Nabil EL BOUSAADI Le Salvador a été plongé, durant le week-end du 25 au 27 mars, dans un véritable bain de sang ; ce que le pays n'avait plus connu depuis de nombreuses années puisque quatre-vingt-sept personnes ont été assassinées sur l'ensemble du territoire alors même que, selon les chiffres officiels, le taux des homicides, dans le pays, avait nettement diminué ces dernières années. Face à une telle recrudescence, le président Nayib Bukele n'avait pas d'autre choix que celui de sévir sans pitié. Aussi, décréta-t-il immédiatement l'état d'urgence qui s'est traduit par une suspension de la liberté de réunion et d'association et par l'inviolabilité de la correspondance. L'Etat autorisa même des gardes à vue de quinze jours et des écoutes téléphoniques sans qu'il soit besoin d'une quelconque autorisation judiciaire. Ainsi, les rues des principales villes du pays furent envahies par des centaines de soldats armés de fusils d'assaut et les contrôles policiers se multiplièrent – principalement dans les quartiers défavorisés – si bien que, durant la seule journée de dimanche, plus de 9.000 personnes furent arrêtées. Dans les prisons du pays, déjà surpeuplées du fait que quelques 16.000 membres de bandes armées rivales qui se livrent au racket et au trafic de drogue – dont les effectifs sont estimés à près de 70.000 individus – y croupissaient déjà, des mesures de rétorsion ont été prises ; ce qui a fait dire au président Bukele sur son compte Twitter – vidéo à l'appui – après qu'il ait promis qu' « aucun ne sortirait de prison » : « Nous leur avons tout réquisitionné, même leurs matelas. On a rationné la nourriture et ils ne verront plus la lumière du soleil ». Les détenus appartiennent principalement à deux clans rivaux emblématiques qui avaient été formés à Los Angeles, aux Etats-Unis, par les réfugiés de la guerre civile salvadorienne (1980-1992), qui sont, d'un côté, la « Mara Salvatrucha » (MS-13) et, de l'autre, le « Barrio 18 ». Mais comme à la fin des années 1990, les Etats-Unis avaient commencé à expulser, vers le Salvador où la guerre civile ne faisait plus rage, des milliers de détenus issus de ces deux réseaux, ceux-ci avaient commencé, à leur retour au pays, à se livrer à une guerre de suprématie qui a profondément miné ce petit Etat de 6,4 millions d'habitants. Pour mettre un terme à ces violences, l'Etat avait réussi à imposer une trêve aux protagonistes mais celle-ci fut rapidement rompue ; ce qui avait poussé les autorités salvadoriennes à lancer, à partir de 2015, une campagne de « mesures exceptionnelles » se traduisant par la création d'unités de police d'élite, la participation de l'armée à l'effort sécuritaire, l'octroi de toutes les facilités requises pour mener des perquisitions et procéder à des saisies. L'Etat avait même conféré aux agents de police le « droit » de tirer sur les délinquants « sans craindre les conséquences de leurs actes ». Mais, comme il fallait s'y attendre, ce « tournant tactique » fut accompagné d'une hausse des exécutions extrajudiciaires et des actes de torture. Ces violences ayant ramené le Salvador aux brutalités qu'il avait connues durant les années sombres de la guerre civile, la population n'eût pas d'autre choix que celui de chercher à quitter le pays. C'est ainsi que plusieurs caravanes de migrants prirent la route du nord en direction des Etats-Unis. La dernière caravane, formée de plus de 5.000 personnes, qui s'était mise en marche à l'automne 2018 était restée bloquée, durant de longs mois, dans la zone située entre le Mexique et les Etats-Unis car l'administration Trump avait refusé de lui permettre de franchir la frontière. Elle fut donc contrainte de retourner à son point de départ. La fermeté opposée à ces gangs par l'administration du président Bukele parviendra-t-elle à mettre un terme aux violences et à faire baisser le taux des homicides particulièrement élevé dans le pays ? Très peu sûr au vu de la détermination de l'ensemble des protagonistes mais attendons pour voir... Nabil EL BOUSAADI