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« Si le Liban n'était pas mon pays, je l'aurais choisi pour pays » professait « Le prophète » Gibran
Publié dans Albayane le 21 - 10 - 2024


Par Jamal Eddine NAJI
LE LIBAN ! Un des rares pays du monde dit arabe qui mérite que son nom soit écrit en lettres majuscules. Tout citoyen de cette partie du monde, berceau de l'écriture, de l'agriculture, des sciences, de la poésie, de l'architecture, de la musique, de l'art de guerre, des messages et livres sacrés, de la théologie, de la philosophie, de la philologie, de la traduction etc., surligne, dans sa tête, le nom du Liban par une couleur distinctive. Une couleur de chants et de joies de la vie partagées entre communautés différentes qui respirent paisiblement le même air... Un air que vivifie le Cèdre, arbre mythique qui décontamine l'air, avec un arôme réconfortant et apaisant, assurent les spécialistes. Pays de montagnes, de mer, de neige et d'eau claire qui rend exceptionnelle et quasi divine la voix humaine, comme chez l'unique Fairouz du monde.
Quelques dix ans, avant la naissance, à Beyrouth, de cette diva vivante (90 ans), aussi majestueuse qu'un cèdre, soit en 1923, le monde, depuis les USA, et en anglais, découvrait un chef d'œuvre de la poésie et de la prose arabes : « The Prophet » (Le prophète), signé par un libanais en exil, Gibran Khalil Gibran. Il en avait rédigé une première version en arabe à l'âge de quinze ans.
Son hymne au Liban sonne, un siècle après, comme un psaume ou prémonition douloureuse en ces jours de martyre pour ce pays si envié tout autour, convoité / envahi, des siècles durant, depuis les Phéniciens jusqu'aux Israéliens du « Bibi messianique » actuel qui rêve d'un remake des guerres de ses ancêtres bibliques contre les Philistins qu'il voit partout dans la région. « Le Prophète » poète Gibran Khalil Gibran dit, à l'adresse du monde :
« Votre Liban est un problème international tiraillé par les ombres de la nuit. Mon Liban est fait de vallées silencieuses et mystérieuses dont les versants recueillent le son des carillons et le frisson des ruisseaux (...) Pitié pour la nation où existent mille croyances mais aucune religion. (...) Pitié pour la nation divisée, dont chaque partie revendique pour elle-même le nom de nation (...) Votre Liban est un gouvernement à têtes multiples, alors que le mien est une montagne noble et paisible assise entre mer et plaines, comme un poète dans l'éternité. (...) Votre Liban, ce sont des communautés et des partis, le mien, des enfants qui escaladent les rochers, courent le long du ruisseau et lancent leurs ballons sur les grand-places. Votre Liban, ce sont des discours, des conférences, des discussions, alors que le mien, c'est le sifflement du merle, le bruissement des peupliers et des chênes et la répercussion de l'écho des flûtes dans les grottes et les cavernes. (Extrait de AlBadâ'ï Wattarâf'(« Merveilles et Curiosités »). Traduit de l'arabe par Louis Pouzet s.j. et Jarjoura Hardane).
L'âge de glace s'installe
Les maux et les tares qui craquellent irrémédiablement toute la carte arabe, suspendue à sa « Ligue », cette corde de pendu, ont, hélas, asséché la sève millénaire de ce pays, le rendant piste carrossable pour les hordes mécanisées conduites, une nouvelle fois, par les exterminateurs messianiques et galvanisées par la tétanisation réussie et généralisée du monde entier que l'exception, le Liban, dérange quand il ne fléchit pas, à chaque fois, aux appétits des voisins ( en particulier celui du faux frère « siamois », la Syrie) ou de leurs alliés suzerains (Iran, Arabie, Irak, Turquie, France, USA...).
La chronique du martyre du Liban est longue en moins de 50 ans, face à l'envahisseur israélien, cet impuni attitré aux yeux de la communauté internationale et sa moribonde ONU : 1978 (opération « Litani », 1200 civils tués, 300.000 réfugiés, des dizaines de villages détruits) ; 1982 siège de Beyrouth, 20.000 morts ; 1996, opération « Raisins de la Colère » (Israël envahit même la mémoire du romancier John Steinbeck !) près de 200 civils morts, 1100 raids, 25.000 bombes, 300.000 réfugiés ; l'An 2000, bombardement de Baalbek (ville mythique par ses festivals célébrant les voix de Fairouz, Wadiï Assafi, Sabah, Marcel Khalifé...) ; 2006 nouvelle occupation du sud Liban, 1100 morts, 1 million de déplacés... Et voilà l'opération « Flèche du Nord » de Netanyahou 2024 !
L'invasion des troupes d'Ariel Sharon en 1982, jusqu'à Beyrouth, fit une victime collatérale du patrimoine et de l'imaginaire du peuple libanais, que rien ne peut reproduire, un autre Khalil : le poète Khalil Haoui qui fit de l'œuvre de son illustre homonyme, Khalil Gibran, son sujet de thèse de doctorat à Cambridge (UK). Il s'est donné la mort d'une balle dans la tête, au début de l'invasion israélienne. « Sans doute avait-il compris que cette opération de guerre était aussi l'ultime assaut contre la renaissance culturelle arabe dont il était l'un des porte-drapeaux les plus authentiques et que l' « âge de glace » dont il parlait s'installait pour de bon », commente « Le Monde diplomatique ». « L'âge de glace », ce long poème est son testament en rimes :
« Quand, à l'âge de glace/Les veines de la terre sont mortes/Ainsi en nous les veines sont mortes/Chair séchée, nos jambes et nos bras sont figés/Nous tentions en vain d'arrêter le vent/ En vain, de piéger le frisson/Qui en nous s'étirait/Le frisson de la très sûre mort/Glissée aux cellules des os, au secret des cellules/Et dans l'haleine du soleil, et la lumière des miroirs/Dans le grincement des portes, et les caves à provisions (...) Le frisson de la très sûre mort (...)En vain nous heurtions la mort/Et pleurions, et hurlions nos défis : L'amour plus fort que la mort (...)/Au long du long désert de glace : « Notre amour est plus fort que la mort obstinée. ».
Le LIBAN, écoutez-le gémir, avec, aussi, les voix de ses écrivains et poètes, morts ou vivants : Amin Maalouf, Farjallah Haiek, Wajdi Mouawad, Elias Khoury, Khalil Haoui, Mikhail Naimy, Georges Zaydan, Amin Al-Rihani, Salah Stélié, Georges Schéhadé, Issa Makhlouf, Elia Abou Madi, Darina Al Joundi, May Ziadé, Joumana Haddad, Gibran Khalil Gibran... Et de ses journalistes assassinés soit par la Syrie (Samir Kassir et Gebrane Tuéni en 2005), soit par Israël (le palestinien Ghassan Kanafani), soit par l'Iran (Michel Seurat, 1986 ; Mustapha Jeha, 1992)), soit par Hisballah ou Amal ( Suheil Tawileh 1986, Hussein Mrouwé et Mahdi Amel 1987, Lokman Slim 2021)...Les journalistes libanais qui sont ciblés en ce moment par la machine de guerre israélienne, à Ghazza et dans leur pays. Un pays de presse, avec le Groupe Tuéni, fondé par « le fauve de la presse libanaise » Ghassan Tuéni (le quotidien « Al-Nahar »), et avec le grand quotidien « L'Orient- Le jour », fondé en 1924 par Gabriel Khabbaz et Georges Naccahe, pionnier de la presse en ligne au Moyen Orient avec un site Web lancé dès 1990 !
Le LIBAN, pays de l'écrit en tout genre,est le plus long poème de l'humanité. Il défiera toujours l'éternité et les envahisseurs. Tant qu'il y aura des humains (Arabes, en premier) qui aimeraient en faire leur pays... Et combattre pour.
Légende : Grotte de JEITA (à 18 kms de Beyrouth) : échos millénaires de nombre de civilisations.


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