Nabil El Bousaadi S'ils avaient fait front commun, lors du putsch d'Octobre 2021, pour écarter les civils qui étaient au pouvoir à Khartoum, les généraux Abdel Fattah al-Burhane, qui dirige l'armée régulière soudanaise (SAF), forte de 120.000 soldats, et Mohamed Hamdane Daglo, surnommé «Hemetti», le patron des Forces paramilitaires de soutien rapide (FSR), une milice comprenant 80.000 combattants redoutée pour ses méthodes brutales, ont vite fait de mettre à nu leur discorde non seulement à travers leurs déclarations contradictoires – dont notamment le refus de « Hemetti » de faire intégrer ses hommes dans les rangs de l'armée régulière – mais, surtout, par leur opposition sur le « terrain ». Or bien que l'aviation ait conféré, à l'armée régulière soudanaise (SAF), un avantage stratégique indéniable, les forces paramilitaires (FSR) disposent, de leur côté, d'un équipement moderne à telle enseigne que les frictions entre les deux généraux, qui s'affrontent pour le contrôle des bases militaires et des aéroports, ont retardé la signature de l'accord destiné à relancer la transition démocratique et, par voie de conséquence, mis le dialogue politique dans l'impasse. Aussi, dès les premières heures de ce samedi, des combats ont éclaté dans plusieurs villes du pays et Khartoum, la capitale, qui compte quelques 6 millions d'habitants, a été secouée par des bruits de balles, des tirs d'armes lourdes, des explosions et des raids aériens au moment où les soldats des deux camps s'affrontaient dans les rues de la ville si bien que Mahmoud Zain Elabidin, le directeur du « Centre Africain d'étude de la gouvernance, la paix et la transformation » (AcoGaps), estime qu'« il est difficile de prédire l'évolution de la situation alors que la nature du conflit vient de changer dramatiquement et que les belligérants mobilisent des troupes et les rassemblent dans Khartoum et à l'extérieur de la ville ». D'après un premier bilan, donné par des médecins pro-démocratie, au moins 56 civils seraient morts alors que d'autres sources affirment que ce sont des « dizaines » de militaires et de para-militaires qui seraient tombés au combat et près de 600 personnes qui auraient été blessées. Si l'on s'en tient à ces chiffres mais aussi à la déclaration par laquelle le général Hemetti, qui a appelé la population soudanaise à se soulever contre l'armée, a annoncé, sur les ondes de la chaine de télévision qatarie « Al Jazeera », que ses hommes tiennent le palais présidentiel et l'aéroport international de Khartoum, où tous les vols ont été annulés, et qu'ils ne s'arrêteront pas « avant d'avoir pris le contrôle de l'ensemble des bases militaires », c'est donc que tous les ingrédients sont là pour que le pays plonge dans une guerre civile de longue durée dont nul ne peut prédire l'issue. Mais, après avoir démenti les allégations du camp adverse, l'armée nationale a déployé, dans l'après-midi, son aviation et bombardé les bases des paramilitaires situées dans les quartiers résidentiels de la capitale. S'il est clair, enfin, que, depuis le putsch d'Octobre 2021, « Hemetti », le patron des Forces paramilitaires de soutien rapide (FSR) n'a jamais caché son ambition de supplanter Abdel Fattah al-Burhane au risque de se ranger du côté des civils, donc de s'opposer à l'armée, il ne faudrait pas oublier que les islamistes soudanais ont aussi avancé leurs pions sur l'échiquier si bien que plusieurs analystes et représentants de partis politiques soudanais soupçonnent les partisans de Omar el-Béchir, l'ancien président déchu, de chercher à semer le chaos afin de faire capoter le processus de transition et de tenter de revenir au pouvoir. Tous ces faits ne faisant qu'allonger la durée de la transition et planer l'ombre de la guerre civile, attendons pour voir...