Jeûne du mois de Ramadan et troubles digestifs Ouardirhi Abdelaziz Le jeûne du mois de Ramadan revêt une très grande importance pour tous les croyants. C'est une pratique religieuse fortement encrée en chacun de nous. Il est sacré et fait partie des cinq piliers de l'Islam. C'est une période de communion durant laquelle les musulmans du monde entier jeûnent pendant un mois. Du lever au coucher du soleil, les croyants s'abstiennent de manger, boire. Ce jeûne de 16 H, peut induire des perturbations et révéler des complications de certaines pathologies digestives. On fait le point avec le professeur Mohamed Kamal Benhayoun spécialiste de Gastro-entérologie. Tout au long de ce mois sacré de Ramadan, nos habitudes alimentaires connaissent un changement radical. On mange la nuit, ce qui perturbe notre sommeil. La composition des différents plats du Ftour ou du diner a tendance à être plus sucrée, plus grasse, plus épicés, qui favorisent les remontées acides. On ingurgite parfois des quantités importantes de nourriture dans un laps de temps relativement court, et on s'allonge pour le digérer. Tous ces changements auxquels se trouve soudainement confronté notre corps, notre tube digestif : notre estomac, nos intestins, notre foie, vont entrainer des troubles digestifs tels que des brûlures d'estomac, des reflux gastriques, des ballonnements, des douleurs et crampes abdominales, des nausées, des flatulences et une indigestion, dont souffrent et se plaignent de nombreuses personnes pendant ces dix premiers jours de Ramadan. Autant de motifs de passages aux urgences qui enregistrent un flux important de malades après le Four, mais c'est aussi un motif de consultations médicales non négligeables chez le spécialiste de gastro-entérologie. Quels sont les troubles digestifs courants pendant le Ramadan ? Les affections qui sont fréquentes, ce que nous voyons le plus aujourd'hui et surtout pendant le mois de ramadan, ce sont les troubles digestifs. C'est tout ce qui est lié aux troubles fonctionnels. Il y a deux volets qu'il faut bien distinguer. Le 1er volet, c'est celui lié à la digestion, le malade va se plaindre de douleurs abdominales, de troubles du transit (constipation-diarrhées), de ballonnements, de pesanteur surtout après la rupture du jeûne. Ce n'est pas une règle générale, le tableau symptomatologique, la gravité varie beaucoup d'une personne à l'autre. Certains patients peuvent présenter plusieurs des symptômes suivants : constipation ou diarrhée, parfois en alternance; douleurs et crampes abdominales soulagées souvent par l'émission de gaz ou de selles. Des ballonnements et flatulences; ressentir un besoin impérieux d'aller à la selle; des sensations d'évacuation incomplète des selles; le malade peut aussi noter la présence de mucus dans les selles. Jeûne et troubles dyspepsiques Le 2 éme volet est marqué par les troubles dyspeptiques et le reflux gastro-œsophagien. Ce sont des troubles fréquents en cette première période de ramadan. Il faut savoir que les troubles dyspeptiques représentent la première cause de consultation en gastro-entérologie. La dyspepsie est apparemment plus fréquente au cours du mois de Ramadan. L'apparition de symptômes dyspeptiques relève d'une mauvaise alimentation au moment de la rupture du jeûne du fait de l'association fréquente et excessive d'aliments trop gras, trop sucrés, trop épicés, d'excitants (café, boissons gazeuses...), ce qui a pour conséquence une irritation digestive à l'origine de douleurs. Jeûne et reflux gastro- œsophagien Le reflux gastro-œsophagien, ou RGO, est la remontée d'une partie du contenu de l'estomac dans l'œsophage. Celui-ci résulte d'un relâchement du sphincter inférieur de l'œsophage qui, physiologiquement, se referme dès le passage du bol alimentaire dans l'estomac pour éviter la remontée du contenu gastrique. Cette défaillance entraîne un reflux d'acide et provoque des brûlures de la paroi œsophagienne, à l'origine des douleurs caractéristiques du RGO. Entre autres causes, l'alimentation est un facteur qui peut favoriser la survenue de reflux gastro-œsophagiens. Lors du jeûne du Ramadan, la modification de l'alimentation après le repas du ftour privilégiant des aliments riches en lipides et en glucides qui vont directement agir sur le relâchement du sphincter inférieur de l'œsophage s'accompagne d'une augmentation de la sécrétion d'acide gastrique à l'origine des douleurs au niveau œsogastrique et d'un ralentissement de la digestion. Les changements alimentaires en termes de qualité (repas riches en graisses) et de quantité (prise importante et tardive d'aliments, juste avant le sommeil) favorisent la survenue du RGO. Jeûne et constipation Le syndrome de l'intestin irritable est considéré plutôt comme un trouble fonctionnel que comme une maladie. Il s'agit d'un mauvais fonctionnement sans lésions apparentes au niveau de l'intestin. Quant au terme « syndrome », il désigne un ensemble de symptômes à type de douleurs abdominales, de ballonnements et de troubles du transit (constipation, diarrhées). Concernant la constipation et sa fréquence, il faut dire que le jeûne est apparemment à l'origine d'une plus grande fréquence de troubles intestinaux où la constipation est prédominante. La perturbation de la motricité digestive et la réduction des apports hydriques au cours du jeûne, concourent à l'apparition d'une constipation de transit ou à l'aggravation d'une constipation pré-existante. Pendant le jeûne, l'organisme ne répond plus à la soif pour compenser les pertes externes et puise l'eau dans ses ressources internes. Les conséquences sont une coloration foncée des urines plus concentrées et une augmentation de la consistance des selles qui, physiologiquement, sont constituées de 75 à 85 % d'eau et seulement de 18 à 22 % de matières sèches. La constipation peut causer des désordres anodins tels que l'indigestion avec sensation de ballonnements, mais elle peut parfois être plus grave avec l'apparition d'hémorroïdes ou de fissures anales, d'hémorragies anales qui vont apparaître. Qu'en est-il des maladies digestives chroniques C'est une question importante car dans la majorité des cas, le patient ne mesure pas la gravité à laquelle il expose sa santé en pratiquant le jeûne sans en référer à son médecin traitant. Les maladies digestives chroniques sont nombreuses, leur évolution passe des périodes de poussées et des périodes de rémission. Ces maladies imposent la prise de médicaments prescrits par le médecin traitant, selon un schéma thérapeutique bien défini, et un suivi régulier. De ce fait, la pratique ou l'observance du jeûne de Ramadan doit rester du ressort du médecin traitant, une décision motivée qui repose sur le principe du cas par cas. Dans tous les cas de figure, ce qui importe le plus pour le médecin traitant, c'est la santé de son patient, c'est sa sécurité et son bien-être. Conseils pour éviter les troubles digestifs Le jeûne de ce mois béni de Ramadan est bénéfique. Le Ramadan est non seulement une occasion pour se rapprocher de Dieu et de mériter son pardon, mais également un moyen d'acquérir ou de maintenir une bonne santé. Tout au long du mois de Ramadan, il faut veiller à structurer les prises alimentaires autour de 3 repas par jour, en heures décalées. Prendre un petit déjeuner ( Shour ), un déjeuner, à la rupture du jeûne ( Ftour ) et un dîner. Cela permettra de répartir la ration quotidienne et fournira ainsi l'ensemble des macronutriments, ainsi que des vitamines et sels minéraux indispensables à l'organisme. L'organisation alimentaire est alors la même qu'avant, en décalant simplement les horaires des repas. Equilibrez toujours vos repas en veillant à apporter des aliments de tous les groupes alimentaires (féculents, fruits et légumes, viande, poisson ou œuf, et produits laitiers). Il est important de réduire la consommation de graisses. Par contre, il faut consommer plus de légumes. Certains aliments sont à consommer avec plus de modération : les pâtisseries, les biscuits, les oléagineux en excès, les viennoiseries... Eviter de grignoter continuellement tout au long de la soirée. Il est préférable de faire de vrais repas, vos choix alimentaires seront alors plus sains. Mangez dans de bonnes conditions, en étant assis à table, en prenant le temps de bien mastiquer, évitez de manger devant la télévision ou un ordinateur, profitez du repas tout simplement. Hydratez-vous tout le long de la soirée, par petites prises régulières afin de ne pas encombrer votre estomac par de trop grandes quantités de liquide. Evitez les boissons gazeuses, elles peuvent provoquer des flatulences, inconforts digestifs, remplissent l'estomac d'air et peuvent couper l'appétit. Très important au cours de ce mois sacré de Ramadan , mettez à profit cette occasion pour cesser, pour arrêter, ou du moins pour réduire la consommation du tabac qui peut favoriser la sécrétion d'acidité et aggraver le reflux. Il ne faut pas se coucher juste après le repas, en particulier si vous êtes sujets à des reflux. Evitez les vêtements trop serrés et apprenez à gérer votre stress. De même, il est conseillé de pratiquer une activité physique régulière, nécessaire pour entretenir un bon transit digestif.