Entretien avec le réalisateur et scénariste, Omar Mouldouira Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef Le long-métrage «Un été à Boujad» du réalisateur et scénariste, Omar Mouldouira, a été présenté, dimanche 29 octobre à la mythique salle de cinéma Roxy, dans le cadre de la compétition officielle du long-métrage de fiction. Ce film fort relate l'histoire d'un enfant de 13 ans retournant à Bejaâd pour y passer les vacances estivales avec la nouvelle famille recomposée de son père après la mort de sa mère, Fatima. L'émotion était au rendez-vous. Et le réalisateur a pu mettre les lumières, par le biais de l'image et du son, sur les thèmes de l'étranger, de l'exil intérieur et du déchirement. Entretien. Al Bayane : Votre deuxième long métrage «Un été à Boujad» projeté, dimanche 29 octobre, dans le cadre de la compétition officielle du long-métrage de fiction est émouvant et puissant. La preuve : vous avez su capturer l'émotion avec beaucoup de justesse et de délicatesse. On dirait, en fait, un récit personnel ! Y a-t-il une part de vous dans ce film, dans cette histoire racontée par le biais du cinéma ? Omar Mouldouira : Il faut dire qu'en montrant ce film ce soir ; c'est comme si je me mettais à nu. On se met forcément à nu quand on montre son travail. Et là je me suis mis d'autant plus à nu devant tout le monde parce que je montrais ma sincérité même si le film n'est pas à 100% autobiographique, il est semi-autobiographique, il s'inspire des choses que j'ai vécues, des choses qu'ont vécues mes parents. Mais, en même temps, il y a beaucoup d'écriture. C'est pour cette raison d'ailleurs que le film a touché le public. À vrai dire, il y a beaucoup d'écriture et de réécriture, il y a beaucoup de mécaniques dramaturgiques pour que ça fonctionne parce que quand on ne fait pas ce travail ; ça ne peut pas marcher. C'est-à-dire si on raconte à 100% les choses : ça ne marche pas. Au lieu de cette violence et cruauté du vécu des personnages, il y a en contrepartie cette poésie qui était assez présente dans les images, et surtout tout au long du film. Est-il peut-être un choix esthétique ? C'est une question très importante et je vous remercie de la poser. En fait, quand on fait un film on pense tout le temps au spectateur parce que pour que ça soit universel et pour que le message puisse passer, il faut penser au spectateur. Penser au spectateur ; ce que j'ai appris à force d'écrire, c'est qu'il faut toujours trouver du contraste. Si on raconte une histoire triste d'une manière triste ça ne va pas bien marcher parce qu'on appelle ça un pléonasme et si on raconte une histoire gaie d'une manière gaie, il y a une chose qui ne va pas. Pouvez-vous nous en dire plus ? Souvent le contraste ça paye parce que même les peintres qui font du contraste, même la musique on fait des contrepoints, des contretemps. Mais dans le cinéma, le contraste c'est quand je raconte des choses difficiles et dures, il faut que je les saupoudre de moments de légèreté, de moments d'espoir, de moments drôles, de temps en temps. D'ailleurs, c'est ce qui fait que la soupape fonctionne auprès du spectateur parce qu'il rigole, il rit et après il est triste. Et après la tristesse fonctionne parce qu'il a rigolé juste avant. C'est un d'écriture aussi ! Par ailleurs, quand on a travaillé avec le chef opérateur Jean-Marc Selva, on s'est dit la même chose. On a dit que le film doit être lumineux parce qu'il avait dit que ceci lui fait penser à Camus, à l'étranger. Qu'est-ce que l'étranger de Camus vous a inspiré ? Avant le film, j'ai relu l'étranger et la peste parce que c'était les 50 ans de la mort d'Albert Camus. Je voulais qu'il y ait de la lumière, de l'espoir parce que même les talonnages on les travaille pour qu'ils soient flamboyants parce que l'image ne devrait pas être dure même si l'histoire est dure. Il faut qu'il soit l'inverse. Les lieux ont une mémoire, une âme. En d'autres mots, que représente Bejaâd, là où le film a été tourné, sachant que c'est votre ville natale ? Est-il un sentiment purement nostalgique à cet espace des années 80 occupant surtout une place prépondérante dans le film ? Vous avez dit un mot que j'aime bien qui est la nostalgie, mais moi je vais dire un autre mot que j'aime beaucoup dans la langue française : la mélancolie. Je pense que c'est ça qu'on a voulu créer par l'image et le son. Je suis mélancolique par rapport à Bejaâd parce je suis de cette ville, la ville de ma famille et de mes grands-parents. Certes, j'habite en France, mais quand j'écris des histoires je ne comprends pas pourquoi je reviens toujours à Bejaâd comme si cette ville m'appelait. Quand je reviens à Bejaâd, je sens cette mélancolie parce que j'y allais quand j'étais enfant, quand j'étais jeune. Il faut dire que mon précédent court métrage raconte le déchirement de l'enfance. Et là je pense que ce film raconte le déchirement, mais on va vraiment vers l'âge adulte. Ce film est un film sur l'étranger, le thème de l'exil. Ce matin, j'écoutais France Inter, il y a Dany Laferrière, un grand écrivain haïtien, qui a beaucoup écrit sur l'exil, il a dit une chose magnifique : « le pire des exils, c'est qu'on quitte l'enfance. » Je pense que le plan de fin du film raconte ça. Effectivement, il y aussi cette relation entre père et fils qui a été mise en question dans votre film. Comment voyez-vous ce rapport entre deux générations et surtout entre deux personnages étrangers au sein d'une famille, d'une société ? Tout le monde est étranger dans le film : Messaoud en revenant au Maroc, Aicha sa nouvelle femme avec qui il s'est marié après la mort de sa femme Fatima et Karim qui est triplement étranger dans sa famille recomposée. Il est étranger dans le pays où il revient, il est étranger dans le quartier où il n'arrive pas à comprendre les codes. Tout le monde est étranger, mais le thème de l'étranger résonne le plus fort entre le père et le fils, c'est comme si le père ne comprenait pas son fils parce qu'il ne le voyait pas comme il le fallait. C'est pour ça que la première fois qu'il voit son père, il le voit en contre-plongée en train de casser la balustrade, pleine de poussière sur lui comme un fantôme. Il le voit comme quelqu'un qu'il écrase. C'est une histoire de regard entre comment le père voit son fils parce qu'il le voit mal, de travers, et comment Karim se sent par rapport à son père. Et lui, il n'a qu'une envie, c'est que son père le considère comme un enfant aimant, comme un ''cher fils'' et pas un ''fils cher'' parce qu'il lui coûte cher. En fait, c'est qu'à la fin où ils ont compris le non-dit du deuil. Il y aussi cette étrangeté qui se pose également au niveau de la langue parce que dans votre film on y voit cet enfant qui a eu du mal à parler l'arabe, à communiquer, à décortiquer les codes ? surtout dans un nouvel univers. Quel en était votre rapport à la langue maternelle pour quelqu'un qui a grandi ailleurs ? Ce rapport à la langue est crucial et important. La preuve : je suis en train de parler en français parce que la Darija que notre père nous a apprise est un peu ancienne parce je trouve parfois du mal à trouver les mots justes. C'est exactement le thème de mon film, c'est cette déchirure et souffrance de ne pas pouvoir s'exprimer correctement en arabe classique ou dialectal et surtout de ne pas pouvoir maîtriser la langue maternelle qui est au même niveau de cette souffrance du petit garçon qui ne voit plus sa mère parce qu'elle est morte quand il avait six ans. Comme si la langue maternelle était la mère et c'est comme si le père était la patrie.