les rédacteurs du «livre noir de la CNSS», qui vient d'être édité par l'Union Marocaine du Travail ( UMT), ne font pas dans la dentelle. Tout au long des 40 premières pages d'un long réquisitoire contre la gestion de la caisse, c'est un verdict sans appel qui est livré aux lecteurs. A peine 1,2 million de travailleurs assurés, dont moins de la moitié sont déclarés 12 mois sur 12, des polycliniques, grevant le budget de la CNSS d'une charge de plus de 400 millions de DH sans être toujours accessibles aux cotisants qui pourtant les financent, des équilibres financiers précaires, «artificiellement et illégalement établis», une gestion administrative sous-développée avec des coûts faramineux. Bref, «un immense délit de loi», se soldant par un préjudice aux assurés de quelque 30 milliards de Dh «sous forme de cotisations non perçues, de créances indûment effacées par le gouvernement et la direction générale depuis 1998». Une situation contre laquelle, nous «apprend» le livre noir, l'UMT n'a cessé de protester. D'abord, nous dit-on, par le biais de correspondances de ses instances nationales, demeurées sans réponse, ensuite par le refus d'approuver les comptes de la CNSS en 1981 et par des requêtes auprès des Premiers ministres et des ministres de tutelle. C'est en effet, le long bras de fer entre la centrale syndicale et la direction de la CNSS, qui articule ce livre bilan. Bien avant que l'UMT ne quitte le conseil d'administration de la CNSS en 1992. Un bras de fer qui culminera lors de la prise de la gestion directe des polycliniques par le gouvernement entre 1988 et 1992, «ce qui entraîne une catastrophe financière et organisationnelle». Quand la centrale quitte le conseil d'administration de la CNSS en 1992. Lorsque l'UMT s'adresse directement à feu SM Hassan II en 1995 et que le souverain accepte la proposition de soumettre l'examen de la situation de la CNSS au Conseil consultatif de suivi du dialogue social, lequel, insistent les auteurs, «valide point par point le diagnostic de l'UMT». Lorsque la proposition de la centrale de confier la gestion de la caisse par voie de concession publique à un organisme financier ou bancaire, «est torpillée par d'obscures manœuvres». Quand survient l'amnistie de 1998 sur les créances impayées par les entreprises, mesure qualifiée de «vrai scandale» par la centrale. Au moment de la conclusion en février 2000 du protocole d'accord sur la création d'un centre de greffe de moelle, financé par la CNSS, protocole contre lequel l'UMT dit s'être en vain adressé à la justice. Enfin, quand le schéma directeur de l'information, lancé par le conseil d'administration de la CNSS en 1990, est abandonné «après avoir coûté des milliards de centimes en études». Ce n'est qu'une partie des flèches soigneusement alignées dans le carquois de l'UMT à l'adresse de la direction de la CNSS et de l'Etat. Les représentants de ce dernier sont d'ailleurs alpagués pour avoir «progressivement renoncé à leur mission de contrôle, s'érigeant peu à peu en gestionnaires directs, voire en complices des irrégularités». Au moment où le conseil d'administration, qui «ne reçoit ni comptes certifiés, ni documents légaux , ni rapport annuel», s'est trouvé peu à peu marginalisé. Ainsi, depuis 1981 «en raison de l'absence de comptabilité conforme aux normes légales, le conseil d'administration a systématiquement rejeté les comptes qui lui ont été présentés». En revanche, s'insurgent les auteurs du livre noir de la CNSS, durant les deux dernières décennies, les résolutions consignées dans les procès verbaux du conseil n'ont pas été appliquées et des «actes graves, impliquant des dépenses considérables (…) sont commis en dehors, et contre, les délibérations du conseil». Résultat, «un processus de totale dilution des responsabilités, une confusion institutionnelle inqualifiable, donnant lieu à une caisse de sécurité sociale en roue libre, gérée selon les tempéraments et les choix discrétionnaires de ses directeurs généraux». Le conseil d'administration lui, «peut protester autant qu'il veut, il ne dispose pas de moyens légaux pour contraindre le directeur général à lui rendre les comptes qui lui sont dus». Tant, écrivent les rédacteurs, «le problème de la CNSS est un vrai problème de déficit démocratique».