Ali Sedrati, président de l'AMIP, considère que le benchmarking effectué par l'étude du BCG, réalisée au profit du ministère de la santé, ne permet pas d'extrapoler de manière rationnelle les mesures adoptées dans certains pays occidentaux au Maroc. Toutefois, Ali Sedrati souligne que les industriels locaux adhérent parfaitement à l'engagement du département de la tutelle de n'autoriser que des médicaments génériques de qualité. Reste à savoir que l'étude stratégique pour le développement du secteur pharmaceutique réalisée dans le cadre du Plan émergence doit être concrétisée par un Contrat Cadre qui définit un plan de développement sur les dix prochaines années, précise le président de l'AMIP. Al Bayane : selon vous, la réaction de la FNSPM au rapport de Boston Consulting Group (BCG) est-elle justifiée ? Ali Sedrati : Elle est totalement justifiée et ce pour les raisons suivantes : notre pays dispose d'environ 10000 pharmacies d'officine installées dans toutes les villes et localités du Royaume. Sur le plan social ces acteurs de la santé (diplômés bac+7) contribuent de manière importante au développement de la politique menée par l'Etat dans le secteur de la santé. Cependant, sur le plan économique, les pharmaciens d'officine rencontrent de grandes difficultés ces dernières années (prés de 40% des pharmacies en situation financière défaillante). Et la mise en place de nouvelles mesures découlant de l'étude BCG vont, certainement, entraîner la dégradation d'un nombre bien plus grand. En effet, le benchmark effectué dans cette étude avec des pays de grande consommation et même d'excès de consommation (du fait de leur système de prise en charge, exemple la France) ne permet pas de transposer de manière rationnelle les mesures adoptées par ces Etats au Maroc. Certains laboratoires de l'industrie déplorent le retard constaté du Ministère de la Santé au niveau des autorisations de mise sur le marché (AMM). Pouvez-vous nous éclairer encore plus sur ce sujet ? Le Ministère de la Santé dispose d'une Direction de Médicaments et de la Pharmacie et d'un Laboratoire National de Contrôle des Médicaments, avec les moyens humains et matériels satisfaisants et suffisants qui appliquent des normes conformes aux directives de L'Union Européenne. Ceci permet d'assurer un médicament de qualité pour nos citoyens. Mais comme dans ces pays développés, l'enregistrement d'un médicament avant sa mise sur le marché nécessite l'étude, l'approbation, l'analyse du dossier, des matières premières et des produits finis par les autorités. Et les délais nécessaires sont environ 12 à 18 mois s'il n'y a pas de défaillance dans les éléments constitutifs de cette demande d'AMM introduite par la société concernée. Cependant il se peut qu'il y ait du retard ces temps-ci du fait des nouvelles procédures en cours de mise en place pour la fixation des prix et autres décrets d'application du code du médicament de 2006. Nous avons attiré l'attention de notre administration de tutelle et espérons que tout ceci va se résoudre pour permettre aux opérateurs de respecter leurs engagements de maintien et de développement de leurs activités. La décision de la CNOPS de ne plus acheter que le médicament générique a suscité tout un tollé. Les médecins du secteur privé ont appelé le département de Yasmina Baddou à clarifier deux éléments selon eux, d'une importance cruciale. D'abord la bioéquivalence des médicaments génériques, et aussi la traçabilité de la matière première. Cela donc pose des questions sur la qualité du médicament générique. Partagez-vous cet avis ? La décision de la CNOPS de ne plus acheter que le médicament générique est conforme à la loi de l'Assurance Maladie Obligatoire de 2005 qui stipule que le remboursement doit se faire sur le prix de référence du générique. Il n'y a donc aucun reproche à lui faire. Et ce d'autant plus qu'elle a la responsabilité d'optimiser ses dépenses et respecter ses contraintes budgétaires. Et dans le respect de notre système libéral et de notre loi sur les brevets, notre administration a permis aux organismes de financement des soins de disposer d'une grande concurrence dans les prix des médicaments mis sur notre marché, que se soit entre des médicaments d'innovation ou avec et entre des médicaments génériques. Tous ces médicaments sont autorisés par le Ministère de la Santé après garantie de leur qualité. Pour ce qui est de la bioéquivalence, il faut savoir qu'elle ne concerne que certaines formes galéniques de médicaments (dans les formes solides, et ce pour certaines substances actives…). Beaucoup de médicaments génériques sur le marché marocain disposent déjà de leur bioéquivalence. Il faut savoir, par ailleurs, que le Ministère de la Santé (DMP) contrôle en permanence la matière première utilisée par chaque laboratoire sur la base du dossier technique exigé au niveau international (appelé Drug Master File) pour chaque substance, et du bulletin d'analyse de chaque substance active déposé mensuellement par chaque laboratoire concerné. Et ceci pour assurer la traçabilité de la matière première utilisée. En plus du test de dissolution comparative entre l'original et le générique exigé dans le dossier. (C'est probablement le seul pays aujourd'hui en Afrique à avoir mis en place un tel système qui sécurise la qualité du médicament mis sur le marché). D'autre part l'utilisation directe par les médecins et leurs patients de médicaments génériques sur le marché depuis plusieurs années et pour des pathologies réelles (tels les antibiotiques…) et ce sans aucune réclamation des citoyens soignés ou de leurs médecins ou pharmaciens, nous conforte encore plus dans cette sécurité. D'autre part, un décret d'application est en cours d'adoption pour rendre obligatoire la bioéquivalence quand c'est nécessaire. Bien sûr, la mise en application de ce décret ajoutera encore plus de garanties. La Ministre de la Santé a été claire, en déclarant qu'elle n'autorisera que des médicaments génériques de qualité, les laboratoires nationaux locaux se plaignent aussi du coût assez cher de la fabrication des médicaments, vu la cherté de la matière première, comment alors résoudre une telle équation ? Nous adhérons totalement à l'engagement de Madame la Ministre de la Santé de n'autoriser que des médicaments génériques de qualité. Et c'est pour cette raison qu'à travers notre association, (l'AMIP), la totalité des opérateurs ont approuvé déjà depuis plusieurs années toutes les procédures proposées pour l'enregistrement et l'autorisation des médicaments sur notre marché (cf. les circulaires 48 et 49 conformes aux normes internationales et particulièrement aux directives de l'UE). Il est un fait que les normes internationales qui sont de plus en plus rigoureuses en matière de qualité et que notre pays applique largement, ont leur incidence sur le prix de revient du médicament. La qualité ne se négocie pas et la sécurité de nos citoyens et la crédibilité de notre pays sur le plan international sont capitales pour nos autorités et nous également. Et c'est la raison pour laquelle nous devons être fiers du secteur du médicament (depuis le fabricant ou importateur en passant par le grossiste, du distributeur, au pharmacien d'officine) et des réglementations rigoureuses mises en place par notre administration depuis l'indépendance qui nous permettent d'assurer nos citoyens d'une qualité de médicaments et d'utilisation digne des pays les plus développés en la matière. D'autre part, en ce qui concerne les médicaments génériques en général, ils peuvent disposer de matières premières vendues sur le marché international (avec des garanties de qualité comme je l'ai déjà expliqué), ce qui permet de les mettre sur le marché à un prix plus accessible. Quelles sont les contraintes qui bloquent le développement de l'industrie pharmaceutique locale ? Etant de nature optimiste, je préfère d'abord mettre en valeur les atouts de ce secteur pour notre Pays: Développée depuis l'indépendance avec un encadrement réglementaire et administratif très efficaces, elle permet à notre pays d'avoir aujourd'hui : -Plus de 60% de notre consommation en fabrication locale de médicaments aussi bien d'innovation que génériques. -Un médicament de qualité reconnu internationalement qu'il soit fabriqué ou importé. -Un patrimoine pharmaceutique aujourd'hui marocain maîtrisant une technologie de pointe avec pratiquement la quasi-totalité des opérateurs et acteurs du médicament marocains. -Un maillon essentiel dans la chaîne du développement de la recherche dans ce domaine et de la formation de nos diplômés et employés. -D'un secteur de haute technologie qui peut contribuer de manière certaine au développement socioéconomique de notre Pays. Bien sûr qu'il rencontre des contraintes comme beaucoup de secteurs industriels à travers le monde et de manière plus précise, j'en citerais quelques unes essentielles : -La 1ère contrainte est la faible dimension du marché marocain qui nous impose de gérer de manière très serrée des investissements en général importants du fait de la technologie du médicament de plus en plus sophistiquée, et des normes de qualité de plus en plus élevées. Nous rendons hommage aux pouvoirs publics pour l'élargissement engagé de l'Assurance Maladie Obligatoire depuis 2005 et la mise en place en cours du Régime d'Assurance Maladie pour les Economiquement Démunis, et nous espérons que ces importantes avancées sociales contribueront au développement également du secteur. -La deuxième contrainte importante vient des effets de la mondialisation traduits par le démantèlement progressif douanier et les différents accords de libre échange signés par notre pays avec d'autres Pays (Turquie, Egypte, Tunisie, Jordanie…) ou régions (UE, USA). Ces effets vont avoir aussi des incidences négatives et importantes sur l'industrie pharmaceutique marocaine, si toutes ces nouvelles conditions et accords (auxquels nous adhérons totalement) ne sont pas accompagnés de mesures suffisantes qui nous permettraient de jouer avec les mêmes règles de jeu que celles de ces concurrents. Et c'est grâce à ces atouts et à cause de ces contraintes que notre Administration (Ministère de l'Industrie et du Commerce, Ministère de la Santé, l'ANPME), consciente du potentiel du secteur, a réalisé en collaboration avec notre Association depuis prés de trois ans une étude stratégique pour le développement du secteur pharmaceutique aussi bien sur le plan national qu'international et ce par son intégration dans le Plan Emergence. Cette étude achevée et validée par l'ensemble des parties en octobre 2009, doit être concrétisée par un Contrat Cadre qui définit un plan de développement sur les dix prochaines années, avec les engagements revenant à chaque partie concernée. Ce que le secteur attend impatiemment. -Une autre contrainte majeure est soulevée aujourd'hui concernant la cherté des prix des médicaments pour nos citoyens, et la nécessité de maîtrise des dépenses par les organismes de prise en charge Je me permets de me prononcer à ce sujet au nom de tous les opérateurs de notre secteur : -Nous sommes sensibles à l'impérieuse nécessité d'améliorer l'accès aux médicaments à nos concitoyens. Nous avons notifié à maintes reprises à notre Ministère, notre engagement à la soutenir dans la politique qu'elle a entamée dans ce sens. -Nous avons reconnu l'existence de certains écarts de prix pour certains médicaments, que se soit par rapport à certains pays ou même localement. Ces écarts s'expliquent par le fait que le médicament original est enregistré à son début avec un prix donné souvent pas réactualisé et l'arrivée des médicaments génériques de l'original au fur et à mesure à des moments différents avec des prix différents. Et ceci comme cela est arrivé et arrive toujours dans beaucoup de Pays, même les plus développés. Et c'est pour ces raisons également que nous avons demandé depuis 2007 d'actualiser les procédures de fixation des prix en vigueur au Maroc. Cependant, une nouvelle contrainte risque d'handicaper la consolidation de ce secteur si toutes les parties concernées (publiques ou privées) par la santé et le développement socioéconomique du pays ne traitent pas en concertation la stratégie indiscutable et indispensable pour des mesures actualisées à mettre en place pour l'amélioration de l'accès aux soins et aux médicaments pour nos citoyens. En effet, la nouvelle étude réalisée en 2010 par BCG, et dont découlent des propositions de nouvelles procédures faites par notre Ministère de tutelle, se base d'une part sur un benchmark avec des pays qui n'ont pas du tout le même contexte que le notre (Ex : France, Espagne…) et d'autre part sur des propositions théoriques d'évolution qui sont déjà non valides et qui risquent très certainement d'hypothéquer le développement du secteur et entraîner même sa régression au profit d'opérateurs internationaux de tous horizons. Et ce serait bien dommage de ne pas préserver tout en le régulant et le challengeant, un secteur aussi stratégique sur le plan social et socioéconomique, pour lequel notre pays a consenti autant de sacrifices par la formation de compétences marocaines et par l'encouragement d'investissements depuis l'indépendance à aujourd'hui. L'examen de cette nouvelle étude à laquelle nos opérateurs n'ont pas participé et n'ont pas été consultés avant sa validation est une simulation concrète de mise en application des mesures qui en découlent et qui vous ont été transmises, il y a quelques jours soulèvent de grandes inquiétudes dans tout le secteur. Et c'est pour ces raisons que l'ensemble des opérateurs de médicament du Pays (AMIP, MIS, AMMG, AMDP, Fédération des pharmaciens) sollicités par notre Ministère de tutelle d'engager le dialogue avec l'ensemble par des mesures bénéfiques pour les citoyens et le pays. Ceci avec toute l'estime et la considération que nous avons pour les priorités sociales accordées au plus haut niveau du pays, et en respect de nos instances gouvernementales et politiques. Et bien sûr dans un esprit citoyen et responsable. Chiffre d'Affaires du secteur En France, le Chiffre d'affaires annuel est de près de 40 milliards d'euros, la couverture sociale est générale et couvre toutes les dépenses de santé, alors que pour notre Pays le CA annuel n'est que de 11 milliards de dirhams (équivalent ≈1 milliards d'Euros), avec une couverture sociale autour de 30% seulement. De même certaines projections théoriques d'évolution de la pharmacie au Maroc considérées dans l'étude sont erronées et ne permettent donc pas d'opter pour des mesures convenables qui aideraient à améliorer l'accès aux médicaments tout en préservant un secteur dont l'importance socioéconomique est indiscutable pour notre pays. La procédure de la fixation des prix des médicaments génériques Le Ministère de la Santé intervient dans la fixation des prix des médicaments, qu'ils soient d'innovation ou générique. Pour ce qui est du générique, après approbation technique du produit sur le plan qualité, le prix est fixé : * Soit par rapport au médicament original s'il n'y a pas d'autre générique déjà sur le marché (et en général c'est au moins 30% de moins que le prix du médicament princeps). * Soit par rapport à un ou aux autres génériques déjà sur le marché vis-à-vis desquels il doit être moins cher. Ce sont ces modes de fixation des prix pour les princeps et les génériques à l'importation comme à la fabrication locale qui sont en cours d'actualisation par le Ministère de la santé. Le Ministère de tutelle a toujours encouragé l'autorisation des médicaments génériques depuis au moins trente ans déjà. Et ce en raison de sa volonté permanente d'accélérer l'accès économique pour le citoyen. C'est ainsi que le Maroc a atteint aujourd'hui 27% environ de sa consommation nationale que ce soit en valeurs ou en nombres d'unités. A titre d'exemple, la France n'est aujourd'hui qu'à 22% environ de sa consommation. Et si les Etats-Unis atteignent aujourd'hui prés de 60% de leur consommation en nombre d'unités en générique, il faut savoir que cela ne représente que 10% en valeur de leur marché. (Et ce du fait des prix même des génériques qui restent très élevés dans ce pays).