A Essaouira, les gnaouas se produisent sur des scènes modernes sous l'éblouissement des jeux de lumières, mais continuent, en même temps, d'animer les traditionnelles Lila.Un clin d'œil à une vieille pratique magico-religieuse, de plus en plus dépourvue de son côté surnaturel et fantastique qu'elle troque contre une grande valeur artistique et un engouement certain de la part du public. Dans la tradition gnaouie, cette cérémonie nocturne est l'étape la plus importante d'un processus thérapeutique de guérison de l'adepte (le patient). La Lila rassemble le Maallem, les musiciens-danseurs, la Moqaddema, des adeptes et aussi des sympathisants de la confrérie. Elle se déroule généralement dans un sanctuaire ou dans une maison. Elle est inaugurée par l'Aâda (le cortège). C'est le moment le plus important d'une Lila, car sans elle “la porte des couleurs ne serait pas ouverte et les esprits ne pourraient pas circuler”. Les adeptes, puis le Maallem et son groupe entament une procession accompagnés par des T'Bel (tambours) et par les crotales. Ils entonnent “l'aafou ya moulana” (délivre-nous Seigneur) comme invocation à la guérison thérapeutique et spirituelle. La Moqaddema et l'arifa promènent ensuite un Mejmer (brasero) où brûle l'encens et aspergent les adeptes d'eau de fleurs d'oranger. Durant la première partie de la Lila, les gnaouas jouent un répertoire de divertissement. L'ambiance y est détendue. Les chants évoquent le Prophète Sidna Mohammed, les ancêtres et leurs origines africaines. Les musiciens battent des mains et des pieds et dansent en reculant puis avançant face au Maallem. Les danseurs évoluent souvent en cercle au milieu duquel, à tour de rôle, chacun vient exhiber ses qualités de danseurs et pratiquer des sauts spectaculaires. Place ensuite aux parties sacrées de la Lila et durant lesquelles sont invoqués par cohortes successives les génies des sept couleurs. Ce rituel est entamé par des fumigations de Jaoui. La fumée sert également le Maallem pour “sacraliser” son guenbri. Ces étapes doivent être exécutées très scrupuleusement sous peine de “mécontenter les génies”. Le Maâllem interprète différents chants, chacun d'eux correspondant à une couleur ou à un esprit jusqu'à ce que l'on découvre la couleur qui fasse entrer l'adepte en transe. Les rythmes déchaînés du Guenbri (luth à trois cordes) invitent les saints et les Mlouk conduisant vers un état de transe. Les entités invoquées peuvent être purement surnaturelles ou des saints ayant réellement existé. Il y a sept cohortes de mlouk (de la mer, de la forêt, les célestiens, ceux liés au sang, ceux qui invoquent Moulay Abdelkader Jilali et les chorfas, et enfin celui de l'esprit féminin de Lala Mira) et chacune d'entre elles possède à sa tête un ou plusieurs esprits dominants. Les mlouks ont chacun une devise chantée, un encens particulier (que l'on brûle quand l'esprit prend possession d'un adepte) et une couleur. Ainsi, chacun des danseurs entretient une relation plus ou moins proche avec un esprit: chaque fois qu'un “melk” (esprit) est invoqué, son “memlouk”, (possédé) qui s'identifie à lui, va danser jusqu'à la transe. C'est en ce moment que la moqaddema couvre l'adepte du foulard correspondant à la couleur appropriée et l'asperge abondamment de Jaoui. Les mains tremblantes, le corps secoué par des convulsions, il commence une “danse de possession” (mouvement agité d'avant en arrière), devenant pour un instant la “monture” de son génie. Une fois le génie rassasié, raconte-t-on, il s'échappe du corps de l'adepte qui s'écroule subitement pour se réveiller semi-conscient, sans se souvenir des actes commis et des cris lancés pendant la transe. “Il a guéri”.