Les putschistes guinéens qui ont capturé le président Alpha Condé et annoncé la dissolution des institutions devraient en dire plus lundi sur leur plan de marche après un coup d'Etat largement condamné par la communauté internationale mais salué par des scènes de liesse à Conakry. Habituellement bouillonnante, la capitale guinéenne qui s'est réveillée sous couvre-feu vivait au ralenti lundi matin. Les militaires ont dressé à l'entrée du centre ville des barrages contrôlés par des soldats des forces spéciales assistés de quelques hommes du Bataillon autonome des troupes aéroportées. Des soldats armés et encagoulés interdisaient d'approcher le palais présidentiel. Nombre de magasins sont restés fermés et le marché central de Madina, d'ordinaire, était étonnamment inactif. Le calme était entrecoupé par les applaudissements des quelques résidents sortis dans la rue au passage de véhicules militaires circulant à toute allure. Les putschistes ont convoqué les ministres sortants et les présidents des institutions à une réunion lundi à 11H00 (locales et GMT) au Palais du peuple, siège du Parlement, dans un format qu'ils n'ont pas précisé. « Tout refus de se présenter sera considéré comme une rébellion », ont-ils prévenu. Un collectif qui avait mobilisé pendant des mois contre un troisième mandat du président Condé a indiqué que ses membres emprisonnés seraient libérés vers 11H30. Les forces spéciales guinéennes conduites par leur commandant, le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, disent, images à l'appui, avoir capturé le chef de l'Etat pour mettre fin à « la gabegie financière, la pauvreté et la corruption endémique » ou encore « l'instrumentalisation de la justice (et) le piétinement des droits des citoyens ». Une vidéo saisissante de M. Condé, diffusée par les putschistes, le montre calme, mais défait en jeans et chemise dans un canapé. Les putschistes ont assuré qu'il était en bonne santé et bien traité. Les militaires affirment vouloir rendre « la politique au peuple ». Ils ont proclamé dissoudre le gouvernement, les institutions et la Constitution qu'avait fait adopter M. Condé en 2020 et dont il s'était servi pour se présenter la même année à un troisième mandat, malgré des mois de contestation meurtrière. Ils ont promis une période de transition, à la manière du voisin malien, théâtre d'un putsch lui aussi récemment. Ils ont annoncé un couvre-feu et la fermeture des frontières terrestres et aériennes. Un message lu sur la télévision guinéenne lundi matin a cependant fait état de la réouverture des frontières aériennes. Le coup de force surprise de dimanche parachève des mois de grave crise politique et économique, aggravée par la pandémie de Covid-19, sous la présidence très personnalisée, autoritaire selon ses détracteurs, du président Condé, au pouvoir depuis 2010 mais de plus en plus isolé. Ce coup d'Etat s'inscrit dans l'histoire tourmentée de ce pays pauvre et éprouvé malgré des ressources minérales et hydrologiques considérables, dirigé pendant des décennies depuis l'indépendance de 1958 par des régimes autoritaires ou dictatoriaux, et coutumier des actions brutales de ses forces armées. Aucun décès n'avait cependant été rapporté officiellement lundi après le putsch, malgré le crépitement intense des armes automatiques dans le centre de Conakry dimanche matin. Aucun incident majeur n'a été signalé dans la nuit de dimanche à lundi. C'est un nouveau coup de force en Afrique subsaharienne en un an, après le Mali en 2020 ou le Tchad en 2021. L'apparent épilogue de plus de dix années de régime Condé a donné lieu à des scènes de joie dans différents quartiers de la capitale, notamment dans les banlieues réputées favorables à l'opposition. Il a en revanche suscité une large réprobation internationale, du secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, à l'Union africaine en passant par la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) et l'Union européenne. En effet, l'Union Africaine a condamné, dimanche, la prise de pouvoir par la force en Guinée Conakry, demandant la libération immédiate du Président Alpha Condé. "Le Président en exercice de l'Union Africaine, SE Félix Tshisekedi, et le Président de la commission de l'Union Africaine, SE Moussa Faki Mahamat, condamnent toute prise de pouvoir par la force et demandent la libération immédiate du Président Alpha Condé", souligne un communiqué de l'UA. De son côté, la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a condamné avec "la plus grande fermeté" la prise de pouvoir par la force, et a exigé la "libération immédiate et sans condition" du président. Dans un communiqué publié sur son site officiel, la CEDEAO dit suivre "avec une grande préoccupation les récents développements politiques survenus à Conakry" et a condamné "avec la plus grande fermeté cette tentative de coup d'Etat" La France a dit se joindre à la condamnation de la Cédéao et à l'appel à « la libération immédiate et sans condition du président Condé ». Les Etats-Unis ont également condamné le coup d'Etat qui, ont-ils prévenu, pourrait « limiter » la capacité américaine à soutenir la Guinée. Le président Condé s'était de plus en plus tourné vers la Chine, la Russie et la Turquie ces dernières années. Les principaux dirigeants de l'opposition guinéenne ne se sont pas encore véritablement prononcés sur les évènements. Mais le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), coalition de mouvements politiques et de la société civile qui a mené la contestation contre le troisième mandat, a appelé la population de Conakry à aller accueillir ses membres « qui seront libérés à partir de 11H30 ». La presse guinéenne a cité une note du lieutenant-colonel Doumbouya ordonnant selon elle la libération de tous les prisonniers politiques.