Mohamed Nait Youssef «Agadir» est le premier roman de«l'enfant terrible» de la littérature marocaine, Mohammed Khaïr-eddine. Cette œuvre romanesque majeure a été puisée dans le tremblement de terre ayant détruit la ville, la nuit du 29 février 1960. En effet, ce séisme de forte magnitude ayant fait plus de 12 000 personnes et près de 30 000 blessés a marqué l'histoire contemporaine du Maroc. À vrai dire, cette catastrophe qui a chamboulé la population a poussé Khaïr-eddine à éditer son tout premier roman éponyme, en 1967. C'est-à-dire, sept ans après le désastre. Dans cette belle cité sinistrée, rasée, en détresse, l'auteur se glisse dans la peau d'un fonctionnaire mandaté pour instruire des dossiers de sinistrés. Durant deux ans, l'enquêteur de la sécurité sociale auprès de la population de la ville déchirée par le séisme, nous montre le monde chaotique et la réalité amère des habitants et des survivants. L'auteur en fait ainsi l'intrique de son roman constituant un témoignage à la fois atroce, bouleversant, touchant et pénible. «Agadir» est plus qu'une ville, ce fut une plaie ouverte... et seule l'écriture pouvait panser ses plaies et blessures. Né à Tafraout, Khaïr-eddine s'est installé pendant plus de trois ans à Agadir. Il connaissait ce territoire, sa culture et ses gens en prenant part au recensement de la population touchée après le tremblement de terre. Le roman est une rencontre avec le désastre, la mort, la douleur et déchirement. C'est pour cette raison d'ailleurs que l'auteur opte pour une écriture morcelée, chaotique, tremblée et séismique. Connu par l'originalité de son style et sa démarche d'écriture originelle, Khaïr-eddine donne, et ce malgré l'atrocité du vécu et l'absurdité du sort, plus d'importance à la force de la langue et la poétique du langage dans son roman éponyme. «Agadir», une ville sinistrée... Le séisme attaqua la ville. L'odeur de la faucheuse enveloppa le ciel. Des morts, des blessés et des orphelins. Un fonctionnaire chargé de mission dans la ville secouée s'est rendu dans les lieux pour dresser le bilan et a «redressé une situation particulièrement précaire.». Il ne retrouve que la vacuité, les décombres, les vestiges d'une cité. Sa mission semble difficile, absurde en fouillant dans les requêtes des survivants présentant la catastrophe, sous une plume poétique rugueuse et juste, comme une vaste métaphore. Un état des lieux du désastre a été mis en scène dans le roman où Khaïr-Eddine a fait entendre les échos et les voix des survivants, des blessés, des responsables, des petites gens, des religieux se confondent. Ipso facto, le récit sonne le glas du désastre ! L'écriture du désastre... L'écriture de Khaïr-Eddine met la lumière sur le tragique, mais dans un style riche, varié, atypique et créatif. L'auteur réinvente ainsi le corps de la langue en recourant sa touche poétique et sa sensibilité linguistique et stylistique. Khaïr-Eddine travaille sa langue et mélange les genres, diversifie les dialogues et les registres, tout en versant un sang nouveau et fantastique dans les veines d'une écriture réaliste mettant le doigt sur la plaie et les douleurs des sinistrés. Par le truchement du langage et du tremblement de terre jaillissent aussi les problèmes humains et celle d'un peuple à la quête du développement, du changement. « Agadir» révèle une réalité amère. Il s'agit bel et bien d'une « fable politique » écrite par une plume engagée. C'est aussi un cri, un appel brisant le silence, les silences des oubliés. «Agadir», un trauma textuel Autrement dit, Mohammed Khaïr-Eddine a été profondément marqué par le tremblement de terre qui a secoué la ville d'Agadir. Son enfance à Tafraout était également l'un des événements marquants de sa vie. Par ailleurs, Khaïr-Eddine considère qu'un texte, comme celui d'Agadir, est constitué par une théâtralité, mais aussi de tensions quasi sismiques que la relation qui existe entre Agadir et son écriture. D'ailleurs, c'est la raison pour laquelle il fait intervenir dans ses textes un certain théâtre fort et hurlé. A vrai dire, Agadir et le séisme de 1960 ont joué un rôle central dans sa contextualité. Agadir est un trauma textuel, dit-il. Car, ses livres sont traversés et bouleversés par cet événement important de l'histoire contemporaine du Maroc. «Il y a une espèce de multiplication de l'écho dans mes œuvres. Il est un symbole de ce figement social des individus et de cette espèce de méfiance qui les caractérisent, de cette angoisse qui les anime», a-t-il révélé. L'écriture n'est que ce cri contre le silence déraisonnable du monde. Elle est aussi un écho des souvenirs remontant aux temps lointains, une façon de dire les choses telles qu'elles sont. «Agadir» est une œuvre majeure et singulière dans la littérature marocaine et maghrébine.