Abdellah Baida animera une rencontre le 13 novembre à la médiathèque de l'IF de Rabat (à 19h) autour de son livre : « Les voix de Khaïr-Eddine » (Editions Bouregreg). LES voix dans les récits de Khaïr- Eddine constituent une des composantes capitales de l'œuvre d'Abdellah Baida « Les voix de Khaïr-Eddine ». Ce livre se distingue par sa polyphonie accentuée. Un discours protéiforme qui fait appel à diverses dimensions aussi bien littéraires que culturelles pour édifier un univers captivant. L'ouvrage analyse certaines des « voix » qui traversent quelques récits de Mohammed Khaïr-Eddine. Il montre comment elles prennent place dans une structure savamment construite pour rendre compte d'« une vie, un rêve, un peuple toujours errants » dans une esthétique toujours innovante. Mohammed Khaïr-Eddine est né en 1941 à Tafraout dans le Sud marocain, au sein d'une famille de commerçants installés à Casablanca. Rebelle à toute forme d'autorité, il renonce très tôt à ses études et à ses fonctions pour se consacrer entièrement à la poésie. Il s'exile pendant plus de seize ans, à Paris, avant de retourner au Maroc en 1979, qu'il quitte à nouveau en 1989. Khaïr-Eddine est mort en novembre 1995 au Maroc. Dans un texte rédigé pour un documentaire réalisé par 2M sur Mohammed Khaïr-Eddine, intitulé : « Khaïr-Eddine était poète, le poète », Hind Taarji écrit : « Novembre 1995, le 18, Khaïr, enfant de la terre brûlée du Sud, rebelle qui se voulait maudit, tire sa révérence. Cette voix rocailleuse qui, tour à tour, se fit imprécation, prophétie et murmure cosmique s'est éteinte à jamais. Mais sa résonance demeure à travers la lave incandescente d'une écriture pétrie de soufre, une écriture inscrite désormais sur le parchemin de l'éternité- les poètes ne meurent jamais. Et Khaïr-Eddine, à l'image d'un Rimbaud, si frère dans la révolte, fut le poète. La poésie représentait son sang, sa respiration. Il n'existait que par elle et que pour elle. Parodiant Che Guevara, il inscrit la liberté au bout de sa plume, avec laquelle il mène ce qu'il nomma sa « guérilla linguistique »...Il acquiert très tôt une maîtrise parfaite de la langue française. Doué d'une mémoire prodigieuse, à seize ans déjà, il possède une érudition remarquable. Il se reconnaît en Rimbaud et se nourrit de Mallarmé. Il est à même d'opérer ses propres choix en matière d'écriture. Car il écrit et ses poèmes se cisèlent. Pourtant, cet adolescent-là, à dix ans, ne parle pas un mot de Français. Ni d'arabe. Il a grandi à Tafraout. Comme tous les gamins berbères, il a passé son temps, en dehors du msid, à gambader dans la nature jusqu'au moment où son père, commerçant à Casablanca, le conduit en ville pour les besoins de sa scolarité ». Mais l'arrivée en ville pour lui signifie aussi la séparation avec sa terre natale et avec sa mère. Une séparation qui est devenue plus profonde par la répudiation de cette dernière et le mariage du père. En 1965, il décide de s'envoler vers Paris. Les premiers jours sont durs à vivre. Il travaille comme ouvrier à Gennevilliers. C'est cette endurance, cette souffrance qui engendre le roman Agadir qui paraîtra en 1967 (considéré comme un roman assez complexe). Mais c'est aussi le début de la consécration à Paris. Il côtoie ainsi le gotha littéraire qui compte des noms célèbres : Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Beckett, Césaire, Senghor...Et participe au mouvement des idées de mai 68... Et c'est en 1979 qu'il décide de mettre un terme à son exil. Et dans le cadre de chroniques qu'il signe dans le journal Al Maghrib il raconte sa redécouverte de son Sud. Ce qui donne naissance à Légende et Vie d'Agoun'chich. Dans la même foulée, un recueil de poèmes, Résurrection des fleurs sauvages, est publié. Comment parvient-il, se demandent ses amis, à rester cette encyclopédie vivante, à produire, alors qu'il erre du matin au soir, de verre en verre, de décor en décor ? Damouh l'oiseau, comme il aimait se surnommer lui-même, transforme en bureau n'importe quel coin de table. Il écrit partout où il se trouve car il est en « état de poésie permanente ». Celui que la revue Esprit appelait « le grand Khaïr », n'était pas plus haut que trois pommes. Trois pommes dont les mots en terrifiaient plus d'un. Son caractère explosif faisait fuir. Mais ceux qui l'aimaient lui vouaient une affection sans faille. Le jour de son enterrement, cireur de chaussures et conseiller du Roi se sont côtoyés et pleurés avec la même sincérité ce grand homme. Ce fut peut-être le dernier tour de force du poète. « Le poète, disait Khaïr-Eddine, ne se suicide pas, mais une grande partie de lui-même crève, s'effrite et s'en va, pan par pan, lambeaux pourris d'une âme blessée, gangrenée ». « A force de s'effriter, Khaïr-Eddine s'en est allé tout entier », avait écrit Hind Taarji. Photo : Un dessin d'Aourik