Nabil EL BOUSAADI En effectuant, vendredi et samedi derniers, une visite à Naypyidaw, à l'invitation du général Min Aung Hlaing, le chef de la junte birmane, le Premier ministre cambodgien, Hun Sen, dont le pays assure la présidence tournante de l'ASEAN (l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est) qui regroupe les Philippines, l'Indonésie, la Malaisie, Singapour, la Thaïlande, le Brunei, le Viet Nam, le Laos, la Birmanie et le Cambodge a été le premier dirigeant étranger à visiter la Birmanie depuis le coup d'Etat du 1er Février 2021. Avant son déplacement en Birmanie, Hun Sen qui avait prévu d'y rester deux jours pour tenter d'« apaiser les tensions » et le chaos qui y règnent depuis le coup de force qui, en renversant la Cheffe du gouvernement Aung San Suu Kyi, a mis fin à la fragile parenthèse démocratique qu'avait connu le pays durant dix ans, avait indiqué qu'il insisterait sur le « consensus en cinq points » qui devrait conduire à la reprise du dialogue entre l'ASEAN et la Birmanie mais qui avait été écarté lorsque la visite que devait effectuer en Birmanie un émissaire de l'ASEAN fut annulée lorsque la junte au pouvoir avait refusé de lui permettre de rencontrer Aung Sann Suu Kyi, coupée du monde depuis près d'une année. En conséquence, « l'honneur » que recherchait le Premier ministre cambodgien en devenant le premier dirigeant étranger à fouler le sol birman depuis le putsch de Février dernier, n'a pas été du goût des Etats-membres de ce regroupement régional qui, en regrettant profondément la décision « unilatérale » prise par ce dernier et en l'assimilant à « de la diplomatie de cow-boy », considèrent qu'elle a torpillé les efforts du passé puisqu'en guise de protestation contre le coup de force dont il s'était rendu coupable, l'ASEAN avait exclu Min Aung Hlaing de son sommet du 26 Octobre dernier. En outre, en craignant que la venue du Premier ministre cambodgien ne vise une certaine « légitimation » de la junte au pouvoir dans le pays alors même que, pour Phil Robertson, de Human Rights Watch, elle constitue, de toute évidence, « un camouflet pour les huit autres Etats membres de l'ASEAN qui n'ont pas eu leur mot à dire dans cette affaire », les birmans, bravant la répression militaire, sont descendus dans les rues de la capitale pour la dénoncer en brandissant des panneaux sur lesquels on pouvait lire « Hun Sen, restez chez vous ! ». Le CRPH, un groupe de résistance composé d'anciens députés déchus du parti d'Aung San Suu Kyi, a publié, de son côté, un communiqué dans lequel ces derniers se disent « indignés » par la démarche du dirigeant cambodgien et considèrent qu'elle n'apportera « aucun bénéfice » au peuple birman» même si, en invitant « toutes les parties concernées à arrêter la violence », le Premier ministre cambodgien s'était déclaré prêt à prolonger sa visite en cas de besoin. Mais, en tout état de cause, les atrocités se poursuivent dans le pays car, à la veille de Noël, ce sont plus de 30 civils qui furent tués et dont les corps furent brûlés après un massacre qui avait été imputé aux forces de sécurité et, selon l'Association d'assistance aux prisonniers politiques (AAPP), une ONG locale, plus de 1.400 civils auraient été tués depuis le coup d'Etat de Février dernier et de nombreuses milices anti-junte ont vu le jour à travers le pays. Autant de faits qui confirment les propos de Prak Sokonn, le chef de la diplomatie cambodgienne qui accompagne Hun Sen dans ce voyage en Birmanie, lorsqu'il avait que « tous les ingrédients d'une guerre civile » sont là. La Birmanie est-elle réellement en train de fermer, une fois pour toutes, la « parenthèse démocratique » qu'elle a connue ces dix dernières années après une dictature qui aura duré près d'un demi-siècle ? Tout semble le confirmer mais attendons pour voir...