Chanteuse berbère du Moyen-Atlas, Chérifa prolonge une ancienne tradition poétique adaptée au fil du temps. Sa voix possède cette rugosité des paysannes de la montagne et tempreinte des caractéristiques de la culture du peuple berbère qui a marqué la musique marocaine du Haut et du Moyen Atlas. Cherifa Kersit est native de tazrouth mmu ukbu, “le rocher percé”, à quelques kilomètres de Khénifra. Née en 1967, elle fut élevée à la campagne, dans sa famille, sans jamais aller à l'école à l'instar des autres filles de son âge. Elle a exercé sa voix en plein air, soit derrière son troupeau, en exécutant les tâches ménagères ou encore pendant les rencontres entre jeunes filles. Petit à petit, elle commencera à se produire dans les mariages ou les fêtes traditionnelles du village et ce, dès l'âge de 16 ans. Sa consécration débute par sa rencontre avec une des vedettes de la chanson du Moyen Atlas, Mohammed Rouicha, au début des années 80. Elle n'a jamais voulu enregistrer avant des chansons en son nom, mais toujours avec d'autres chanteurs tels Rouicha, Maghni, Lmrabeth, Aziz Arim. Sa famille ne voulait pas qu'elle fasse de son art son gagne-pain. Mais s'imposera très vite dans sa région par sa voix typique du Moyen Atlas avec une force qui n'a d'égal que celle de Tifrsit, une autre chanteuse de Tamawayt qui est d'Ailleurs l'idole de notre chanteuse, tout comme Rqya âbbou et Hadda Ouâkki, pour ne parler que des femmes. Cherifa est venue en France pour la première fois en septembre 1999. Elle a participé au spectacle “danses et chants des femmes du Maroc, de l'aube à la nuit”, au théâtre des Bouffes du Nord, proposé par le festival d'automne à Paris dans le cadre du “Temps du Maroc en France”. Elle a ému le public européen par la puissance et la rugosité de sa voix. Si Rouicha a pu revivifier ou valoriser le luth “lutar” en y ajoutant la quatrième corde et en modifiant ses dimensions, Cherifa essaye de son côté de réhabiliter les chikhates par sa voix. La mauvaise réputation dont souffrent les chikhates vient généralement d'une vision extérieure à cet art. Elle est due au fait que l'on a trop insisté sur la danse, moins que sur la voix et les paroles qui ne sont comprises que des Imazighen. En fait, il s'agit d'une poésie qui est profonde, liée à la vie des gens avec leurs moments de malheur et de bonheur... Elle renferme aussi une philosophie de la vie, riche d'enseignements sur leur conception du monde. Seulement ces poèmes sont souvent difficiles à traduire car leur style est fort imagé, fait de métaphores où tout est dit à demi-mot. Les inchaden ou les paroliers ne sont pas forcément les chanteurs de leurs poèmes. Ils sont, comme leurs chanteurs-interprètes, des gens analphabètes qui improvisent leurs poèmes soit dans les danses collectives d'ahidus ou dans d'autres circonstances. Ces poèmes ne sont que rarement écrits, car on est dans un domaine de tradition orale, et le fait qu'ils soient chantés sur cassette audio leur donne une nouvelle possibilité de transmission. Généralement, l'évolution ou l'enchaînement d'une chanson se présente ainsi : Au début l'instrumentaliste, ici le joueur de lutar (luth berbère), joue une improvisation taqsim, après laquelle le chanteur ou chanteuse entame un chant en solo qui s'appelle en berbère tamawayt ou lmaya. La chanteuse y montre ses capacités vocales par la complexité des ornements qu'elle réalise. Après cela, le chœur commence par chanter ce qui va être le refrain llgha, tout en accompagnant le morceau en tambourinant le rythme sur alloun, le tambour circulaire en peau de chèvre, deux tambours étant nécessaires à cet effet. Le llgha ou le refrain est repris par la chanteuse et reste le même pendant toute la chanson. Il est repris par le chœur ainsi que par la chanteuse entre deux parties d'un distique. Les vers chantés par le chœur et la chanteuse en alternance, sont appelés izlan en berbère ; ce sont des vers indépendants qui ne traitent pas forcément du même sujet. Ils peuvent sauter d'un thème à l'autre en parlant ainsi de l'amour impossible, des problèmes sociaux ou moraux bref de tout ce qui les affecte dans leurs vies humaines. Très souvent les chansons se terminent par des airs plus dansants qui s'appellent tahidust, masculin d'ahidus, la danse collective emblématique du Moyen Atlas. Le mouvement des mains des danseuses ou de la chanteuse rappelle les gestes que les femmes font derrière le métier à tisser ou lorsqu'elles démêlent la laine. Le fameux tapis zayan est le résultat de cette activité quotidienne des femmes dans cette région.