Dans l'analyse des crises qui secouent sporadiquement les relations entre le Maroc et l'Espagne, il est indispensable de faire en Espagne la différence entre l'opinion publique, qui est l'ensemble des opinions individuelles au sein de la société, et l'opinion publiée, qui reflète les points de vue de la presse. Depuis la disparition du franquisme dans les années 70, les journalistes se sont érigés en facteurs déterminants dans la confection de l'agenda politique où ils tentent d'y inclure les questions qu'ils considèrent très importantes. Bien avant l'adoption de la nouvelle constitution, en 1978, les médias agissaient en tant que « parlement de papier », en débattant du projet de la charte constitutionnelle, en défendant les positions du clan où ils se situent et en développant des réflexions comme s'il s'agissait d'amendements. La presse avait ainsi conquis l'espace public en prélude de la restauration de la démocratie. Certains de ces journalistes sont devenus (une fois constitué le premier gouvernement de l'ère démocratique, sous la conduite d'Adolfo Suarez, des directeurs de communication dans différents départements ministériels) directeurs de médias publics (Efe et TVE), ou des conseillers ministériels. Parallèlement, les journalistes proches des partis de gauche, sont entrés dans la dynamique de l'opposition, formée par les socialistes et les communistes pour faire contrepoids à la presse conservatrice appuyant le gouvernement de centre - droite. C'était l'âge d'or de la presse en Espagne puisque le débat se situait sur le plan idéologique et reflétait réellement les tendances politiques et servaient de pouls à la société. Curieusement, de nombreux journalistes de cette étape de la démocratie naissante en Espagne, continuent d'exercer en tant que dirigeants de groupes de médias, directeurs de programmes audiovisuels ou simples commentateurs. Certains parmi eux, qui avaient couvert les derniers jours de l'administration espagnole à Laâyoune jusqu'à février 1975, portent encore les germes de la haine au Maroc et participent avec une ardeur suspecte à la critique du gouvernement espagnol pour avoir opté pour la « prudence » dans le traitement des événements de Gdeim Izik. C'est cette opinion « publiée » qui influe de manière néfaste sur le développement de relations normales entre les gouvernements de Rabat et de Madrid. C'est elle qui est à l'origine du distanciement entre les peuples marocain et espagnol. Conscients de la nécessité d'encourager le dialogue et fortifier les échanges entre les sociétés civiles dans les deux pays, les moyens de communication tentent en général, en période normale, de tempérer les stéréotypes négatifs et les connotations péjoratives. Historiquement, la presse a été liée à la politique dans les deux pays. Cependant, à chaque fois que des tensions surgissent dans les relations entre les deux Etats, la balance dans la couverture médiatique penche du côté espagnol. Cette hypothèse se vérifie à deux niveaux : le nombre de médias accrédités et le nombre d'éléments informatifs et interprétatifs publiés sur chacun des deux Etats dans les médias réciproques. Si l'agence Maghreb Arabe Presse (MAP) est l'unique organe de presse marocain en Espagne qui dispose de moyens suffisants pour informer les autres médias marocains de l'actualité en Espagne, la présence médiatique espagnole au Maroc est notoire puisque les journalistes espagnols qui y sont accrédités constituent le collectif de journalistes étrangers le plus nombreux. Les deux pays combattent donc avec des armes inégales. Les agences de presse Efe, Europa Press et Servimedia diffusent souvent des informations en relation avec le Maroc bien avant les médias marocains, y comprise la MAP. C'est ce qui explique le flux d'informations qui se publient quotidiennement dans les médias espagnols sur le Maroc. Le retard dans le traitement de l'actualité marocaine, l'absence d'un canal de télévision thématique spécialisé dans l'information en continu, à l'image de Radio Cinco Todo Noticias, TVE 24 horas ou CNNPlus, et le bouclage prématuré de la presse écrite marocaine offrent un grand avantage aux médias espagnols pour rapporter en temps réel le plus important et le plus urgent de tout ce qui touche au Maroc. Les pages Web des journaux constituent aussi une source d'information pour les internautes et journalistes marocains hispanophones pour être au courant de tout ce qui se rapporte aux relations hispano-marocaines. A un autre niveau de l'analyse, il existe une différence nette entre les ventes de la presse marocaine et celle espagnole. Les statistiques jouent, à ce stade, en faveur des journaux espagnols, puisque la presse d'audience nationale (El Pais, El Mundo, Abc, LA Razon, Publico) a eu, selon les statistiques d'octobre dernier, une diffusion totale moyenne de 1.112.862 exemplaires par jour et des ventes totale de 709.111 exemplaires/jour. Au niveau de la production d'éléments d'information sur le Maroc, il suffit seulement de signaler qu'au lendemain du démantèlement du camp Gdeim Izik, les cinq journaux ont traité dans leurs éditions du 9 novembre dernier, dans 106 endroits différents des événements de Laâyoune. Ils ont publié, en ce jour, un total de 29 chroniques de correspondants, cinq éditoriaux, six commentaires signés, 50 photographies, 10 caricatures et graphiques, et cinq entretiens. Ainsi, l'intérêt porté à l'actualité marocaine se justifie par des raisons historiques, techniques et professionnelles. De manière que l'opinion « publiée » assume un rôle primordial dans le conditionnement de l'opinion publique en Espagne.