« L'utilisation de l'espace public à des fins artistiques est essentielle car elle permet aux personnes ,y compris aux personnes marginalisées, d'accéder librement aux arts, y compris dans leurs formes les plus contemporaines et parfois d'y participer .Dans certains cas, les expressions et les créations artistiques sont utilisées dans les espaces publics comme un moyen pacifique de manifester des opinions minoritaires ou différentes ».Farida SHAHEED Hicham IBN ABDELOUAHAB, Consultant en Ingénierie Culturelle et Créative Formateur au Crmef de Laâyoune Sakia El-Hamra Créer « un effet Bilbao » dans le respect des droits culturels et des spécificités territoriales. La question de l'éthique et des droits culturels est en vogue depuis quelques années, la majorité des recherches qui ont évoqué ce sujet font référence à l'article 15 et l'article 27 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels entré en vigueur par les Nations Unies en 1976. La question du respect des droits culturels n'est pas un catéchisme qui devrait être prêché en Occident comme au Sahara Marocain. Cependant l'absence des politiques culturelles territoriales due à l'ajournement de la validation par la chambre des représentants du Conseil national des langues et de la culture marocaine contribue davantage aux freins qui entravent à l'élan de cette question majeure et ce malgré les efforts déployés dans le cadre des différentes stratégies qui se veulent réformatrices notamment le modèle de Développement des Provinces du Sud, initié en 2013 à la suite des recommandations du CESE (Conseil Economique Social et Environnemental) particulièrement le levier relatif à la sécurité patrimoniale et la valorisation du patrimoine culturel. Les différents acteurs de l'écosystème des régions du sud se sentent non concernés par la question culturelle à l'exception de la direction du ministère tutelle et des initiatives louables prônées par Phosboucraâ, l'Agence de Développement du Sud, l'INDH et la Banque Populaire, entre autres. Cette résistance vis-à-vis de la mise en vigueur pratique des directives concernant la culture s'explique par la non-reconnaissance des entreprises et des associations culturelles comme des instances reconnues à cette utilité publique par la loi. Nous devons de même rappeler que la culture et l'investissement dans les industries créatives peut servir de locomotive pour des régions qui se développent très rapidement et qui réalisent des progrès immenses grâce aux projets initiés par le monarque et aux potentiels naturels et culturels qui constituent une grande attraction territoriale. Le nombre de touristes qui visitent la Région de Dakhla Oued Dahab, les délégations consulaires internationales qui sont de plus en plus présentes dans la région de Laâyoune Sakia El Hamra, et le potentiel littoral et naturel de la Région de Guelmim Oued Noune nous amènent à réfléchir à haute voix à la culture loin des formes traditionnelles des manifestations culturelles qui empruntent davantage au folklore qu'à l'industrie. Nous allons essayer de mettre la lumière sur des champs fertiles sur lesquels nous pouvons miser afin de réussir à engendrer un effet Bilbao (effet Guggenheim) au Sahara particulièrement dans la région Laâyoune Sakia El Hamra afin d'infléchir la trajectoire du développement de la région pour une meilleure pérennité culturelle et économique. Les arts visuels notamment l'art contemporain L'absence d'installation artistique (in situ qualifié parfois de Land art) dans les provinces du Sud à l'exception de quelques tentatives sur les villes de Boujdour et de Dakhla. Il est à rappeler que le marché de l'art contemporain est de plus en plus en vogue, il pèse 2,7 milliards de dollars des œuvres vendues aux enchères selon une étude réalisée à cet effet en 2021 par Art Price. Sur cette même étude nous pouvons constater la présence d'artistes africains de renom parmi lesquels : Amoako BOAFO du Ghana, Marlene DUMAS et William KENTRIDGE de l'Afrique du Sud qui ont cumulé à eux seuls 21,5 millions de dollars de vente aux enchères entre 2020 et 2021. Solution proposée : renforcer la créativité en milieu urbain à travers des concours d'installation, des expositions d'art contemporain, des résidences d'artistes de renom pour créer des installations sur les jardins et les places publiques. Des formations à cet effet peuvent avoir un impact esthétique sur les espaces de la ville notamment en enjolivant les dizaines de jardins et de places publiques dont est dotée à titre d'exemple la ville de Laâyoune qui connait une vraie expansion dédiée à cet effet. Toutefois ce travail artistique et créatif à mener doit être accompagné par une sensibilisation au paradigme que propose l'art contemporain et qui sort des critères classiques pour aborder une œuvre d'art contemporaine. Apprécier la qualité d'une œuvre qui provient de l'art contemporain se fait aujourd'hui sur des critères qui dépassent les normes ancestrales fondées sur le beau, l'équilibre, les traits de l'ombre et de la lumière entre autres critères. Jusqu'à la moitié du 19ème siècle, les académies d'art émettaient des règles et des critères pour évaluer la qualité d'une œuvre. Cependant, aujourd'hui, c'est l'originalité qui compte c'est aussi tout le travail de communication sur une œuvre qui lui donne sa valeur à travers la mise en œuvre d'événements qui légitiment un artiste, sa présence dans les médias et dans les prestigieuses galeries ou son introduction à un musée d'art contemporain, parfois même son implication dans des scandales contribuent à fonder sa notoriété et à atteindre des prix de vente faramineux. L'exemple le plus concret est le scandale causé par les tulipes de Jeff Koons installé dans les jardins des Champs-Elysées. L'art contemporain se veut une alternative aux formes traditionnelles de la création plastique qualifiée de kitsh pourtant c'est un marché qui demeure spéculatif touché par une financiarisation qui risque d'exclure même le marché Européen auquel nous sommes fortement liés. Néanmoins, nous pouvons miser sur l'expertise américaine à cet effet en capitalisant sur la forte présence des ONGs américaines qui contribuent dans des projets de développement durable dans la région Laâyoune Sakia El Hamra et Dakhla Oued Ed Dahab. Une stratégie d'empowrement créative accompagnée d'un travail de networking pour débuter à émettre les premiers pas vers un marché d'art contemporain prépondérant peut avoir un impact dans les cinq ans à venir. Le cinéma et l'audiovisuel Nous ne pouvons en aucun cas penser qu'une salle de cinéma pourrait être à100% indépendante financièrement vu les crises que vivent la majorité des salles au niveau national. Toutefois il est possible de penser à une salle polyvalente municipale avec une programmation cinématographique régulière et un budget de gestion et de programmation annuelle tout en attribuant sa gestion déléguée à une ONG nationale ou internationale avec un cahier de charge qui puisse forcément apporter de la valeur ajoutée pour la cité. Plusieurs formes de programmation peuvent exister notamment la création de cinéclubs dans les établissement scolaire et l'organisation de projection spécialisée pour les adhérents de ces clubs, un abonnement annuel avec des établissements publiques et privés et une réduction pour les jeunes de moins de 25 ans. Il faut rappeler que les salles de cinéma municipale représentent un taux de 12% de l'ensemble des entrées en France. Alors pourquoi ne pas réfléchir à une stratégie culturelle pareille qui coûtera beaucoup moins cher que des événements par-ci et par-là qui n'ont que peu d'impact sur la capacitation culturelle des citoyens ? D'autant plus que les événements phares et les festivals doivent être un couronnement de la dynamique culturelle et non pas des rendez-vous annuels orphelins. De ce fait il serait aussi judicieux de développer une intermédiation des initiatives à prendre notamment des événements dans les quartiers défavorisés à l'image du beau travail que réalise la Fondation Ali Zaoua à travers ces centres des étoiles, et favoriser aussi l'accès à la culture et au cinéma pour les établissements pénitentiaires et les centres qui appartient à l'entraide nationale, et les hôpitaux entre autres. Le tourisme et l'artisanat Le tourisme et l'artisanat représentent une artère principale pour l'empouvoirement des industries culturelles et créatives particulièrement les industries du luxe. Le patrimoine culturel sahraoui est connu par sa richesse et sa diversité principalement l'artisanat de la transformation des peaux et de l'argile arrivant à la création des bijoux et des décors. Malgré cette richesse, l'absence d'une stratégie de valorisation et la commercialisation digitale le packaging de ces produits entre autres rendent ce patrimoine occulté dans cette région. Ce levier créatif peut se développer par la mise en œuvre d'un «écosystème artistique » qui va de la formation jusqu'à la collection, en passant par la production, l'exposition et la médiation » Le projet Français MO.CO prôné par la ville de Montpellier est un bel exemple d'une telle stratégie et qui pourrait réussir pleinement au cœur d'une agglomération comme Laâyoune à travers la mise en place d'un édifice qui pourrait servir d'hôtel comportant à la fois une galerie de luxe pour exposer des produits fabriqués par des matériaux locaux, un atelier créatif de design et d'agencement pour vendre du mobilier fabriqué en main et une maison de vêtement local pour produire des articles issus de la tradition sahraouie. Cet hôtel peut de même abriter une école régionale des beaux-arts pour former des jeunes avec un penchant artistique. Un dispositif pareil incitera des marques expérimentales à s'y installer petit à petit pour contribuer à engendrer un modèle d'affaire qui penche plus vers le travail sur des matériaux qui respectent l'environnement et les processus de conditionnement à travers des solutions innovantes dans la commercialisation. Ce modèle expérimental pourrait, en tout cas, aboutir à trouver des passerelles avec de grosses marques à travers la création de produits hybrides avec des coups accessibles et un respect des normes de production durable. Il est à noter que le secteur du textile, à titre d'exemple, contribue parfois à la détérioration de l'environnement notamment par l'utilisation excessive des sources d'énergies classiques pour les déplacements à des fins de shooting et d'exposition. D'après la fondation MacArthur, l'industrie du textile émis 1,2 milliards de tonnes de gaz à effet de serre chaque année. Ce qui place cette industrie comme la deuxième industrie la plus polluante dans la planète derrière les industries pétrochimiques. Ce chiffre étonnant s'explique par la consommation excessive des vêtements. On consomme deux fois plus de vêtement que qu'il y a 20 ans pour une durée deux fois moins longue. À la suite de ce constat, nous trouverons des exemples d'entreprises le cas de Tale Me qui a déniché une opportunité à cet effet en créant un service qui loue des vêtements notamment pour les enfants (qui grandissent vite) et pour les femmes enceintes (qui changent vite de morphologie après avoir enfanté) pour plus de durabilité des vêtements et plus d'utilisation. Le livre Le haut-commissariat au plan (HCP) et le Conseil Economique, Social et Environnemental CESE ont abordé auparavant la crise de lecture lors du salon international de l'édition et du livre en 2020. Ils avaient proposé de mettre en place des programmes qui encouragent la lecture dans les établissements scolaires et dans les jardins publics... tout en incitant les entreprises à investir dans les bibliothèques scolaires dans le cadre de leur RSE. Ces recommandations semblent d'une grande envergure surtout pour la ville de Laâyoune qui a connu un investissement important au niveau des points de lecture et qui aura besoin juste d'un programme d'animation avec des moyens budgétaires pour inviter des écrivains, animer des ateliers de lecture, organiser des compétitions et encourager les clubs de lectures des écoles afin de maximiser l'impact et d'atteindre les « outcomes » escomptés. Pour ce faire il faut établir des cahiers de charges avec des indicateurs clés et allouer des budgets aux instances qui dirigent ces points de lecture, comme il sera judicieux d'effectuer une évaluation d'impact de ces points de lecture pour déterminer les points positifs sur lesquels il faudrait capitaliser et les défis qu'il faudrait réussir et surmonter. La musique Depuis quelques années, le monarque guidé par sa vision éclairée a mis en place un projet pour la valorisation de la musique hassani. En effet, ce projet d'une grande envergure a contribué à la conservation et au développement de cette manifestation artistique et créative. Dans cette même optique, il est temps pour que les différents acteurs prennent le devant et réfléchissent à la création d'un conservatoire de musique hassani dans les cinq ans à venir. Un tel projet pourrait être le couronnement d'une formation approfondie de musique pour former des formateurs qui auront cette responsabilité d'agir en tant que relais pour la conservation et la valorisation de ce patrimoine national riche et diversifié. Afin de contribuer au rayonnement de la musique hassani, il serait aussi recommandé d'établir une stratégie à long terme qui veillera à mettre en œuvre un studio d'enregistrement musical et une plateforme en streaming pour diffuser et animer des émissions radiophoniques de cette musique riche. De même, établir des séries de résidence entre des musiciens sahraouis et d'autres musiciens extramuros aura un effet important sur la diffusion de cette musique. Enfin La priorité actuelle à laquelle asprie plusieurs artistes locaux est celle d'édifier une maison d'arts qui serait un lieu dédié à héberger des artistes pour des résidences d'écriture, de musique de théâtre entre autres... un lieu à la fois d'exposition, d'échange et de création. Un espace pareil pourra contribuer à créer un cluster artistique et créatif et un lobbying tangible pour compléter une chaîne de valeur qui a besoin d'art et de culture pour débuter les premiers pas vers un « effet Bilbao » dans le respect des droits culturels et de la bonne gestion des ressources octroyées à cet effet.