Un ministère qui ne comprend pas, un syndicat qui n'entend pas et, des avocats qui eux, entendent entrer dans le tour de table, c'est en résumé le nouvel épisode des grèves des greffes. Un moment particulièrement abscons dans la série des pas de deux auxquels les fonctionnaires des tribunaux et leur ministère de tutelle ont gratifié les justiciables tout au long de ces neuf derniers mois. Car voilà bien neuf mois que la justice marocaine est clouée sur la table des négociations des syndicats et de l'administration. Et durant tout ce temps où le système judiciaire marocain est pris en otage, les affaires des justiciables n'ont cessé de péricliter. Alors, de ce bras-de-fer qui n'en finit plus de ne pas finir, tout le monde en a ras-le-bol : le ministère, les avocats, les justiciables et le citoyen. Car rater la cible quand on en a été si près, il faut vraiment y mettre du sien pour y arriver. Selon le Département de la Justice, c'est ce qui est arrivé quand, à contre courant de l'accord intervenu le 2 février, les greffiers ont observé de nouvelles grèves les 8,9 et 10 février. Pourtant, affirme un communiqué du ministère rendu public jeudi, les syndicats avaient obtenu satisfaction sur toutes leurs revendications. Ainsi de l'engament à amender l'article 4 du statut de la fonction publique vers une affirmation de la spécificité du statut de fonctionnaire de justice et , de la présentation du projet en conseil du gouvernement ainsi que devant le Parlement avant la fin du mois d'avril. Ainsi également de l'amendement de l'arrêté 403, recadré de manière à permettre des avancements exceptionnels aux fonctionnaires judiciaires. Et il en serait de même pour les gratifications, dont le montant de 250 millions de dirhams devrait être servi en deux temps à partir du mois de juillet. Idem pour le règlement immédiat des primes annuelles forfaitaires et , pour la promesse de poursuivre le dialogue sur le statut des fonctionnaires. En contrepartie, dit le communiqué, les syndicats n'étaient comptables que de la cessation du mouvement des grèves jusqu'au mois d'avril, date à laquelle le projet d'amendement aurait atterri devant le Parlement. Pour le ministère qui avance que les discussions se sont déroulées dans un climat plus que serein et que tous ont quitté la table avec l'intention déclarée de défendre l'accord, la volte-face du Syndicat Démocratique de Justice - un des trois représentés- est surprenante. En fait, elle l'est beaucoup moins quand on sait que la rédaction des points acceptés avait fait l'objet d'une âpre diatribe entre représentants du ministère et ceux des syndicats ; polémique qui avait porté sur le point de savoir s'il fallait intituler le document final procès verbal ou s'il fallait l'appeler accord. Les avocats parlent à ce sujet de forme et de fond et disent que quand on ne s'entend pas sur la forme, on s'entend rarement sur le fond. Ils ont également dit leur irritation croissante devant le spectacle d'un système judiciaire paralysé par les grèves répétitives des auxiliaires de justice. Quelques heures seulement après la prestation des représentants du ministère, l'association des barreaux du Maroc a provoqué une conférence de presse au cours de laquelle elle a mis en garde contre la menace que fait peser la poursuite du déni de greffe sur la profession. Pour y faire face, elle envisage des arrêts de travail de deux heures, le port de brassards et aussi des sit-in devant le Parlement. A sons sens, l'enjeu de la partie est grave. « A ter me, a dit son Président, ce sont les 10.000 cabinets d'avocats que compte le Royaume qui vont mettre la clef sous la porte». Or, a-t-il ajouté, « partant du fait que chaque cabinet emploie 3 à 4 personnes, ce sont donc quelque 40.000 familles qui risquent de se retrouver dans la gêne. » En somme, en impliquant tout à la fois les fonctionnaires de justice, le ministère, les justiciables et 40.000 familles … la grève des greffes est devenue un problème national. Et c'est précisément au nom de l'intérêt national que l'association a favorablement répondu à la demande du ministère de participer à d'éventuelles discussions entre les greffiers et leur ministère de tutelle. Afin de jouer les modérateurs. Mais, la nouvelle greffe prendra t-elle ? Il faut sans doute attendre pour juger.