Souvent pour les livreurs travaillant dans ces plateformes de livraison, les accidents ne sont pas couverts, ni les vols de motos et agressions, et ils vivent une situation financière assez précaire, notamment due à l'augmentation du nombre de livreurs surtout depuis le Covid. Kamal, Glover, nous confie, dans ce sens, « bon pour revenir à mon cas quand j'ai eu un accident, j'avais parlé aux managers, mais ceux-ci m'ont affirmé qu'ils n'ont pas le droit de m'aider, que les directives viennent de l'administration depuis l'Espagne. Mais moi je ne crois pas du tout à leurs affirmations. Au contraire l'administration en Espagne nous envoie tout le temps des emails nous demandant, à nous les livreurs, « qu'est-ce qu'il faut changer ? Est-ce que vous souffrez d'une difficulté ? Est-ce qu'il y a un manager qui n'est pas bien avec vous ? ». Pourtant, on ne peut pas répondre à leurs mails, car si on parle, on est cuits, on perdra notre compte dans l'application Glovo et on perdra notre job. Pourquoi ? Parce que nous sommes ici au Maroc, et on a peur pour nos jobs de l'administration marocaine qui nous concerne ». Les livreurs subissent souvent des vols et des agressions, comme l'affirme Kamal ici : « surtout dans la région d'Ain Sebaâ, et surtout le pont d'Ain Sebaâ, à 10h ou 11h du soir, les livreurs perdent leurs téléphones, voire leurs motos aussi. Et on déclare les délits aux autorités, mais ces dernières n'arrivent pas ou rarement à dédommager ou à indemniser le livreur ». Kamal, dans la moitié de ses vingtaines est tout de même titulaire d'un DEUG, « moi, quand même j'ai étudié, j'ai un DEUG en économie, mais je me suis trouvé dans cette situation de travailler comme livreur, pour subvenir à mes besoins et ne plus demander à mes parents de me donner de l'argent ». Les livreurs ne bénéficient non plus d'aucune assurance maladie et d'aucune ou de peu de couverture sociale, excepté la cotisation qu'ils effectuent auprès de la CNSS dans le cadre de leur fiche d'auto-entrepreneur. Voici Fouad, livreur chez Kaalix, qui témoigne de son expérience : « Au niveau de la maladie, il n'y a aucune couverture, c'est seulement ma propre CNSS, donc c'est à moi de me couvrir tout seul ». Des déconnexions et des blocages de compte dans l'application souvent inexplicables Les livreurs souffrent aussi de déconnexions, parfois inexplicables, et ce, même s'ils ont fait leur travail comme il faut. Témoignage de Kamal : « donc, on trouve notre compte bloqué dans l'application, on leur demande aux managers pourquoi donc ? Ils nous disent que le client n'a pas été satisfait du service, mais souvent on n'a rien fait au client, et on trouve notre compte bloqué juste parce que le client ne nous a pas aimés ou pour une autre raison pas très claire, et sans nous écouter ». Et d'ajouter, tout en déplorant le changement de situation et le remplacement de l'ancien management, « quand le responsable était un espagnol, la vie était bien chez Glovo, mais quand un marocain a pris les rênes la situation commença à se détériorer et à empirer ». Quoique concernant cet aspect de déconnexion, Grégoire Leclerc, syndicaliste et président de la fédération des auto-entrepreneurs en France affirme qu'il s'agit d'un algorithme qui gère l'application de la plateforme, « la déconnexion en France comme dans tous les pays, c'est un combat que nous menons, parce qu'en réalité c'est l'algorithme qui décide de déconnecter le livreur ou la VTC (Voiture de Transport avec Chauffeur), en fait l'algorithme donne une liste de critères, assez opaques, qui d'ailleurs varient d'une plateforme à l'autre, et en fonction de la note, en fonction du nombre de courses refusés, en fonction du nombre de litiges, en fonction des retards, et à un moment donné vous ne savez pas pourquoi, vous êtes tout simplement déconnecté ! ». Ainsi, les livreurs sont en réalité déconnectés par un robot ! L'augmentation du nombre des livreurs depuis le Covid a fortement diminué les revenus de ces derniers En constat de l'augmentation du nombre des livreurs depuis le Covid, Kamal indique, « maintenant le nombre des « louavria » (ou livreurs dans le jargon des livreurs, comme ils se nomment eux-mêmes) a augmenté, auparavant pendant chaque heure 200 livreurs livrent des commandes, alors que maintenant le nombre de ces derniers a augmenté à 300 ou 400 livreurs par heure. En conséquence de cette augmentation de la masse des livreurs, nos revenus à nous, les anciens livreurs, ont fortement diminué, car les commandes de plus qu'on avait sont maintenant prises en charges par les nouveaux arrivants ». Fouad, travaillant avec Kaalix, déplore sa situation financière, surtout après la hausse des prix des carburants : « Prenons l'exemple de mon travail d'hier, j'ai livré six ou sept commandes, j'ai gagné 12,5 DH par commande, ça fait presque 100 DH, déduisez de ce montant les 50 DH dépensés sur l'essence, il ne vous reste rien en fin du compte, 50 DH par jour. Comment on va faire pour nourrir les enfants ? Pour payer l'eau et l'électricité ? Le loyer ? » Fouad s'indigne également de certaines pratiques malhonnêtes qui s'exercent dans son entreprise, « par ailleurs, il y a de la discrimination dans ce job, du clientélisme et du népotisme. Si on est l'ami de quelqu'un, il nous graissera la patte tous les 15 jours, et nous enverra les meilleures commandes ! » Eloges du métier et de certaines plateformes par les livreurs A l'image de Hamza qui énumère les avantages de son métier, ce job permet tout de même aux livreurs de faire des connaissances, d'obtenir de gros pourboires ou encore de fidéliser certains clients et travailler avec eux sous les radars de leurs sociétés. Hamza précise dans ce sens, « il y a la possibilité de bien arrondir les pourboires, il y a des clients qui donnent 80, 90, 100 DH ou plus de pourboires. Je ramène parfois à un client une commande, il me sollicite après pour lui ramener quelque chose, pour m'envoyer en tant que commis, il me dit « ramènes-moi ceci, ramènes-moi cela », je lui dis d'accord ». Hamza, qui travaille souvent à son compte, hors l'application de son entreprise, nous a aussi affirmé qu'il ne livre pas seulement des produits conventionnels : « Parfois, un client me dit « amènes-moi de l'alcool », et il me donne de gros pourboires pour cela, 150 à 200 DH, voire plus, pour le service de lui ramener de l'alcool, et vu que moi aussi je bois de l'alcool, je n'ai pas de problème à ce niveau, donc je le fais. Et j'établis un contact avec lui, et il m'appellera toujours pour lui rendre ces services, il devient une sorte de partenaire ». Toujours dans ce sens d'énumération des avantages de son job, Hamza affirme, « ce job me permet d'explorer la société, de faire des connaissances, je livre à un directeur d'entreprise, à un autre aussi haut placé, et moi personnellement, plusieurs postes d'emploi m'ont été proposés via ce job ». Certains de ces livreurs ont tout de même été élogieux quant à la plateforme dans laquelle ils travaillent, et pour ce job, qui malgré tout leur permet de bouger et de sécuriser un revenu à la fin du moi. Comme Kamal, travaillant chez Glovo, « Par ailleurs, chaque livreur, surtout à Glovo, admet que le système d'organisation du travail dans cette société est le meilleur au Maroc. Glovo laisse les livreurs travailler selon leurs propres horaires, et n'impose aucun horaire fixe du haut à ses travailleurs ». Et de poursuivre, « A Glovo, lors des fêtes de l'Aid Kabir ou toute autre fête religieuse, on nous donne un bonus. Tout de même, une autre chose positive que Glovo Espagne nous a accordés, c'est quand quelqu'un a un nouveau né, il peut bénéficier d'une aide pécuniaire allant jusqu'à 2 700 DH ». Continuant toujours à énumérer les avantages de travailler à Glovo, Kamal continue : « Aussi, parmi les autres avantages, il y a, en cas de décès, la possibilité que votre famille perçoive 9 300 € d'indemnité sur le champ envoyée. Cela vient d'être appliqué récemment par la direction en Espagne. Par exemple, si quelqu'un fait un accident qui débouche sur une invalidité, que sa main soit coupée ou qu'il devient handicapé, ils lui donnent une indemnité de 3 000 € ».