C'est un ouf de soulagement qu'ont dû prononcer les dirigeants de la zone euro à la fin de leur sommet le 21 juillet 2011 en parvenant à un accord au terme d'un sommet crucial pour résoudre la crise grecque et la crise de la zone euro. Une crise finalement à l'image des tragédies grecques où on assiste à travers les différentes péripéties à une chute pathétique des héros avant qu'ils ne se relèvent lors d'un coup de théâtre à la fin et au bonheur du large public. Il faut dire que la Grèce était sous pression des marchés financiers depuis de longs mois et le premier plan de sauvetage élaboré en 2010 s'est avéré insuffisant et n'a pas été en mesure de répondre à l'ampleur de la crise. Depuis quelques semaines, les responsables politiques européens et la plupart des experts internationaux se sont résolus à l'idée que la Grèce avait besoin d'un nouveau plan de sauvetage. Ce plan était d'autant plus nécessaire que la défection de la Grèce et sa faillite pouvait avoir un effet domino sur les autres pays européens qui étaient sous un programme d'aide comme le Portugal et l'Irlande mais aussi d'autres pays européens comme l'Espagne et l'Italie qui étaient désormais dans la ligne de mire des marchés financiers. Au-delà de la dette interne, c'est tout simplement l'avenir de la zone euro et de la construction européenne qui étaient en jeu et cet effort de coopération et d'intégration régionale pouvait tout simplement basculer ouvrant une nouvelle ère d'incertitude et de tensions en Europe. Le gouvernement grec était également sous une forte contestation interne avec une grande mobilisation sociale contre les programmes de stabilisation sociale et cette grande cure d'austérité afin de réduire les déficits publics et de renforcer les recettes fiscales. Depuis des mois la Grèce vivait sous le rythme de la mobilisation sociale et des rassemblements et des sit-in afin de s'opposer aux différents programmes de réduction des dépenses et de privatisation exigés par la troïka de la Commission, de la BCE et du FMI. Ainsi, la Grèce était sous pression et ses difficultés mettaient l'Europe et le système bancaire en danger. Et, cette situation était à l'origine du consensus sur la nécessité de sauver le soldat grec. Mais, le véritable problème concernait les moyens pour le faire. Et, là les divergences et les différences étaient légions entre les principaux acteurs de cette tragédie. Entre l'Allemagne, la France, la BCE, le FMI et les banques privées les avis étaient fortement partagés et les divergences fortes sur des points essentiels de cette stratégie de sauvetage. Une première question concerne l'avenir de la dette grecque et la capacité de ce pays à l'honorer. Pour certains, il était temps de se rendre à l'évidence et d'opérer une restructuration de la dette grecque à travers un rééchelonnement ou une réduction de la dette qui la rendrait plus soutenable et permettrait à la Grèce d'honorer ses engagements. Pour les adeptes de cette position, les chiffres parlent d'eux-mêmes et il est difficile pour la Grèce d'honorer une dette qui devrait remonter selon les prévisions pour 2012 à 161% du PIB et à un montant global de 360 milliards d'euros. Pour d'autres, il était hors de question d'emprunter cette voie dans la mesure où elle pourra avoir un effet domino sur les autres pays et qu'elle serait à l'origine d'une grande crise bancaire en Europe du fait qu'un grand nombre de banques, notamment françaises et allemandes, sont fortement exposées et détiennent un grand nombre d'obligations grecques. Un autre sujet de discorde concerne la participation des banques privées dans un plan de sauvetage. Si la Chancelière allemande tient à une participation substantielle et obligatoire, la France préfère une option plus soft et volontaire. Ces divergences ont retardé la construction d'un consensus européen et à l'image des tragédies grecques on a assisté à quelques péripéties inquiétantes et qui ont montré la fragilité de l'Europe dans ses moments de crise. Les réunions des ministres se sont multipliées sans parvenir à des résultats tangibles depuis plusieurs semaines. Les chefs d'Etats se sont refusés de se réunir tant que les grandes divergences n'auraient pas été réglé et qu'un accord n'aurait pas été trouvé. Entre-temps, les marchés financiers devenaient de plus en plus nerveux et les agences de notation de participer à cette anxiété ambiante en baissant les notes des titres des dettes européennes. C'est donc au pied du mur que les dirigeants européens se sont décidé finalement à se réunir et ont adopté un nouvel accord marathon après des discussions de près de sept heures entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel à Berlin la veille de ce sommet. Ce sommet a entériné l'accord défini par le Président français et la Chancelière allemande et le Président de la BCE. Cet accord comprend une importante aide publique à la Grèce: l'UE et le FMI allongent de 15 à 30 ans la durée de leurs prêts à la Grèce, qui remboursera sa dette. Le nouveau plan d'aide se monte à 158 milliards d'euros, dont 49 milliards viennent du secteur privé. Un “plan Marshall” pour relancer la croissance de la Grèce sera mis en place. Par ailleurs, les banques créancières de la Grèce ont promis de contribuer à la hauteur de 54 milliards d'euros sur trois ans, et 135 milliards d'euros sur dix ans, à un nouveau plan d'aide à ce pays, a annoncé l'Institut de la finance internationale. Par ailleurs, les responsables européens ont avancé la somme de 49 milliards d'euros, avec 37 milliards sous la forme “d'une contribution volontaire” des banques créancières, tandis que 12 milliards d'euros consisteront en un rachat de dette sur le marché. Les futurs taux d'intérêts demandés à la Grèce se situeront entre 3,5 et 4% ce qui représentera une économie de 30 milliards d'euros sur les 10 prochaines années et une réduction de 12 points de PIB de la dette. Le Portugal et l'Irlande vont également tirer des bénéfices de cet accord et vont connaître une baisse des taux d'intérêts et un allongement de la maturité mais sans implication du secteur privé. La question de la gouvernance a été également évoquée et les dirigeants européens ont promis de proposer de nouvelles règles de gouvernance de la zone euro avant la fin de l'été. Cet accord est important dans la mesure où il a permis de réduire la pression des marchés sur la Grèce. Par ailleurs, ce défaut sélectif de la Grèce permettra aussi d'avoir une importante réduction de sa dette privée vis-à-vis des banques et lui donnera un ballon d'oxygène. Les premières estimations évoquent 26 milliards d'euros d'ici 2014 ce qui représente 12% du PIB. Cette réduction des dettes privées se fera par un éventail de réponse technique dont le roulement de la dette, l'échange de dette ou le rachat de dette par le Fonds européen de stabilité. Cet accord a rompu le dogme du refus de la défaillance de la Grèce et a ouvert une nouvelle ère de dévalorisation des dettes afin de les rendre soutenable. Par ailleurs, cet accord effectue un pas supplémentaire dans le sens du fédéralisme économique et donne la possibilité au Fonds européen de stabilité financière et plus tard le Mécanisme de stabilité financière doté d'un fonds de 440 milliards de prêter directement aux pays avec des taux faibles et des délais plus élargis et d'acheter leurs bons du trésor directement ou le marché secondaire. Mais, cet accord est critiqué aussi par d'autres qui considèrent que la réduction de la dette n'est pas vigoureuse et sera à l'origine d'une poursuite des politiques d'austérité. Par ailleurs, cet accord ne va pas assez loin dans le fédéralisme dans la mesure où il n'institue pas une véritable mutualisation des dettes souveraines de la zone euro avec la création d'euro-obligations. Enfin, cet accord renforce le retour à la stabilisation en Europe et fait du retour à un déficit public de 3% comme une condition essentielle pour l'horizon 2013. Même si ce coup de théâtre offre une fin “heureuse” pour le gouvernement grec, il pourrait ouvrir la perspective à de nouvelles tragédies européennes dont la mesure où il oublie l'agenda de croissance et pourrait renfermer l'Europe dans la trappe du chômage et du désespoir. * Economiste et directeur de division à l'OMC