Les incidents de Laâyoune ont mis l'Espagne sociale et politique devant le fait accompli. Rarement des ministres et dirigeants socialistes se sont vus acculés à privilégier le pragmatisme dans le traitement du contentieux du Sahara en s'impliquant dans une campagne de sensibilisation des bases du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE : au pouvoir) à certaines vérités restées jusqu'à présent occultées à l'opinion publique. L'objectif est de démonter un discours résiduel qui pollue la mémoire collective depuis plusieurs décennies. Ceci démontre que l'Espagne officielle, qui adopte traditionnellement des positions dictées par la raison d'Etat, aspire aujourd'hui à préserver le bon moment que traversent les échanges commerciaux et économiques et l'harmonie entre les gouvernements de Rabat et de Madrid dans la gestion de questions vitales. En face, une partie de la société espagnole, dont des militants socialistes acquis aux thèses du Front Polisario, s'emploie inconsciemment, par ignorance ou par influence des médias, à critiquer le Maroc. Deux transcendants événements, intervenus sur la scène politique en Espagne depuis la visite à Madrid du ministre marocain de l'Intérieur, Taieb Cherkaoui (16 novembre), invitent à la réflexion sur la manière dont le gouvernement et le PSOE ont réagi à l'égard des incidents de Laâyoune. Il s'agit, d'abord, de la réunion du Comité Exécutif Fédéral du PSOE (22-23 novembre) qui a déploré la longue errance d'une partie de ses militants qui agit contrairement aux intérêts d'un Etat voisin, en l'occurrence le Maroc. Ensuite, la reconnaissance par le groupe socialiste au Sénat que le Maroc n'est pas « une puissance occupante » du Sahara. Instruit grâce à l'accès aux données puisées dans des rapports indépendants élaborés par une ONG neutre, Human Rights Watch, aux informations communiquées par des «services spéciaux» de la Présidence du gouvernement espagnol, et « données » communiquées par le Maroc, le Comité Fédéral du PSOE a conclu qu'il n'y avait pas eu de »massacre » de population civile à Laâyoune et que les forces de l'ordre marocaines ne portaient pas d'armes lors du démantèlement du camp de Gdim Izik. Différentes sources autorisées du PSOE ont, tacitement, fait sienne la version officielle du Maroc qui fait état de treize morts dont onze agents de l'ordre et deux civils. Les mêmes sources n'ont, en fin de compte, donné aucun crédit ni aux communiqués tendancieux du Front Polisario ni aux chroniques des correspondants et envoyés spéciaux des médias espagnols qui assuraient la couverture des incidents de Laâyoune soit à partir des Iles Canaries, soit à partir de Casablanca soit encore à partir de Madrid. Elles ont également bonnement ignoré les témoignages d'animateurs d'ONG, déguisés en faux sahraouis ou pseudo-journalistes, qui parlaient sans nul fondement de «fosses communes», de «centaines de cadavres qui jonchaient les rues» de Laâyoune ou de «génocide de la population sahraouie». D'ailleurs, ces pseudo-informateurs ont miraculeusement disparu de la scène depuis que le Maroc eut communiqué les bilans des victimes de Laâyoune. Mercredi dernier, le Sénat a été au rendez-vous avec un nouveau discours du gouvernement socialiste, lequel a finalement opté pour la clarté en relation avec le conflit du Sahara en citant les Accords Tripartites de Madrid (signés le 14 novembre 1975 entre l'Espagne, le Maroc et la Mauritanie) comme référence de base. Trinidad Jiménez, ministre des Relations Extérieures, a expliqué devant la Commission des Affaires Extérieures de la Chambre Haute, que le Maroc est actuellement la «puissance administrative» du Sahara. C'est une position qui rompt totalement avec la doctrine des successifs gouvernements espagnols qui ont feint de ne pas se préoccuper d'éclairer l'opinion publique au sujet de la fin de la présence espagnole au Sahara. «Du point de vue juridique», a précisé Jiménez, personne ne peut qualifier le Maroc comme «une puissance occupante» parce que l'exercice de «facto» de l'administration du territoire «n'est pas le produit d'un conflit armé» mais est intervenu sur la base d'un «accord» entre l'Espagne, le Maroc et la Mauritanie. Dans les conditions actuelles, le rôle de l'Espagne se limite à contribuer au rapprochement des parties impliquées afin d'aboutir à une solution sous les auspices des Nations Unies, a-t-elle observé. La position du chef de la diplomatie espagnole fait partie de la nouvelle stratégie déployée par le gouvernement espagnol, depuis une dizaine de jours, pour sensibiliser la société à la réalité de la question du Sahara. Dans une interview, parue dimanche dernier au quotidien El Pais, José Luis Rodriguez Zapatero, chef de l'exécutif espagnol, a estimé que cette « histoire du contentieux du Sahara, qui dure depuis plus de trente ans, doit terminer». C'est pour cela qu'il a insisté sur l'entretien de relations de «confiance» et de «sincérité» avec le Maroc parce que, a-t-il affirmé en s'adressant à la société espagnole, que ce pays voisin est un «partenaire actif» dans la prévention des menaces qui pourraient affecter la sécurité de l'Espagne et avec lequel la coopération «va au-delà du problème du Sahara». Ce stade d'argumentation, qui rompt avec la formation discursive relative à la question du Sahara, est l'amorce d'une véritable prise de conscience de la part des dirigeants socialistes de la signification du respect de la souveraineté du royaume et de la cause du Sahara pour le peuple marocain. Le PSOE qui est affronté, en prévision des futures échéances électorales, à une agressive opposition de la droite, se rebelle ainsi contre la persistance d'un discours illusoire et déphasé dans le dessein d'entretenir un permanent climat de tension entre le Maroc et l'Espagne. D'autres faits invitent cependant à interpeller les socialistes au sujet de la sincérité de cette nouvelle approche. Ainsi, samedi dernier (20 novembre) à Lisbonne, Trinidad Jiménez, a proposé à son homologue américaine, Hillary Clinton, de discuter à l'ONU de la possibilité d'élargir les compétences de la Minurso pour que cet organisme « ait la capacité de s'occuper du contrôle et de la protection des droits humains au Sahara ». Ce thème n'a pas été pourtant inscrit à l'agenda de la Réunion sur le futur de l'OTAN en Afghanistan. Au niveau européen, la délégation espagnole et le groupe socialiste ne se sont pas opposés à l'adoption par le Parlement Européen d'une résolution, jeudi, sur les événements de Laâyoune. De même, le Comité Fédéral Exécutif du PSOE n'a pas condamné les dérives de la presse espagnole dans le traitement des incidents de Laâyoune et le déluge d'attaques lancées contre le Maroc par la classe politique et les médias, toutes tendances confondues. Ceux-ci ont adopté, depuis le 8 novembre, l'attitude d'inquisiteurs zélés en diffusant des données et informations qui frisaient la diffamation et le dénigrement des institutions du Maroc en vue de conditionner l'opinion publique locale. Dans aucun autre pays en Europe (et dans le monde aussi), les médias n'avaient accordé autant d'importance aux incidents de Laâyoune. Sociologiquement, il est admis que l'opinion publique est une équation dans laquelle l'opinion individuelle entre en contact avec le social avant de s'étendre à d'autres catégories dont la classe politique. C'est ce qui s'est produit en Espagne depuis la Marche Verte où les nostalgiques du colonialisme tels des militaires, africanistes, intellectuels franquistes et militants frustrés de la gauche et de l'extrême droite ont développé un courant d'opinion qui assume la fonction de courroie de transmission des thèses pro-Polisario. Leur objectif est de vilipender le Maroc, dénigrer ses institutions et discréditer les progrès réalisés en termes d'infrastructures, de démocratisation et de justice sociale. La mission des socialistes, aujourd'hui au pouvoir, est de se démarquer de ce discours caduc car ils ont la responsabilité d'entretenir des relations de bon voisinage avec les pays de son entourage géographique, y compris le Maroc.