La publication par Google la semaine dernière d'une information sur l'échange un euro contre plus 18 DH a créé une grande panique dans différents milieux. Il semblerait que cette information, démentie formellement par un communiqué émanant de Bank Al Maghreb le jour même, soit due à un bug informatique dans le moteur de recherche Google. On regrettera, cependant que ni les autorités monétaires, ni le gouvernement, n'aient fourni suffisamment d'explications sur cette « bourde » de Google pour mettre fin à toute suspicion et rassurer une opinion publique contre les spéculations « catastrophiques » qui circulent à ce sujet allant jusqu'à parler d'un processus de « libanisation » et que sais-je encore. D'aucuns n'ont pas manqué d'ailleurs de faire le lien entre cet épisode et le recours de Bank Al Maghreb au rachat des Bons de Trésor, sur le marché secondaire. Essayons de voir clair à ce sujet. Il faut d'abord remonter à l'origine du processus de flexibilisation de notre monnaie nationale. En effet, le Maroc a résisté pendant des décennies aux injonctions des instances internationales, et en premier lieu le FMI, l'incitant à passer d'un régime de taux de change fixe à un régime de taux de change variable. Dans un premier temps, le Maroc s'est limité à pondérer la valeur du dirham par rapport à un panier constitué de l'euro à hauteur de 60% et du dollar à hauteur de 40%. Il a fallu attendre janvier 2018 pour introduire une marge de fluctuation de – 2,5% à +2,5%, soit une épaisseur de 5%. Ce passage, rappelons-le, a été précédé par une large campagne d'explication soutenue par la production de capsules et vidéos pour faire comprendre à tout un chacun le fonctionnement de ce début de flexibilisation. La deuxième phase, intervenue en mars 2020, consistait à élargir la bande de fluctuation à plus ou moins 5%, soit une épaisseur de 10%. Malgré la crainte légitime exprimée par divers milieux face à cet élargissement, on relève, heureusement, que le Dirham affiche une position relativement favorable mis à part l'infléchissement face au raffermissement du dollar qui a vu sa valeur égaler celle de l'euro. Ce qui n'est pas sans conséquences sur nos achats libellés en dollars et particulièrement les produits pétroliers ainsi que sur le service de la dette effectué généralement en billet vert. Malgré l'appel incessant du FMI à passer à une étape supérieure dans ce processus de libéralisation du taux de change pour laisser le dirham flotter au gré de l'offre et de la demande, le Wali de Bank Al Maghreb, mesurant parfaitement le risque d'une telle aventure dans un contexte économique et géopolitique pour le moins difficile, juge que le moment n'est pas opportun pour accélérer le processus de flexibilisation. En effet, la monnaie nationale a un double attribut : moyen de paiement et symbole de souveraineté nationale au même titre que les autres attributs de la souveraineté. D'où la nécessité de veiller à sa bonne tenue pour ne pas se transformer en monnaie de singe et perdre la confiance dont elle jouit auprès des opérateurs économiques, des consommateurs et des épargnants. Bien sûr, on ne le dira jamais assez, la monnaie n'est autre que le reflet de l'économie : une économie en bonne santé donne lieu à une monnaie forte ; a contrario, une économie malade ou agonisante entraine une monnaie faible et vacillante. C'est dans ce sens que les Banques Centrales sont investies, entre autres, d'un pouvoir presque régalien consistant à défendre la solidité de la monnaie nationale afin d'éviter tout dérapage monétaire aux conséquences fâcheuses. Par conséquent, plusieurs facteurs militent en faveur d'une pause en matière de flottaison du dirham. D'abord, les fondamentaux de l'économie, s'ils ne sont pas mauvais, ne sont pas parfaits et entièrement rassurants non plus. Les données macro-économiques relatives à 2022 et les prévisions pour 2023 et 2024 nous interdisent de verser dans un optimisme démesuré. Si nos réserves de change se situent à un niveau satisfaisant (l'équivalent de plus de 6 mois d'importations) suite aux transferts des RME et aux recettes touristiques, il faut souligner néanmoins certains problèmes qui demeurent préoccupants : taux élevé de l'endettement public, maintien du déficit budgétaire à un niveau élevé, aggravation du déficit commercial et du déficit des paiements courants ainsi qu'un taux élevé de l'inflation. Pour se prémunir contre des chocs imprévus et brusques, le Maroc a bénéficié de la « ligne de crédit modulable » du FMI qu'il pourra utiliser en cas de besoin. Ce procédé de financement auprès du FMI, contrairement à la LPL (ligne de précaution et de liquidité) utilisée par le passé, a l'avantage d'être souple, à usage immédiat et n'entraine pas une quelconque conditionnalité. « La ligne de crédit modulable a été conçue pour répondre à la demande de financement émanant de pays qui présentent une politique et des antécédents économiques très solides pour prévenir et résoudre des crises » (FMI). En outre, il suffit pour un pays d'être éligible à cette ligne de crédit pour disposer en quelque sorte d'un laisser passer vers les milieux créanciers. Pour ce qui est de l'achat par Bank Al Maghreb des bons de trésor sur le marché secondaire auprès des banques, il s'agit d'une opération somme tourte courante rentrant dans le cadre de la politique monétaire de la Banque Centrale. Ainsi, une série d'appels d'offres sont prévus dont deux ont été déjà organisés successivement le 16 janvier et le 23 janvier courant. Le premier a porté sur une demande globale de 1,3 milliard de dirhams, totalement satisfaite par Bank Al-Maghrib. La maturité moyenne des bons du Trésor achetés s'est établie à près de 3 mois avec un taux de rendement moyen de 3,16%. Le second a porté sur une demande globale de 200 millions de dirhams, totalement satisfaite par Bank Al-Maghrib. La maturité moyenne de ces bons de trésor s'est établie à près de 6 mois avec un taux de rendement moyen de 3,27%. En recourant à cet achat sur le marché secondaire, la Banque Centrale vise deux objectifs essentiels. Le premier consiste à assurer indirectement le financement du trésor ; le second objectif tient à mettre à la disposition des banques des liquidités supplémentaires allégeant relativement leur besoin en liquidités, établi en décembre 2022 à 86,5 milliards de dirhams en moyenne hebdomadaire, contre 86,1 milliards un mois auparavant.