Quand on est au carrefour de toutes les transitions que peut vivre un pays, il est évident que dans l'action publique, toutes les circonstances deviennent aggravantes quand cette action n'est pas consensuelle. L'homme est affable sans être un naïf. Rusé sans être un pernicieux et habile sans être trop calculateur. En politicien, il sait ce que valent les promesses, mais, en homme d'Etat, il sait également ce que valent les engagements. Le temps, il en fait son affaire, il joue avec comme un chat avec une pelote de laine. Il déteste les euphories subites et les excès d'enthousiasme. Il se méfie des décisions hâtives comme de la peste. Pour lui, les décisions se cueillent comme des fruits mûrs. Il faut qu'elles arrivent à maturation, même si le cortège des impatiences enfle et que son brouhaha envahit les couloirs de la présidence du Conseil et les colonnes de la presse. Depuis quatre ans, et à la veille des élections, on peut dire que nous avons appris à mieux connaître Abderrahmane Youssoufi. Mais le connaissons-nous vraiment ? Notre Premier ministre demeure à plusieurs égards un homme mystérieux et discret. Résolu, mais parfois hésitant. Ouvert, mais fondamentalement secret. Le capitaine, rarement enjoué, d'une équipe turbulente mais un solitaire impénitent. L'exercice du pouvoir l'a fourbi. Il a polarisé incontestablement ses qualités naturelles, mais il a aussi mis sous la lumière du jour, crue et aveuglante, ses rares défauts. Mais est-ce bien grave dans un pays où la carrière d'un homme politique se joue beaucoup plus sur ses défauts - que l'on considère inhérents et consubstantiels à cet exercice public – que sur ses qualités qu'on assimile rapidement à une forme de naïveté inadéquate ? Se délecter d'un silence profond pendant des semaines, en boudant ostensiblement la presse nationale, quand l'opinion publique, harcelée par les cassandres de tous acabits est demandeuse de sens, était-ce vraiment bien raisonnable ? Se fourvoyer dans la gestion calamiteuse d'un dossier d'interdiction de presse sans que ni le droit, ni la presse ne sortent grandis de cette accrochage, était-ce vraiment utile ? Larguer un ministre en rase campagne alors que son Plan d'intégration de la femme remue les conservatismes les plus rétrogrades du pays, était-ce bien cohérent ? Assumer des choix économiques qui ont de fait tétanisé la croissance et l'investissement, sans vraiment en débattre avec la nation comme si désormais la différence entre les gouvernements ne se faisait plus sur les dossiers économiques était-ce bien judicieux ? Abderrahmane Youssoufi est un Premier ministre qui peut aussi, comme tous les autres, commettre des erreurs. Nul n'est tenu à la perfection. C'est pour cela que l'équité nous impose de l'appréhender – si l'on peut dire – dans toute sa complexité et dans la complexité des conditions qui ont prévalu à son accession à la Primature. Quand on est au carrefour de toutes les transitions que peut vivre un pays, il est évident que dans l'action publique, toutes les circonstances deviennent aggravantes quand cette action n'est pas consensuelle. Et c'est là où réside, semble-t-il, le péché rédhibitoire du Premier ministre lors de cette législature. A trop chercher le consensus, Abderrahmane Youssoufi est devenu captif de toutes les forces d'inertie. Le démocrate connaissant intimement les mécanismes parlementaires qui font les majorités d'idées et de projets s'est laissé piéger par ses partenaires peu amènes. Il y a perdu du souffle et de l'énergie, des éléments vitaux pour toute politique de changement. Cela étant, des chantiers ont été ouverts, des vertus oubliées ont été restaurées, des valeurs de démocratie et de liberté ont été installées, Abderrahmane Youssoufi n'est pas totalement étranger à tout cela. Bien au contraire.