«Je vote pour le Marocain modèle, qui s'indigne du taux d'analphabétisme en sirotant son thé à la menthe préparé par sa «bonne» de 11 ans. Ce Marocain fier qui dénonce le classement du pays mais n'hésite pas à corrompre le policier à la sortie de l'école de son gamin, parce qu'il roulait à 120km/h, téléphone à la main. Ce même gosse qui se fait sermonner durant tout le trajet du retour, parce qu'il est impoli, par un père qui jette son mégot par la fenêtre, drague des lycéennes et méprise sa femme... parce que c'est une femme! Ce digne père de famille qui se dit patriote nationaliste, mais préfère sa partie de pétanque au vote, sa Mercedes à sa déclaration d'impôt et son trois quarts «signé» à sa tomate marocaine. Et qui, comble du comble, décrie l'acculturation de la société en décorant son sapin et en buvant son rosé devant les «Enfants de la Télé Spécial Noël». Pour faire court, je vote pour cette nation de comiques qui représente l'illustration la plus manifeste de la schizophrénie sévère». Fin de citation. Ces mots si vrais, si forts et si pertinents ne sont pas les miens. Ils font partie d'un message que j'ai reçu par mail, suite au sondage sur «Le rigolo de l'année» que j'avais lancé, un peu pour m'amuser, à travers une de mes chroniques la semaine dernière. Ces mots signés Farah R., une demoiselle ou une dame, qu'importe, mais c'est sûrement une de ces femmes qui sait nous rabaisser, nous les petits hommes, du haut de notre stupide machisme et de notre hautaine suffisance, à notre juste et basse valeur. Ce mail est venu faire désordre parmi les dizaines d'autres qu'on m'a envoyé à cette occasion et qui étaient, eux, il faut bien le dire, assez normaux. La majorité, en effet, a joué le jeu et a répondu plus ou moins sérieusement à ce vrai faux sondage, et la plupart ont choisi plus ou moins les mêmes rigolos et que d'ailleurs j'ai préféré ne pas révéler tellement ils étaient évidents. Mais Farah R., elle, apparemment, n'avait pas envie de jouer, et m'a rejeté mon jeu à la figure, me renvoyant, moi le vrai rigolo, à ma propre dérision, à ma propre comédie, à mon propre cinéma, un cinéma tragi-comique qui ne fait rire que moi. Mais, comme je le lui ai répondu aussitôt, je ne lui en veux pas. Bien au contraire, je la remercie du fond du cœur de m'avoir permis, en ce début d'année, d'ouvrir de nouveau mes yeux trop myopes et trop embués par tant de bêtise, tant d'hypocrisie et tant de tartuferie. Je vous avoue que ce mail m'a profondément bouleversé. Pourtant, quand je l'ai relu plus tard, il ne m'avait rien appris que je ne connaissais déjà. Mais, justement, c'est là le problème. Je savais tout ça, mais je l'avais oublié. Ou feint de l'oublier. Je le savais, mais, comme tous ceux qui ont intérêt à ne voir que ce qui les intéresse, que ce qui renforce leur position de grand «élu social», que ce qui ne bouleverse pas leur petit confort de petit privilégié du petit clan du petit pouvoir, j'ai appris à regarder en détournant le regard et à ne rien voir de ce qui, pourtant, crève les yeux. Oui, les vrais rigolos, c'est nous, c'est vous, c'est-à-dire tous ceux qui savent et qui se taisent, qui voient et qui ferment les yeux, et qui vivent tout naturellement leur double vie sans se soucier le moins du monde de ceux qui n'en vivent aucune. Ma chère Farah, à cause de vous, ce billet n'a pas été du tout rigolo, mais, tant pis, car grâce à vous, tous les rigolos vont peut-être enfin piger que dans ce bled, il y a des femmes qui ne manquent pas de charme, mais qui ne manquent pas non plus, ni de lucidité, ni de culot. Quant à moi, j'aimerais vous dire un dernier mot : Bravo !