Toute proposition de réforme du code électoral doit partir d'un examen de la situation actuelle. Si l'on doit aboutir à une formulation finalisée dudit code, celle-ci devra tenir compte de la nécessité de promouvoir la représentativité féminine en conformité avec les engagements du Maroc, notamment les Objectifs du Millénaire du Développement et qui prévoient 30% de représentativité pour la femme dans toutes les instances élues. C'est en ces termes que s'exprime Nouzha Skalli, membre du BP du PPS et ministre du développement social, de la famille et de la solidarité. Ici, Skalli s'exprime comme militante du PPS. Elle verse ses arguments dans ce débat qui se profile à l'horizon des échéances de 2012. Entretien. Al Bayane : L'horizon des échéances législatives 2012 remet au goût du jour le large débat sur le code électoral. Vous avez vous même l'occasion de faire un exposé devant le Bureau Politique du PPS à ce sujet. Pouvez-vous nous en rappeler le contexte? Nouzha Skalli : Le Parti du Progrès et du socialisme a toujours fait une lecture critique des différents modes de scrutin qu'a connus le Maroc pour l'élection de son instance législative concernant aussi bien le mode de scrutin uninominal à un tour qui a prévalu avant 2002, que celui à la proportionnelle par listes locales limitées adopté en 2002. Cette date avait toutefois introduit une innovation, qui a permis d'ouvrir la porte pour la première fois à une représentation significative des femmes, à savoir «la liste nationale» réservée par consensus des partis politiques aux candidatures féminines Le Bureau Politique du PPS fraîchement élu, considérant les enjeux majeurs pour la démocratie - des élections législatives de 2012 et l'importance cruciale du mode de scrutin électoral - a décidé de lui consacrer une discussion pour faire ressortir sa position qui alimentera le débat politique national indispensable autour du mode de scrutin. Le Secrétaire Général du Parti, Nabil Benabdellah, connaissant la passion que j'ai développée depuis de nombreuses années pour les techniques électorales, m'a proposé de faire l'exposé introductif que j'ai présenté devant le Bureau Politique. J'ai ainsi développé un argumentaire critique sur les différents modes uninominal à un tour, à la proportionnelle par listes « courtes » et à la proportionnelle par liste nationale et également régionale. La discussion sera entamée dès la rentrée au début du mois de Ramadan. Dans quels termes se pose le débat sur le prochain code électoral? Toute proposition de code électoral doit partir d'un examen de la situation actuelle pour en faire une évaluation, en dégager les faiblesses et les dysfonctionnements et surtout déterminer les objectifs de la réforme souhaitée. Sachant que le mode de scrutin n'est pas immuable et que nous devons le considérer comme une technique qui doit être mise au service des objectifs tracés: ni plus, ni moins! Ainsi le système électoral pour la Chambre des Représentants (1997) qui était fondé sur un mode de scrutin uninominal majoritaire (MSU) à un tour avec 325 sièges, avait de nombreuses tares malgré quelques qualités non négligeables. En effet, il avait l'avantage d'être simple et facile à comprendre puisque basé sur le principe : une circonscription, un élu. Je peux dire le mot «élu» au masculin car ce mode de scrutin ne laisse qu'une infime chance aux femmes et aux jeunes d'être élus. Ce mode de scrutin favorise la participation électorale et la représentation locale de proximité. Mais parmi ses défauts majeurs : c'est d'être un mode de scrutin foncièrement antidémocratique. Ainsi l'élu qui avait la majorité relative ne représentait en fait qu'une minorité absolue car le pourcentage de voix des élus dépassait rarement 20 à 25% des voix. Dans ce système en fait, seule la minorité des voix s'avère « utile » alors que la majorité absolue des voix n'est nullement prise en compte et équivaut à zéro ! Parmi les tares de ce système, il ne favorise pas le vote politique mais favorise le tribalisme et le clientélisme, voire l'achat de voix. De plus, avoir une représentation uniquement fondée sur ce mode ne permet la reconnaissance que de la légitimité locale et nullement de la légitimité nationale. Un tel mode de scrutin a été critiqué par l'ensemble des forces démocratiques. Le PPS pour sa part, a toujours plaidé en faveur d'un mode de scrutin proportionnel par liste. Ce système mérite à son tour d'être examiné à la loupe car s'il présente des avantages certains que nous allons exposer, il ne manque pas pour autant de présenter également des inconvénients que nous citerons. Le Mode de scrutin par liste à la proportionnelle (MSLP) est reconnu comme plus démocratique, ne serait-ce que du fait que presque toutes les voix exprimées seront utiles. Outre qu'il favorise le vote politique et responsabilise les partis, il rend plus difficile l'achat des voix et favorise l'élection des élites femmes et jeunes. Enfin, il donne un sens à la légitimité nationale et ne se fonde plus exclusivement sur la légitimité locale. Ces deux derniers arguments permettent d'affirmer qu'un tel mode de scrutin contribuerait sans aucun doute à élever le niveau des prestations de notre honorable institution parlementaire. Ce mode MSLP ne manque cependant pas de comporter des inconvénients : il s'agit, en effet, d'un système plus difficile à comprendre, il nécessite une bonne démocratie interne au sein des partis pour le choix des «têtes» de liste et également un certain nombre de candidats de soutien qui ne seront pas élus. Qui plus est, l'électeur ne connaît plus « son » élu (e) et cela aboutit, par conséquent, à une faible participation électorale. Venons-en maintenant au mode de scrutin adopté suite à la réforme de 2002. Les 325 Député(e)s de la Chambre des Représentants sont élus selon le mode de scrutin proportionnel par listes. 295 élu(e)s sur des listes locales, 30 membres élu(e)s sur des listes nationales Je reviendrais de façon plus détaillée sur la question de la liste nationale. Pour ce qui est des listes locales, le découpage a malheureusement adopté des circonscriptions réduites de 2 à 5 sièges et a, par conséquent, évacué les avantages du mode de scrutin proportionnel par liste. Ainsi ce scrutin atténue certes les effets négatifs de l'uninominal mais ne permet pas d'une façon générale l'élection que des têtes de listes à quelques exceptions près. Qu'en est -il de la liste nationale ? Il faut dire que la liste nationale a constitué un acquis qui a couronné de nombreuses années de lutte du mouvement pour les droits des femmes. On peut citer le comité pour la participation des femmes à la vie politique dès 1992, par la suite, en 1997, le CLEF (centre pour le leadership féminin), puis le mémorandum des 20 qui avait réclamé la mise en œuvre d'une stratégie pour promouvoir la participation politique des femmes, ensuite, toutes les campagnes de plaidoyer et de lobbying de même que l'action du comité de coordination des femmes des partis politiques. Les partis politiques ont décidé, par consensus, de réserver les 30 sièges de la liste nationale aux femmes. L'élection de 35 femmes au parlement en 2002 a constitué une avancée saluée de tous et de toutes et a été considérée, à l'unanimité des partis politiques et des associations féminines, comme une véritable avancée civilisationnelle et démocratique qui a valu l'honneur aux femmes parlementaires de poser pour une photo avec SM le Roi Mohammed VI, le jour de l'ouverture de la session d'octobre 2002. Au plan international, cette élection fut un motif de fierté et un moyen d'attirer les capitaux et les investissements! Malheureusement en 2007, en l'absence de toute décision pour faire évoluer la place des femmes dans les instances élues, le Maroc a accusé un recul absolu et relatif ! Sur le plan du nombre: nous sommes passés de 35 femmes élues sur 325 députées en 2002, à seulement 34 en 2007 et du taux de 10,77% en 2002, à seulement 10,46% à l'actuelle législature. Le Maroc se trouve aujourd'hui classé 96ème du monde et a reculé de 2002 à 2007, du 2ème au 7eme rang parmi les pays arabes, et ce, après la Tunisie (27,6%) l'Irak (25,2%), les Emirats Arabes Unis (22,5%), la Mauritanie (22%) Djibouti: 13,8% et la Syrie (12,4 %). Enfin, le Maroc se trouve, hélas ! bien en deçà de la moyenne de représentation des femmes dans les parlements africains qui est de 18,3% ! Toute proposition de mode de scrutin devra tenir compte de la nécessité de promouvoir la représentativité féminine en conformité avec les engagements nationaux et internationaux du Maroc et notamment les OMD qui prévoient 30% de représentativité féminine dans toutes les instances élues. Quels sont à votre avis les problèmes auxquels il faut remédier et les objectifs à atteindre à travers une réforme du Code électoral ? Si on veut faire le constat de la situation actuelle, il est difficile de ne pas constater que la démocratie dans notre pays a besoin d'un nouveau souffle pour être en conformité avec la haute volonté Royale et les aspirations des citoyens et citoyennes. La démocratie souffre, en effet, d'une multitude de symptômes : faible participation électorale, insatisfaction de l'électorat, des élections polluées par l'argent sale, une carte politique éclatée, l'absence d'une majorité claire, le nomadisme des élus et enfin une image détériorée des instances élues. En plus de ces tares, les jeunes et les élites intellectuels et politiques trouvent difficilement leur place et le niveau des prestations au sein du parlement est faible. Les élites politiques se trouvent en dehors du parlement. Le monde de la politique est dominé par les hommes et laisse bien peu de place aux femmes. Pour revenir à la liste nationale, celle-ci a été détournée de sa vocation et bien peu de partis ont adopté une démarche démocratique pour désigner les femmes candidates. Par contre, beaucoup de candidates ont été désignées sur la base du clientélisme ou pour régler les compétitions entre les hommes. Les objectifs de la réforme découlent de ce constat, il s'agit en l'occurrence d'améliorer la participation électorale (MSU, Mode de Scrutin Uninominal) et de favoriser la proximité entre les élu(e)s et la population (MSU). Aussi, pour améliorer le vote politique (MSLP, mode de Scrutin proportionnel par liste), est-il demandé d'élire des élites politiques (MSLP).Il s'agira de favoriser l'élection des femmes et des jeunes (MSLP). Il faudra contribuer à faire émerger des élites régionales en perspective de la régionalisation. Quel est le bilan de cette réflexion ? Pouvez-vous nous en rappeler les principales composantes et surtout la démarche qui sous-tend votre proposition de réforme? Notre réflexion aboutit à considérer que le mode de scrutin à choisir doit permettre d'avoir les avantages des 2 modes en minimisant les inconvénients. Il s'agit donc d'un mode de scrutin mixte qui permet notamment de mettre fin à un système d'élection qui ne donne une légitimité qu'à la représentation locale au détriment de la représentation nationale ou régionale. Il s'agira de faire allier la nécessité de faire élire des élites intellectuelles, des femmes et des jeunes avec des élites représentatives localement. Nous pourrons ainsi être à même d'apporter un plus notable à la prestation parlementaire et améliorer l'image du parlement. Une telle démarche ne manquera pas de mettre en concurrence des programmes politiques au plan national. Il ya également la possibilité d'améliorer la représentation des femmes, ce qui servira les principes de démocratie et d'égalité et servira l'objectif de la modernité. Cette nouvelle approche facilitera une bonne relation de proximité et, par conséquent, donner satisfaction à la population locale et favoriser une bonne participation électorale à travers les élus au scrutin uninominal. Il est enfin susceptible de concilier les avis de tous les acteurs politiques. Quelles sont les hypothèses en présence dans le cadre de ce débat sur la nécessaire réforme du code électoral? En conclusion de mon exposé devant le bureu politique, j'ai fais deux propositions actuellement soumises au débat : Une proposition A où il est souligné que : - la moitié des sièges seront pourvus par le biais du mode de scrutin par liste nationale à la proportionnelle - l'autre moitié des députés seront élus au mode de scrutin uninominal à deux tours (le deuxième tour atténuera les effets négatifs du MSU), - la liste nationale sera obligatoirement composée de 50% hommes et 50% femmes en alternance hommes/femmes Une proposition B qui elle définit : - un mode de scrutin mixte à trois niveaux national, régional et local - la moitié des sièges seront pourvus par le biais du mode de scrutin uninominal à deux tours (169), - 60 sièges élus par mode de scrutin proportionnel par liste au plan national : avec alternance hommes et femmes - 96 seront répartis à travers des listes régionales de 6 sièges par un mode de scrutin proportionnel par liste régionale avec obligation de l'alternance hommes/ femmes Selon vous, quel serait le schéma idéal qui pourrait s'offrir aux différentes forces politiques en présence pour aborder les échéances de 2012 dans le cadre d'une configuration marquée par l'équilibre, la promotion de la diversité des expressions politiques et surtout introduire une carte politique conforme à la volonté des électeurs sans manipulation d'aucun genre? A mon avis, la réforme du code électoral est une condition nécessaire, voire indispensable mais une condition non suffisante. Des mesures d'accompagnement devraient permettre à cette réforme de réaliser les objectifs fixés. Il s'agit d'ouvrir un large débat national sur cette question et de prendre des engagements nationaux concernant la déontologie électorale qui doit se fonder sur des valeurs éthiques consensuelles. Les lois ne doivent pas être faites pour être contournées mais pour être respectées dans leur esprit comme dans leur lettre. Il s'agit de lutter sincèrement contre la transhumance, par exemple, et contre l'utilisation de l'argent pour les élections. De même, des engagements doivent être pris pour assurer un niveau élevé de démocratie au sein des partis politiques. Cet exercice pour difficile qu'il soit n'en est pas moins salutaire. Je suis également favorable à l'instauration du vote obligatoire (de grandes démocraties comme la Belgique et l'Australie l'ont bien fait !) Il s'agit aussi de mener une large campagne de sensibilisation sur le danger pour la démocratie que constitue l'abstention électorale. La tâche est donc loin d'être aisée mais le jeu en vaut la chandelle car la magnifique dynamique de progrès économique et social et en matière de droits de l'Homme et de démocratie que connaît notre pays ne peut faire l'économie d'une mise à niveau du processus électoral qui devrait pouvoir bénéficier de la même mobilisation sociale que celle constatée dans les chantiers de développement.