«Je désire trouver une phrase qui résume tout» Agadir, ville du Maroc, mais aussi premier roman de Mohammed Khaïr-Eddine. Marqué par le séisme qui a détruit totalement cette ville en 1960, il décide de faire de cet évènement tragique le cadre essentiel de son œuvre. Le roman fut réédité par la maison d'édition Le Seuil en 1997, soit trente ans après sa première publication. Khaïr-Eddine abandonne les études pour l'écriture, au début des années 1960. Chargé d'enquêter auprès de la population pour le compte de la sécurité sociale où il travaille, Khaïr-Eddine met en gestation l'Enquête et Agadir, qui paraîtront ultérieurement. Touché par le séisme, le jeune poète fait de son œuvre le symbole majeur de toutes les remises en question et de tous les chaos individuels et collectifs. La trame de cette œuvre raconte, sans surprise, l'histoire d'un fonctionnaire chargé, lui aussi, d'enquêter auprès de la population de cette ville. De décrire l'état des lieux et de regrouper les requêtes des habitants. Le narrateur, qui se définit dans le roman comme «moi», s'établit entre ces gravas et ces ruines. Il a pu, ainsi, voir la souffrance de ces gens, leur désarroi et leur révolte. La tâche la plus difficile pour ce narrateur, qui est en quelque sorte l'auteur lui-même, est de préparer les survivants de la catastrophe à l'exode. Chose qui n'est pas facile, étant donné que ces rescapés refusent catégoriquement de quitter leur ville. «La population ne veut pas quitter sa ville qui est, à l'en croire, le berceau de sa civilisation et la matrice où se formera son histoire. Elle ne sait pas que son histoire est déjà faite.» Le talent de «le Khaïr», comme l'appelaient ses amis, réside dans sa manière de rapporter les faits historiques, en utilisant un vocabulaire, que nous lui connaissons, riche et fabuleux. Il ressent ce mal collectif qui ronge son peuple. Et ce, à travers un style où se mélangent plusieurs langages, jusqu'au plus ancien, tel celui du XVIIe siècle, utilisé dans un dialogue : «Maître, votre demeure est un nid d'araignée qui voyage par les vents sans se défaire.» Révolutionnaire, Khaïr-Eddine l'a été sûrement durant toute sa vie, non seulement à travers son engagement à défier le régime royal de son pays, mais aussi et surtout à travers l'écriture, avec cette absence de ponctuation, dès les premières lignes de ce livre, ou encore les plans de description des lieux : «Dans un post-scriptum de trois feuillets, il me décrit ce qu'était son existence avant la catastrophe, il me parle de sa maîtresse, de sa gazelle plus aimable qu'une demoiselle de bonne mœurs, une gazelle, dit-il, qui savait son lait et mangeait des feuilles de laitue avec une clochette de cuivre rouge qui portait gravé dessus son nom dont vous ne saurez rien pour le moment ; ils me l'ont volée, je suis sûr qu'elle n'est pas morte, un animal ne crève pas comme une créature humaine dans le déchaînement de la terre ; et je sais qui l'a prise ; c'est un lieutenant-colonel qui l'a prise pour en faire don à sa majesté qui me fait don de la terreur ; oui, tout est tombé parterre depuis son avènement, et il boit pendant le carême, trouvez-vous ça normal, et il mange de bons plats avec ses ministres et prend pour lui tout seul les meilleures femmes du pays ; mais de vous, je ne puis rien dire pour le moment, vous connaissez ma justice ; oui, monsieur, nous sommes loin de ce monde royal, nous échappons à son temps et à ses lois ; dent pour dent, œil pour œil comme autrefois, je ne sais plus qui l'a dit mais je l'approuve…» Enfin, il est clair que Mohammed Khaïr-Eddine était un adepte de ce qu'on appelle «La guérilla linguistique» ; d'ailleurs, quelques lecteurs se plaignent de la difficulté à lire ses ouvrages, car l'auteur a complètement révolutionné les principes fondamentaux de l'écriture romanesque. Dans le but, certainement, de trouver une nouvelle forme d'expression. Et malgré tous ses efforts, il reste que Mohammed Khaïr-Eddine était un éternel insatisfait, il n'était jamais content de son travail. A ce propos, il disait toujours : «Je désire trouver une phrase qui résume tout.» Quant aux différentes questions soulevées dans ce livre, il confie : «Dans Agadir, je remet tout en question : la politique, la famille, les ancêtres. Je crois qu'il faut faire tomber les vieux statuts, tout changer par l'éducation du peuple (...) Je n'hésite pas à faire le procès de mon propre sang, car il n'arrive pas à se dépêtrer de lui-même, à se transformer.» (Ce Maroc ! p.81). Grâce à cet ouvrage, ce sont différentes voix, différentes classes sociales, surtout les plus démunies, les plus marginalisées, que l'auteur fait parler : «Un anarchiste : c'est moi le roi. La guerre civile. Les ruptures. Vous dormez tous. Vous n'êtes jamais allés plus loin que votre cul. Il n'y a pas de roi. Il n'y a que la puissance financière. La terre n'est pas née avec un roi pour la mener à bien…» Ou encore le travailleur révolté : «Que son ambiance s'évapore. Le roi n'a jamais mis les pieds à l'usine. Il est négatif. Il n'est jamais entré chez moi pour voir de quelle fièvre je me chauffe. Le roi ne tombe pas malade. Le roi est complice du désespoir.»