L'écrivain marocain Ahmed Sefrioui est mort dans l'indifférence totale, mercredi 25 février à Rabat, suite à une grippe. Seule une poignée de personnes ont accompagné à sa dernière demeure celui que l'on considère comme le père de la littérature marocaine de langue française. Les personnes, qui ont pris part au cortège funéraire d'Ahmed Sefrioui, cachent mal leur désarroi. L'écrivain a été enterré non seulement dans l'intimité, mais dans l'indifférence, mercredi après-midi, au cimetière Achohada de Rabat. Silence radio autour de sa mort. Les hommages et témoignages nécrologiques, qui sont souvent le tribut des écrivains et artistes morts, ont cruellement manqué cette fois-ci. “Je suis à la fois sidérée et choquée par l'indifférence totale à la mort d'un si grand écrivain. Même pas une information brute pour annoncer sa mort ! Je suis révoltée par autant d'ingratitude ! Ahmed Sefrioui a été l'un des meilleurs ambassadeurs de la culture marocaine à l'étranger“, s'écrie Karima Yatribi, enseignante à l'université Aïn Chock de Casablanca et auteur d'une thèse sur l'œuvre de l'écrivain. Son sentiment est partagé par le poète Mohamed Loakira qui se pose des questions sur cette “inhumation dans l'intimité“. “Est-ce un problème de langue ? Est-ce parce que Ahmed Sefrioui écrivait en français qu'il n'a pas eu droit aux honneurs accordés à d'autres ?“ Le jour de l'enterrement de l'écrivain, il n'y avait aucun représentant du ministère de la Culture, bien que l'intéressé ait occupé, pendant des années, le poste d'inspecteur du patrimoine à la direction des Affaires culturelles. Il n'y avait pas non plus de représentants de l'Union des Ecrivains du Maroc (UEM). Pourtant, l'écrivain, mort dans l'indifférence, est considéré comme “le père fondateur de la littérature marocaine de langue française“, “l'initiateur“, “le précurseur“. Les avis sont unanimes là-dessus. En 1949, déjà, son roman “Le Cchapelet d'ambre“ a été récompensé par le Grand Prix littéraire du Maroc, attribué à cette occasion pour la première fois à un Marocain. Son deuxième livre “La Boîte à merveille“ (1954) est cité avec “le passé simple“ de Driss Chraïbi comme le roman fondateur de la littérature marocaine de langue française. Mais alors que “Le Passé simple“ violente la langue française et la société marocaine, le livre de Sefrioui est écrit dans une langue narrative, agréable, sans cahots et évoque une vie courante paisible. Cette langue et les thèmes abordés dans les livres de Sefrioui ont été à l'origine d'un procès qui lui a été fait, pendant longtemps, par de nombreux intellectuels marocains. Ahmed Sefrioui a souffert d'une étiquette : écrivain néo-colonialiste et folklorique. L'un des plus virulents critiques de son œuvre fut Abdeljllil Lahjomri. “J'ai fait mon mea culpa depuis, et n'ai cessé de témoigner mon admiration pour l'intérêt que cet écrivain accordait aux petites gens et à sa maîtrise de la langue française. Ahmed Sefrioui était l'un des meilleurs connaisseurs de la langue française au Maroc“, indique-t-il à ALM. L'écrivain Jean-Pierre Koffel partage cet avis sur l'écriture “remarquable“ d'Ahmed Sefrioui. Il rappelle à cet égard que l'auteur de “La Boîte à merveille“ a commencé à écrire, dès 1943, des poèmes et nouvelles dans “Le pique-bœuf“, une publication hebdomadaire éditée dans la région de Fès-Meknès. Ahmed Sefrioui aimait beaucoup cette région et les gens qui y habitent. Né en 1915 à Fès, il a accompli un travail colossal, dans ses livres, sur l'imaginaire des Marocains appartenant à des souches sociales modestes. Il s'est également dévoué au patrimoine du pays. Ses écrits sur de petits artisans marocains, haussés au rang d'artistes accomplis, sont parmi les plus pénétrants sur les expressions artisanales au Maroc.