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Entretien avec M. Mohamed El Manouar, écrivain et activiste amazighe : «Tamazight langue officielle»
Publié dans Albayane le 17 - 04 - 2011

Présentez-vous pour les lecteurs de la page « Imalas n tmazight ».
Que puis-je dire ? Au risque d'être elliptique, je commencerai par dire que je suis natif de Lakhmis n Sidi Bu Yahya dans igherm n Amednagh situé dans l'actuelle province de Tineghir. J'ai servi l'administration de mon pays pendant plus de trois décades et dans différents secteurs d'activités, à l'intérieur comme à l'étranger notamment l'Arabie Saoudite et la France.
Après avoir été débarqué certainement pour des raisons d'incompatibilité de caractères ou de je ne sais quoi, j'ai renoué avec ma passion d'écrire, une thérapie qui m'a fait revisiter ce havre de paix que sont la lecture et l'écriture. En plus des publications sur le Sud-est, la constitutionnalisation de Tamazight, Tahmiddoucht, j'ai contribué avec presque 150 articles dans la presse nationale et internationale sur des sujets variés dont une grande partie était consacrée à Tamazight et au développement local.
Votre réaction aux réformes constitutionnelles contenues dans le dernier Discours du Souverain.
Je dois commencer d'abord par un constat liminaire. Le discours royal est une réponse claire, courageuse, sans équivoque et sans concession aux réelles préoccupations qui traversent notre société. Par les grands principes sur lesquels il se fonde, il rompt avec tous les avatars d'un passé peu glorieux en matière des droits humains faits de liberté, de démocratie, d'égalité et de dignité. Le 9 mars 2011 marque un tournant que d'aucuns ne prévoyaient une semaine auparavant. Il est en contre courant de tous les résidus nostalgiques d'un temps révolu où primaient l'oppression, l'arbitraire de ceux qui se sont mis hors la loi, qui se considèrent au-dessus des lois, ceux qui dénient l'existence de l'autre, ceux qui ont cultivé avec constance un narcissisme exagérément béat et bâti indûment et sous les regards hilares de tous, un rempart contre le besoin et l'aléatoire.
En mettant en avant la diversité culturelle et linguistique, le discours coupe court net aux allégations fallacieuses, aux discours surannés, faisant de la reconnaissance de la véritable identité nationale un prélude à l'anarchie et aux manœuvres séparatistes et rompt ainsi avec le caractère fallacieux du paradigme de la pensée unique faisant des revendications amazighes un prolongement d'un complot sioniste contre l'arabe et l'Islam.
Le discours royal s'inscrit donc dans une vision moderne, démocratique, égalitaire de ce que sera le système de gouvernance du Maroc de demain. Un Maroc qui ne marginalisera plus ses hommes et ses femmes. Un Maroc de justice et de mérite qui bannit de manière irréversible les monopoles dans l'exercice du pouvoir et des prérogatives qui en découlent, loin des critères de filiation et d'alliances stratégiques. Le discours royal réserve une place importante à la séparation des pouvoirs et particulièrement à l'indépendance de la justice et sa sécurité contre les manipulations de toute sorte et son instrumentalisation à des fins politiques et économiques. Une justice indépendante et juste où la présomption d'innocence, l'égalité de tous, la liberté d'ester et de défendre ses droits dans sa langue, mettraient fin à toutes les recrudescences et aux procès spectacles qui l'avaient dominés auparavant.
Comment concevez-vous la place qui devra être accordée à l'amazighité (langue et culture) dans la prochaine constitution ? Sera-t-elle langue officielle ?
Il me semble qu'il n'y a pas une autre alternative. On n'a pas besoin de dire que Tamazight est une langue nationale. Elle l'est par la force de l'histoire, de la toponymie, des locuteurs, des traditions et de la culture. Elle l'est, dans la mesure où il ne s'agit pas d'une création ex nihilo. Elle est omniprésente et a survécu à tous les cataclysmes et les perfidies de l'homme et de l'histoire. C'est une réalité sociale, culturelle, politique, économique qui jonche les boulevards du quotidien de tous les marocains. Elle n'est pas une nostalgie des temps passés, et encore moins, une sorte de parure magique qui disparaît au lointain.
Toute la société civile s'accorde à ce que Tamazight soit une langue officielle à côté de l'arabe. Et, qui plus est, toutes les revendications passées et actuelles vont dans ce sens. En tant que langue officielle, les textes fondateurs reconnaîtront ce socle incontournable de l'identité et de la culture nationale et, partant, de l'homme lui-même qui se sentira, en effet, être finalement reconnu dans ses valeurs qui s'inscrivent dans l'universalité. Sa reconnaissance mettra fin à une discrimination sournoise que seuls ceux qui ont en été victimes connaissent la profondeur.
On ne peut, en aucune manière, vouloir occulter la dimension amazighe dès lors qu'on s'achemine, à coup sûr, vers un système démocratique, moderne, ouvert sur l'intemporel et sur les valeurs du droit international universel. L'officialisation de tamazight, langue et culture, n'est, en réalité, que la suite logique de toutes les réformes initiées par le Souverain depuis 1999 en passant par des moments péremptoires qui caractérisent l'histoire moderne de notre pays, à savoir, le discours d'Ajdir du 17 octobre 2001 et le Dahir portant création de l'IRCAM et toutes les mesures subséquentes qui visent la sauvegarde et la promotion de l'amazighité et son intégration dans la vie nationale. Ces mesures qui dénotent d'un début de réconciliation avec soi-même étaient caractérisées par une propension à détruire l'un des grands tabous de notre histoire moderne alimenté de façon pernicieuse par l'idéologie de la pensée unique qui a prévalu des décennies durant. En revanche, sa sauvegarde est une affaire et une responsabilité qui doivent interpeller sans exclusive tout un chacun de nous, notamment les « intellectuels », les Institutions, les organisations politiques et la société civile ; car il s'agit d'un patrimoine national. En dépit de plusieurs résistances sournoises qui ne disent point leur nom, force est de constater que des mesures concrètes ont été prises, notamment dans le domaine de l'introduction de l'enseignement de Tamazight dans notre système éducatif, dans celui des médias et des différentes publications ayant trait à un grand pan de notre patrimoine, un patrimoine universel.
Quelle est votre conception de la régionalisation dans sa dimension culturelle ?
Dans une démarche démocratique, la gestion des affaires publiques doit être l'apanage des citoyens qui sont au fait des besoins, des contraintes et des richesses locales et régionales. La régionalisation, nonobstant toute la configuration technique de découpage territorial, les équilibres, les ressources financières, humaines et naturelles ainsi que toutes les mesures d'accompagnement, peut être l'une des solutions démocratiques susceptibles d'enclencher le processus d'un développement durable en termes économique, social, politique et culturel. La régionalisation est, pour ainsi dire, la manifestation d'une volonté politique qui sous-tend une préoccupation de développement, dans le sens générique du terme. La culture est indissociable du développement. La diversité culturelle est une richesse incommensurable et un levier essentiel pour le développement économique et la promotion sociale. Si la régionalisation telle qu'elle est conçue apporte un cadre de développement, elle est surtout une opportunité inespérée pour assurer la promotion de nos richesses patrimoniales. On a souvent parlé de potentialités énormes dont nous disposons. Mais, on se soucie peu d'en assurer l'expertise. Notre patrimoine architectural, nos gravures rupestres, nos savoir-faire sont dans un état généralement piteux et désolant. Nos richesses traversent impunément nos frontières. Le concept de régionalisation est peut-être une occasion et un cadre qui permettent de prendre en charge ce patrimoine inestimable, sans lesquels le développement restera une chimère et une fiction. La région aura en charge d'énormes responsabilités dans ce domaine. Tout dépendra, bien entendu, de ceux et celles qui en auront la charge !
La région du Tafilalt – Dra englobe les provinces de Ouarzazate, d'Errachidia, Figuig, Zagora et Tineghir. Cette région repose-t-elle sur des critères objectifs ? Lesquels ?
La proposition faite par la commission consultative chargée de la régionalisation innove en la matière puisqu'elle revoie, de fond en comble, la configuration actuelle d'une région partagée entre Meknès et Agadir. Je pense, sans préjuger des résultats de ce découpage et de son impact sur le bien être social et culturel, que la nouvelle région Tafilalt-Dra est une région homogène sur tous les plans, notamment humains, historiques et culturels. Sur le plan historique, elle a toujours été un ensemble de deux pôles complémentaires, Tafilalt, Dra qui se partageaient le leadership régional en alternance. Il va sans dire que les régions de Dads, Skura, Tudgha, Igulmimn et d'autres renforçaient cet ensemble géographique qui dispose de véritables atouts tant sur le plan touristique, cinématographique, agricole, minier et surtout humain. En effet, l'espace géographique régional, par sa diversité, son authenticité, son pittoresque et sa beauté est considéré, à juste titre, par toutes les expertises, comme l'élément essentiel qui fait de cette partie de notre pays, l'une des régions du pourtour méditerranéen, à fort potentiel surtout dans le domaine des loisirs et des voyages. Le patrimoine architectural, les arts et la culture populaires dans toutes leurs dimensions constituent le cadre global pour un développement économique sectoriel adéquat.
Bien sûr, la région manque encore de certaines infrastructures. Son enclavement et les difficultés d'accès sur le plan terrestre restent une donnée objective malgré l'existence d'infrastructures aéroportuaires et autres. L'accessibilité aux différents sites d'intérêt touristique et minier pose problème en raison de l'inexistence ou de l'état des infrastructures routières, d'accueil et d'animation culturelle.
Le problème n'est pas tant de disposer de richesses naturelles aussi variées que possible. Le défi est de pouvoir dégager des élites qualifiées et aptes à gérer au mieux les affaires régionales et à prendre en charge un développement régional intégré.
Estimez-vous que la « décentralisation » de l'IRCAM puisse constituer une option qui renforcera le travail de proximité ?
La décentralisation est une approche qui se préoccupe de la proximité et qui vise avant tout l'appréhension des spécificités locales et régionales. Bien que le Dahir instituant et organisant cette Institution ne le permette pas pour le moment, je pense que sa décentralisation apportera une plus value certaine à la culture, à la langue et à la civilisation amazighes dans toutes ses richesses. Ces antennes régionales pourraient jouer un rôle prééminent dans l'enrichissement du lexique dans tous les domaines, dans la collecte des traditions, des contes, des arts dans toutes leurs variantes et des savoir-faire dans toute leur diversité. Les enjeux sont d'une telle intensité, la richesse et la diversité du patrimoine amazighe sont tel qu'il ne serait pas inutile de prévoir à terme des antennes régionales de cette institution.
Comment appréciez-vous les mouvements de jeunesse qui secouent l'Afrique du nord et les pays du Moyen-Orient ?
Il s'agit simplement d'un phénomène sociologique porteur d'une volonté de changement social et culturel dans leur acception sociologique. Le soulèvement pacifique conduit par la jeunesse au nord de l'Afrique et dans plusieurs pays du Moyen-Orient est la manifestation logique d'un déphasage entre des générations, une qui regarde avec nostalgie et avec une certaine hystérie les fastes du passé et se réconforte dans le présent et une autre désœuvrée qui subit la mal vivre du présent et qui regarde l'avenir avec inquiétude et se révolte.
Ce phénomène consacre une fissure sociale d'inégalité qui se creuse à vue d'œil entre une caste qui s'enrichit et d'autres qui s'appauvrissent. Après tout autant en finir ! C'est en quelque sorte, je ne dirai pas, le courage du désespoir mais plutôt l'espérance du futur. Ce jusqu'auboutisme traduit incontestablement une véritable volonté de changement à laquelle aspire une jeunesse qui est loin de toute obédience partisane et idéologique. Ses revendications sont d'un réalisme et d'une finesse réconfortants. Son discours est loin d'être propitiatoire.
Il traduit crûment des réalités que plusieurs des protagonistes aux commandes s'efforçaient dans leur arrogance coutumière de vouloir ignorer.
Quelle évaluation faites-vous du travail accompli par l'IRCAM ? Quid des critiques qui lui sont adressées ?
Pour mieux appréhender l'œuvre accomplie par l'IRCAM en si peu de temps, il faudrait peut-être faire la distinction entre deux périodes. La première qui n'était pas la moins facile, était consacrée à ce qu'on pourrait appeler la période d'établissement avec tout ce qu'elle implique comme procédures.
La seconde, dont les frontières ne sont pas étanches avec la première, met plus l'accent sur la production et la création. Au bout d'une décade, je pense que ce qui a été réalisé par cette institution est plus que satisfaisant. Bien sûr, il est perfectible et je ne suis pas entrain de dire que tout est dans le meilleur des mondes. Je suis de ceux qui ne sont jamais pleinement satisfaits des réalisations, autant les retards accumulés sur plusieurs décennies nous poussent à être encore plus ambitieux.
Il faudrait savoir aussi que l'énorme travail réalisé soit en interne ou en collaboration avec certaines institutions publiques est l'œuvre d'une équipe très restreinte sur le plan quantitatif.
Et, faudrait-il le souligner, plusieurs institutions partenaires mettent peu d'entrain à aller jusqu'au milieu de ce que nous souhaitons.
D'autres ne se sentent pas du tout concernées par cette volonté de changement. En un mot, je dirai que personne ne pourra dire aujourd'hui que la volonté, j'allais dire politique, mais en réalité royale, n'existe pas.
Elle est là et a été affirmée à plusieurs occasions. Par contre, la traduction de cette volonté en actes concrets, pose un vrai problème et obstrue cette propension à transcender cette pesanteur étouffante d'une idéologie d'exclusion certaine qui est loin de répondre aux attentes plurielles de nos concitoyens.
Pour les critiques, pour le moins qu'elles soient objectives et constructives, personnellement je les approuve et j'en fais miennes, car elles apportent la contradiction et permettent d'aller de l'avant dans cette entreprise. Par contre, les autres qui ne cultivent pas notre ignorance, sont comme une fleur dans l'espace d'un petit matin.
Votre dernier mot.
J'espère qu'il ne sera pas le dernier. Nous sommes tous à l'orée d'une nouvelle ère, un tournant décisif de notre histoire, une réconciliation avec nous-mêmes et avec notre histoire dont les racines traversent des millénaires.
L'amazighité n'est pas un affluent de l'identité, elle est notre identité enrichie par des affluents venus d'ailleurs et qui ont trouvé dans ces pays du nord de l'Afrique un terrain propice pour s'épanouir et vivre dans une quiétude. Tudert i tmazight.
La poésie de Hawad : Comment résister à la dépossession de soi
Houle des horizons, voici le titre du énième attentat poétique que Hawad [1] vient de commettre.
Ce recueil paru en février 2011 aux éditions Non-lieu, est traduit du touareg par Hawad et Hélène Claudot-Hawad [2], chercheuse et directrice de recherche au CNRS. Il est à la fois un ouvrage de poésie, pure, et un livre sonore (CD) en Tamajaght. Notre poète peint avec brio sa «furie», par des «avalanches» de mots pour signifier au monde les maux et le désastre des horizons coupés. Il martèle sans relâche le visage défiguré de son biotope, un territoire «balafré» par des frontières arbitraires, un air pollué et «nucléarisé» par les essais atomiques français des années 60, un peuple colonisé, décolonisé ( ?) et «re colonisé», Hawad n'abdique pas. Il titille les consciences, chatouille les sensibilités, dénonce, comme à chaque fois, cette soif dévorante de l'ogre, celle de consommer plus et de briller plus au détriment d'un peuple et d'une culture, nés libres et qui tiennent à le rester, les Imujaghs. L'ogre, c'est l'Occident, c'est la France, cette patrie des droits de l'Homme qui se plaint toujours que son grenier n'est pas plein.
La furigraphie de Hawad est un tsunami de mots et de verbes qui déchirent le silence, le silence du désert perdu, dit-on. Le silence d'un désert écrasé sous des engins mécaniques à la recherche d'un atome d'uranium pour qu'en France et en Navarre la lumière soit. Le silence des hommes libres sans horizons privés de nomadisme «Ah si je pouvais tout seul - prendre le haut du désert - bourrasque houle horizon – bourrasque pénétrant l'horizon – jusqu'à avaler de travers le silence – écho du néant à venir – sans homme en vue», dit Hawad.
Areva [3] «la française» ce n'est pas la belle au bois dormant, mais cette sorcière qui pilonne les entrailles de Kawsan [4] et qui profane «les crânes fossilisés» des ancêtres à la recherche de cette particule atomique tant convoitée et sur laquelle l'Ogre veille farouchement. Après le massacre écologique du pays touareg sans équivalent, après une violence et une agression psychologique sans nom, l'Ogre «s'offre» une guerre clé en main (avec l'aval de l'ONU) comme un enfant une console de jeu pour libérer des peuples en lutte ose-t-il nous le faire croire. Le monde moderne ne s'est pas totalement débarrassé de ses réflexes et de ses pratiques primitives. La puissance des uns écrase – toujours - la faiblesse des autres, et cela ne semble déranger aucune conscience ni de gauche ni de droite ni même Verte. Cet ordre mondial régi par le poids des rapports de force n'est ni juste ni équitable. Il est tout simplement indécent !
Hawad refuse le renoncement et la fatalité. Hawad ne capitule pas, il mobilise, ses armes-mots pour perpétrer des embuscades poétiques et tenter de débusquer l'Ogre pour redonner vue, la vue des horizons infinis. Hawad a la solution de son équation : même si son combat est inégale, entre celui du matériel et de l'immatériel, celui du sens et du non-sens. Il y croit. Il a raison de l'être, le poète se nourrit d'espoirs. Alors, l'une des choses à faire, cher lecteur, c'est de lire et de faire lire Hawad.
Mestafa G'idir .
PS. Selon les dernières nouvelles, l'ouvrage de Hawad serait remboursé par la sécurité sociale malgré la ferme opposition d'Areva.
Mestafa g'Idir
hawad
Notes
[1] Hawad est écrivain et artiste Peintre touareg, auteur de nombreux ouvrages dont certains sont traduits dans plusieurs langues.
[2] Hélène Claudot-Hawad est Anthropologue et Chercheur au CNRS, elle travaille sur le monde Touareg depuis plus de 30 ans. Hélène Claudot-Hawad est Anthropologue et Chercheur au CNRS, elle travaille sur le monde Touareg depuis plus de 30 ans.
[3] Areva : groupe industriel français spécialisé dans les métiers de l'énergie nucléaire.
[4] Kawsan, Touareg noble des Ikazkazen de l'Aïr, leader du soulèvement général des Touaregs contre la colonisation française (1916 et 1918). Ce projet de lutte mobilisa les cinq grands pôles politiques touaregs. Il inspira une grande crainte aux autorités coloniales qui déployèrent pour le combattre des moyens à la hauteur de cette peur (Camel, 2003). Le nom de Kawsan est devenu synonyme de cette époque marquée par la guerre, la résistance, l'exil et une répression extrême ; après la révolte, la démographie de l'Aïr avait diminué de moitié
Le Web amazigh
Une rencontre consacrée au Web amazigh a eu lieu à Levallois dans les Hauts-de-Seine le 20 janvier dernier. L'Internet joue un rôle inédit. Depuis la fin des années 1990, le réseau a été investi par les Berbères de l'immigration pour devenir un lieu de revendication et de transmission d'une culture marginalisée. Les intervenants ont tenté de définir les contours de ce mouvement et d'en cerner les enjeux.
Voici la première partie de la conférence-débat.
La rencontre est un peu atypique, elle a lieu un dimanche matin. Le sujet du débat est tout aussi particulier : l'Internet amazigh. Officiellement, l'Algérie et le Maroc sont des «pays arabes» Même chose pour les populations issues de l'immigration. Les médias les appellent « Maghrébins », « beurs », « musulmans ». Avec de bonnes ou de mauvaises intentions, la presse écrite, la radio et la télévision utilisent l'une ou l'autre de ces identités. Quant à se définir comme « berbère », c'est une autre paire de manche. Du moins, jusqu'à l'arrivée d'Internet. Avec ce média, chacun peut se définir comme il l'entend, sans tenir compte des règles idéologiques, économiques et sociales. Pour parler de l'Internet amazigh, quatre intervenants ont pris la parole lors d'un débat organisé à Lvallois, dans la banlieue ouest de Paris le 20 janvier dernier. La rencontre, organisée par l'Association franco berbère de Levallois et Rezki.net a donné lieu à un échange avec le public. A la tribune, Samy Berkani, webmaster et créateur de La-Kabylie.com, Bélaid Haddouche, président de l'association hôte, Abdellah, administrateur de plusieurs sites berbères marocains et moi pour Rezki.net.
La voix de l'immigration
Je suis intervenu pour me présenter et décrire l'Internet kabyle. Le Web abolit les frontières d'espace et de temps, il donne accès à une information immédiate. S'agissant des internautes, j'explique que « c'est la première fois que par un média ils s'identifient clairement en tant que Berbères ». Dès la fin des années 1990 naissent des sites pionniers comme Mondeberbere.com et Kabyle.com. Ces médias ont vu le jour dans l'immigration, car l'Internet a commencé à se développer à partir des pays industrialisés. Dès 2002 et 2003, l'ADSL se démocratise en France et le nombre de sites augmente fortement. C'est aussi l'ère des grandes questions.
L'éclatement du Web kabyle
Les grands sites s'organisent en « rédactions », mais rapidement elles sont soumises à une forte instabilité. Au départ, les rédacteurs acceptent d'écrire sans être rémunérés, car ils viennent pour s'exprimer et pour obtenir une forme de reconnaissance. En 2005, Kabyle.com connaît une scission, l'ancienne rédactrice en chef quitte le groupe avec une partie de l'équipe, elle crée Kabyles.com. En 2006, des membres de Kabyles.com partent pour lancer Kabylienews.com aujourd'hui disparu. Depuis, Kabyles.com est devenu Kabyles.net. Ces bouleversements sont riches d'enseignements.
La première question est celle de la professionnalisation. Actuellement, seul Kabyle.com fait vivre ses dirigeants, mais aucun site kabyle ne peut rémunérer ses rédacteurs pour offrir un contenu professionnel.
D'où le deuxième problème, le manque de contenus a amené les sites kabyles et plus généralement berbères à se copier les uns les autres.
Troisièmement, le manque de contenu a entraîné une dérive. Plusieurs sites se sont mis à copier à l'identique les communiqués des associations et les articles des grands médias sans rien apporter de neuf. Résultat, le Web amazigh n'a pas su trouver un ton différent des médias traditionnels. Mondekabyle.com né en 2005 a été une tentative de faire émerger une voix différente, mais il fini par disparaître faute de rédacteurs. L'une des rares expériences de cyber journalisme a vu le jour en Kabylie, à l'initiative du journaliste Mohand Saïd Belkacemi (BMS).
Au cours de ces derniers mois, les Kabyles restés aux pays occupent un rôle de plus en plus important.
Parmi eux figure justement BMS.
Pour finir, Kabyle.com et Kabyles.net sont devenus des médias transméditerranéens : ces deux portails ne publient plus seulement des articles écrits en France, les rédacteurs de Kabylie jouent un rôle important. D'autres aspects n'ont pas été abordés ici, notamment le Web en langue kabyle ainsi que les blogs et les projets culturels comme Kabylpedia. Ils ont été évoqués plus loin lors de l'échange avec le public.
La méthode marocaine
Le deuxième intervenant, Abdellah a dressé une description de l'Internet berbère marocain. Tout comme pour les Kabyles, le premier objectif était d'« exister ». Ici les pionniers s'appellent Leschleuhs.com et Souss.com. Leur force tient au fait qu'ils ont tissé des liens pour constituer des « communautés virtuelles » de milliers de membres. Puis est né Imurig.net, un portail culturel axé sur « un balayage de toute la scène culturelle chleuhe ». Abdellah a lui aussi son site appelé Aamazighblog, il est également administrateur de Amazighweb (nouveau nom de Leschleuhs.com) et Imurig.net. A la différence du Web kabyle, les Amazighs marocains travaillent ensemble, on retrouve globalement les mêmes personnes dans plusieurs projets.
On retrouve le même obstacle : le manque de contenu, « presque un copier-coller d'un site à l'autre ». Lorsqu'un communiqué a été publié, presque tous les portails le mettent en une. Les responsables des différents médias ont alors réfléchi à un projet permettant de partager le travail et de donner une cohérence à l'ensemble. Un portail actuellement en projet consiste à rassembler « un ensemble de sites reliés par des fils RSS ».
Les médias déjà existants pourront alors se spécialiser : Amazighweb.com servira de forum, Souss.com de magazine et Imurig.net sera dédié à la musique. La nouvelle entité permettra de leur donner une visibilité à l'ensemble. Le portail commun pourra aussi d'héberger d'autres contenus : les internautes auront la possibilité de créer un blog.
Des entreprises sur Internet
Samy Berkani, le troisième intervenant est webmaster professionnel. Le créateur de La-Kabylie.com estime que la professionnalisation est possible à une condition : « on doit faire en sorte que nos sites deviennent des entreprises à part entières ». Tout commence par la visibilité. Beaucoup de webmasters n'ont pas fait les efforts nécessaires pour améliorer leur référencement par les moteurs de recherche. Résultat, quand on tape « Kabylie » dans Google, La-Kabylie arrive avant Kabyle.com et même Wikipédia. Pour « kabyle » et « berbère », La-Kabylie tient une place honorable. Dans ses pages, le site offre une information originale, écrite avec le concours de chroniqueurs installés en France et en Kabylie. Dès le départ, Samy a eu l'idée de contacter les autres sites et il a constaté que les réponses étaient très rares. Le webmaster estime que les désaccords sont une chose naturelle, chaque site ayant sa propre ligne éditoriale ; en revanche, il estime que « si on veut donner l'image de démocrates, laïcs ouverts, on doit d'abord être nous-mêmes ».Rezki.net
Premier dictionnaire monolingue Kabyle-Kabyle
C'est un événement historique pour tous les Kabyles et tous les amazighes. Le premier dictionnaire monolingue Kabyle-Kabyle vient de naître avec ses 6000 entrées. Son concepteur, un enseignant au département de la langue et civilisation amazigh à l'université de Vgayet, le Dr Kamel Bouamara. Sa sortie est prévue pour la semaine prochaine aux éditions l'Odyssée de Tizi-Ouzou.


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