Certains des amis et/ou lecteurs plus ou moins fidèles, c'est-à-dire qui aiment bien, parfois, lire mes délires, me font de plus en plus le reproche que mes papiers sont de moins en moins drôles. Un de ces potes m'a gentiment mais clairement signifié que je devrais changer le titre de cette rubrique, et passer de «Mieux vaut en rire» à «Mieux… se prendre la tête». Il y en a même un, qui se reconnaîtra, qui, après avoir lu ma dernière chronique, m'a lancé : «Tu crois être un rigolo, mais tu n'en es pas un». Venant de lui, j'ai pris ça pour un compliment, et d'ailleurs il m'a confirmé que c'en était bien un. Donc, si je comprends bien mon ami complimenteur, tout ce que je vous ai raconté d'hyper léger, du moins à mes yeux, serait du lourd, du consistant, bref, du sensé. C'est insensé ! Pour être franc avec vous, je suis à la fois très déçu car je croyais sincèrement faire marrer les gens, et très fier car je me rends compte que j'étais sérieux sans le savoir. Je suis en quelque sorte le Monsieur Jourdain des billettistes. Au fond, si je réfléchis bien, ça ne devrait pas me décevoir, car depuis le temps que je cherche à me faire prendre au sérieux, maintenant je suis servi. Blague à part, je dois vous avouer que désormais, ça ne va plus être marrant pour moi. Je vous explique : jusqu'à présent, on m'engageait pour amuser la galerie. Alors, si je commence par… leur prendre la tête avec des sujets sérieux, consistants, qui «font réfléchir», je ne serai plus cru, et donc, je serai cuit. En effet, on ne demande pas un clown de «faire réfléchir, mais de faire rire». Croyez-moi, tout ça, j'en suis conscient, mais c'est plus fort que moi. En vérité, je crois que si je mets parfois, malgré moi, à faire le métier des autres, c'est parce que, tout simplement, les autres ne font pas leur métier. Et «les autres», ce sont tous ceux et toutes celles qui ont des choses à dire, qui ont les outils pour le dire, qui ont les capacités pour le dire, qui ont le savoir pour le faire et le savoir-faire pour le dire, mais qui ne disent rien. ILS ET ELLES SE TAISENT. Ou bien ils ou elles ont la trouille d'exprimer leurs idées sur tel ou tel problème politique, culturel ou de société, ou bien parce que ça les arrange de se taire et d'attendre leur tour. Ils et elles ne veulent pas griller leurs cartouches et, partant, griller leurs chances d'être un jour appelé(e)s, ils et elles aussi, à des postes et à des fonctions honorifiques, mais néanmoins avec des honoraires très honorables. Ils et elles, ce sont nos intellos. Si, si, il y en a encore, mais, c'est vrai, je ne sais pas s'ils méritent encore ce prestigieux et noble label. Non, je ne leur en veux pas, mais je les plains, les pauvres. Ils doivent savoir que quoi qu'ils fassent ou ne fassent pas, il n'y a pas assez de confiseries pour tout le monde. Et si, de temps en temps, on donne un bonbon à l'un et une sucette à l'autre, c'est juste pour faire croire à tous les autres que bientôt ce sera leur tour. Quelle naïveté ! C'est un peu comme au loto : on croit que c'est facile, que c'est pas cher, mais ça ne rapporte gros qu'aux chanceux ou aux déjà riches. En plus, ce sont les millions des autres parieurs qui se cotisent pour leur offrir le gros lot. Tant pis pour eux. Ils n'avaient qu'à ne pas croire au Père Noël. Quant à nos malheureux intellos, ils peuvent toujours attendre, mais ils n'auront, s'ils ont quelque chose, que des miettes. Quant à moi qui ne mange pas de ce pain-là, je vais continuer de faire semblant de rigoler et de faire rigoler, alors qu'au fond, je ne pense pas moins. Bon week-end, les rigolos et bonne attente, les autres. Un dernier message à qui veut l'entendre : qui n'a pas de classe finit par perdre sa place.