Paolo Sorrentino, Jane Campion: Netflix, devenu une puissance de tout premier plan dans l'économie du cinéma, truste la course au Lion d'or jeudi avec deux films d'auteur parmi les plus attendus de la Mostra de Venise. « Le pouvoir du chien », qui sera projeté sous les ors de la grande salle du Palais du cinéma, au deuxième jour de la compétition, marque le retour au long-métrage de Jane Campion, pour la première fois depuis 2009. Netflix s'offre les services d'une réalisatrice qui fut la première à remporter la Palme d'Or, il y a près de trois décennies, en 1993, pour « La Leçon de piano ». Deux stars se partagent l'affiche, le Britannique Benedict Cumberbatch, qui alterne films d'auteur et superproductions Marvel, et Kirsten Dunst, dix ans après son couronnement à Cannes pour son rôle chez Lars Van Trier (« Melancholia »). Adapté d'un livre de Thomas Savage, le film met en scène l'affrontement de deux frères que tout oppose, dans un ranch du Montana, après le retour de l'un d'eux à la maison, accompagné de sa nouvelle femme. Avec ce film, le géant du streaming, fondé il y a moins d'un quart de siècle, espère s'être acheté un ticket gagnant dans la prestigieuse course au Lion d'Or, la plus ancienne compétition cinématographique du monde. La plateforme avait déjà marqué les esprits en 2018 en remportant le Lion d'Or pour « Roma » d'Alfonso Cuaron, qui avait ensuite été primé aux Golden Globes et aux Oscars. L'enjeu est de taille, car si les plateformes, et Netflix en particulier, sont sortis très renforcées de la pandémie face aux grands studios historiques, ralliant des légions de nouveaux abonnés pendant la fermeture des salles, le groupe de Reed Hastings est toujours en quête de respectabilité. Et cherche à faire oublier son image de robinet à contenu. D'autant que si Amazon s'est payé le mythique studio de James Bond, MGM, pour mieux le concurrencer, Netflix se prive toujours de l'accès au plus grand et réputé de tous les festivals, Cannes, car ses films ne sortent pas en salles en France. La Mostra, elle, n'hésite pas à jouer la carte Netflix dans la lutte d'influence que se livrent les grands festivals internationaux. Une politique longtemps décriée par une partie du monde du cinéma, qui craint la puissance de la plateforme. Jeudi, Netflix présente également « La main de Dieu », le dernier opus de Paolo Sorrentino, 51 ans, l'un des cinéastes italiens les plus talentueux de sa génération. Le réalisateur consacré par « La Grande Belezza » (Oscar du meilleur film en langue étrangère en 2014) et la série « The Young Pope » y retrouve son acteur fétiche, Toni Servillo, mais dans un registre tout autre, très autobiographique. Le film retrace l'histoire de son enfance, et de la naissance de sa vocation de cinéaste dans des circonstances tragiques, à Naples, à l'époque où le footballeur argentin Diego Maradona portait les couleurs de la ville. En France, où s'applique une stricte chronologie des médias censée protéger les salles de cinéma, « La Main de Dieu » ne pourra être découvert que sur petit écran, le 15 décembre sur Netflix. Le site a par ailleurs acquis les droits d'un autre film en compétition, « The Lost Daughter », qui marque le passage à la réalisation de l'actrice Maggie Gyllenhaal (en ligne le 31 décembre). Et le débat autour du streaming, qui dépasse le cas Netflix, pourrait se poursuivre le lendemain, avec la projection en avant-première mondiale de la superproduction « Dune », de Denis Villeneuve, avec Timothée Chalamet. Le réalisateur canadien ne décolère pas contre la décision de la Warner de diffuser également en ligne dans certains pays son film, très attendu des fans et des exploitants de salles. « Regarder +Dune+ à la télévision, c'est comme de piloter un hors-bord dans votre baignoire. Pour moi c'est ridicule », a-t-il encore déclaré, peu avant l'ouverture de la Mostra, dans la presse américaine.