Le Pakistan a dénoncé mardi le raid américain engagé sur son sol pour éliminer Oussama Ben Laden, deux jours après la mort du chef d'Al-Qaïda, tandis que les Etats-Unis avouaient avoir tenu leur allié à l'écart de l'opération par crainte qu'il ne donne l'alerte. “Le Pakistan exprime sa vive préoccupation et ses réserves sur la manière dont le gouvernement américain a mené à bien cette opération sans information ni autorisation préalables du gouvernement pakistanais”, a fait savoir le ministère pakistanais des Affaires étrangères. De telles “actions unilatérales non autorisées” ne doivent pas devenir la règle”, y compris pour les Etats-Unis, a martelé la diplomatie pakistanaise, estimant que de tels raids “minent la coopération et représentent parfois aussi une menace pour la paix et la sécurité internationales”. L'élimination du chef d'Al-Qaïda tend des relations déjà difficiles entre les deux alliés. Les Etats-Unis n'ont pas informé le Pakistan de l'opération contre Ben Laden car ce pays “aurait pu alerter” le chef d'Al-Qaïda de l'imminence du raid, a déclaré le directeur de la CIA, Leon Panetta, dans un entretien au magazine Time. Le Pakistan est soupçonné de double-jeu dans la lutte antiterroriste. Des accusations renforcées par le fait que Ben Laden a été localisé, après des mois de traque, à Abbottabad, une ville de garnison située à 80 km à peine d'Islamabad. Londres a “des questions” à poser au Pakistan après la mort de Ben Laden, a déclaré le Premier ministre britannique David Cameron. “Le fait que Ben Laden ait vécu dans une grande maison dans un quartier résidentiel montre qu'il devait avoir un réseau de soutien au Pakistan”. Le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, a jugé que la position du Pakistan manquait “de clarté”, soulignant avoir “un peu de mal à imaginer que la présence d'une personne comme Ben Laden (...) ait pu passer complètement inaperçue”. Le président pakistanais Asif Ali Zardari a rejeté ces soupçons dans une tribune publiée par le Washington Post, affirmant que l'élimination de Ben Laden était le résultat “d'une décennie de coopération et de partenariat entre les Etats-Unis et le Pakistan”. Washington semblait vouloir éviter une dégradation des relations avec Islamabad, alors même que le Congrès réfléchit à la suppression de l'aide financière américaine massive à cet allié difficile. “Nous travaillons très dur à ces relations, ce sont des relations importantes et compliquées”, a déclaré le porte-parole de la Maison Blanche Jay Carney. L'aide au Pakistan “est à la fois dans l'intérêt à long terme du Pakistan et dans l'intérêt national de la sécurité des Etats-Unis”, a insisté le porte-parole du département d'Etat, Mark Toner. Le vice-président des Etats-Unis, Joe Biden, s'est félicité mardi qu'aucune fuite n'ait révélé le fait que Washington savait où se cachait Ben Laden, alors que 16 membres du Congrès en avaient été informés dans les mois qui ont précédé le raid ayant conduit à sa mort. Plus de vingt-quatre heures après la mort de “Geronimo”, nom de code d'Oussama Ben Laden lors du raid américain, les détails sur l'opération de 40 minutes continuaient à filtrer. Ben Laden n'était pas armé lorsqu'il a été tué, a affirmé le porte-parole de la Maison Blanche. Pendant l'attaque, “il existait une inquiétude sur le fait que Ben Laden s'opposerait à l'opération de capture et, en effet, il a résisté (...) Ben Laden a été tué par balle. Il n'était pas armé”, a déclaré M. Carney lors d'un point de presse. Depuis l'annonce de l'opération, les détails sur les circonstances de la mort d'Oussama Ben Laden ont fluctué. Lundi, le principal conseiller du président Barack Obama pour l'antiterrorisme, John Brennan, avait indiqué que Ben Laden s'était servi de sa femme comme bouclier humain. Mais M. Carney a précisé mardi que cette femme avait reçu une balle dans la jambe, mais n'avait pas été tuée. Alors que certains disent douter de la réalité de la mort de Ben Laden, la Maison Blanche continue à hésiter à publier des photos du corps. “Je serai franc, la publication des photos d'Oussama Ben Laden après cette fusillade est sensible, et nous évaluons la nécessité de le faire”, a déclaré M. Carney. La question est de savoir si une telle publication “sert ou dessert nos intérêts, pas seulement ici mais dans le monde entier”, a-t-il expliqué. “On peut dire que c'est une photo atroce”. Craignant des représailles de cellules d'Al-Qaïda, la communauté internationale était sur le qui-vive. Les Etats-Unis ont lancé un bulletin d'alerte à leurs forces de l'ordre, tandis que l'ambassade et les consulats américains au Pakistan ont été fermés au public “jusqu'à nouvel ordre”. Celui qui remplacera Oussama Ben Laden à la tête d'Al-Qaïda deviendra le nouvel ennemi public numéro 1 de l'Amérique, a averti le directeur de la CIA, Leon Panetta, mardi dans une interview diffusée sur CBS. L'Espagne a entrepris de renforcer la sécurité de ses ambassades dans plusieurs pays sensibles, dont le Pakistan et l'Afghanistan. Les talibans pakistanais alliés à Al-Qaïda, qui mènent une campagne d'attentats sanglante dans le pays depuis plus de trois ans, ont juré de venger Ben Laden et la sécurité a été considérablement renforcée dès lundi à Islamabad, comme dans les zones sensibles de plusieurs villes. Des centaines de personnes ont participé à Karachi (sud du Pakistan) à des prières spéciales pour Ben Laden, à l'initiative d'une organisation charitable figurant sur la liste américaine des groupes terroristes. Au Soudan, un millier de manifestants se sont rassemblés à Khartoum, où Oussama ben Laden a vécu dans les années 1990, saluant dans le chef d'Al-Qaïda un “martyr” et scandant des slogans anti-américains. En Egypte, Ahmad al-Tayeb, grand imam d'Al-Azhar, la plus haute institution de l'islam sunnite, a estimé que la mort d'Oussama Ben Laden ne mettrait pas fin au terrorisme, qui trouve selon lui sa source dans la politique d'Israël. A propos du Proche-Orient, les Etats-Unis ont jugé que la condamnation par le mouvement palestinien Hamas du raid américain était “scandaleuse”. Le chef du gouvernement du Hamas à Gaza, Ismaïl Haniyeh, avait condamné lundi le raid américain, y voyant “la poursuite de la politique d'oppression américaine fondée sur l'effusion du sang des Arabes et des musulmans”. A Guantanamo, les détenus de la “guerre contre le terrorisme” ont appris la mort d'Oussama Ben Laden “au même moment et de la même manière que le reste du monde” et la nouvelle n'a pas provoqué de perturbation dans la prison, a-t-on appris auprès du Pentagone.