Je me doutais bien que beaucoup de mes concitoyens brûlent d'envie depuis longtemps de se faire la belle pour se retrouver là où ils pensent pouvoir passer du bon temps, mais je ne pensais pas qu'il y en avait autant. Selon une étude publiée récemment, 42% des Marocains envisagent d'émigrer ou aimeraient bien le faire. L'étude intitulée joliment «Migration et compétences» semble sérieuse, puisqu'elle a été diligentée par l'agence européenne ETF (European Training Foundation) en partenariat avec l'AMERM (Association marocaine d'études et de recherches sur la migration) ainsi que, nous précise-t-on sans autre précision, «les autorités marocaines». Bref, que du beau monde. Et tout ce beau monde découvre comme nous, avec stupeur mais sans étonnement, que beaucoup de monde dans ce bled n'a qu'un seul désir et qu'une seule envie : quitter ce magnifique pays qui n'est autre, on ne le répétera jamais assez, le plus beau pays du monde. Trêve de plaisanterie parce que l'affaire est vraiment sérieuse, puisque, je le répète, 42% des Marocains et Marocaines, du moins, parmi les 4.000 personnes qui ont été interrogées dans le cadre de cette étude, veulent partir vivre ailleurs, et plus exactement, dans les contrées du Nord les plus voisines, comprenez Espagne, France, Allemagne ou autre Grande-Bretagne. 42% ! Oui, nous savons tous que certains en ont un peu marre de tourner en rond sans boulot et donc sans rond, mais, franchement je trouve que ce chiffre est vraiment énorme. D'ailleurs, il est si énorme que certains de mes confrères en mal de titraille attirante se sont empressés de titrer à la Une, les uns, «Près d'un Marocain sur 2 souhaite quitter le Maroc», et d'autres, carrément, «La moitié de la population du Royaume veut émigrer à l'étranger»! C'est vous dire que parfois les lettres peuvent faire déraper les chiffres. Mais, au-delà de ce pourcentage détonnant, on nous précise, je cite, que «la migration ne concerne pas seulement les catégories sociales pauvres ou les sans-emplois et que… la propension à migrer s'accroît avec les bonnes conditions sociales et les conditions économiques». Pour le dire autrement, ce ne sont pas que les analphabètes, les chômeurs et les fauchés qui veulent «brûler», mais aussi les plus riches et les plus instruits, autrement dit, même l'élite lotie. Et là, on est quand même obligés de nous interroger comment se fait-il que même les nantis et les privilégiés, bref, les gens qu'on pensait «bikhiiiir», veulent, eux aussi, partir d'ici? N'attendez pas de réponse de ma part car je vous avoue je n'en ai pas. Mais puisque nous sommes dans les aveux, moi-même qui fais partie d'une génération de rêveurs post- soixante-huitards qui n'avaient jamais rêvé de vivre ou de rester à l'étranger alors qu'ils en avaient largement la possibilité et les moyens, il y a des jours où je me verrais bien renoncer au chaleureux climat de notre beau pays et à ses doux matins, et aller vivre dans le froid glacial d'un quelconque bled européen ou américain lointain. Je sais que je plombe un peu l'ambiance et que je casse le ton censé être léger de ce billet, mais, je dois être comme tous ces candidats à l'émigration pas forcément souhaitée : je sais que le Maroc est un pays merveilleux où il fait bon vivre, mais il y a tellement de contraintes et de contraigneurs, de contradictions et de contrariétés, de vents contraires et de décisions contrariantes, que j'ai, parfois, moi aussi, envie de sauter le pas. Priez avec moi que je ne le fasse pas, mais, tant qu'à faire, priez aussi pour que les choses changent enfin. Amen. Bon week-end à tous et à toutes, sauf aux… contraigneurs.