Ce soir j'écris sans me soucier de la portée de mes mots ou de leur exactitude. Je ne suis plus sûre de rien, j'écris par habitude de le faire dans ces moments d'incertitude. Ces moments où la condition humaine est tellement engluée dans la précarité qu'il est difficile et même tortueux de chercher à s'en défaire ou à en détourner l'œil. C'est hargneux ce fond fragile, si inexistant, si invisible. Je ne m'interroge sur rien, je ne peux pas. Car j'ai compris que dans ces temps de suie l'existence ou la vie ne se donnent pas aux explications tordues ou aux suppositions impropres à la vie elle-même. Ce sont les temps de la table pleine, du visage amoché d'un trop de réflexion, c'est surtout les temps de l'incompréhension et l'attente impatiente d'un monde qui était ou qui fut. Je pense en ce moment que le flux énorme de récit qui raconte le temps d'aujourd'hui, aussi indécis et flottant soit-il, ne me donne aucune envie de le fustiger, ni d'entrer dans des discussions interminables, qui finalement n'expliquent aucune incompréhension, mais plutôt transforment notre réalité en un espace muni de plusieurs chaires, desquelles proviennent des discours qui demeurent incontestables, car, tout le monde, presque tout le monde s'est promu savant de la conjoncture actuelle. Si l'absurde était incontestable, ce serait fini de tout ce qui fait un peu de Beau de notre monde. Je ne me sens pas téméraire, ni scindée en plusieurs factions, je ne suis pas abdiquante, ni appartenant à une famille de « dégonflée ». J'appartiens à un mélange de culture qui ne me donne aucun souci identitaire, mon compagnon de route est un livre de toutes les factures et de toutes les couleurs. Ce livre m'a appris à surtout éviter les dialectiques qui blessent et à considérer celles qui réhaussent. Si parfois, je suis prise de fragilité émotionnelle devant des accusations dites opposément, je ne fuis pas cette réalité qui s'est imposée à moi, je la refuse, car je sais que chacun interprète sa réalité à travers ses charges émotionnelles, psychologiques, culturelles... Ce ne sont nullement des insinuations, ni des confessions, c'est le statu quo d'aujourd'hui : chaque jour, et cela s'intensifie, le mot a pris une autre dimension, celle qui prêche ce qu'il faut faire ou ne pas faire : un prosélytisme encore plus tapageur que l'ancien. J'ai envie chaque jour de rencontrer une personne qui parle une autre langue, je m'engagerai dans la discussion pour sentir un peu de fantaisie, un peu d'inconnu inoffensif. Je ne me déchirerai pas le gosier pour me faire comprendre, ni implorerai qu'on m'explique. J'ai aussi envie de ne parler que d'arbres, ou de papillons, mais cela n'aura pas de sens. C'est l'aventure de toute une vie, ne voir que ce côté du monde : le mouvement infini des arbres qui poussent, des papillons qui jaillissent victorieux de leurs chenilles, des champignons qui renaissent des éléments engloutis, des oiseaux qui se portent par le vent et portent le vent dans leurs ailes, des eaux qui traversent les espaces les plus abruptes, des rosiers qui envoient les plus belles senteurs, des feuilles mortes qui nourrissent les vivantes, de la verdure, de ce vert des arbustes qui supprime le tragique et ramifie les sentiments de l'espoir et de la confiance. Espoir et confiance en ce mouvement continu, délicat, discret et magnanime... J'avais lu dans un hebdomadaire datant de ce mois, que «D'ici à dix ans, plus de 70000 satellites pourraient être en orbite autour de la terre, contre 4 000 actuellement. Objectif : proposer une couverture internet à haut débit mondiale. Mais cela engendrera des nuisances importantes quant aux observations astronomiques.»[1] Je n'ai été ni consternée, ni subjuguée par l'ampleur de la nouvelle, j'ai pensé à une seule chose : combien l'orgueil de l'Homme est incommensurable devant l'infini de l'univers ! J'avais envie de connaître le temps cosmique de l'univers pour essayer de comprendre à quelle échelle cosmique est arrivé l'Homme, mais j'ai dû ne pas le faire par le simple fait que ce calcul est ridicule, que les chiffres sont porteurs de mauvaises nouvelles, que nous sommes faits comme « du rat ». Je me suis aussi posé la question sur la finalité de cette course : l'Homme a mis de la démesure dans tout ce qu'il a inventé. Est-ce à son image : insatiable et surtout inapaisable, ou a-t-il refusé de voir le mouvement continu et organisé de cet autre monde mitoyen : la nature? En somme, ce qui me fascine dans ce monde qui devrait pourtant faire partie de nous, profondément et d'une manière incontournable, c'est qu'il n'a pas autant besoin de nous que nous avons besoin de lui. [1] – Revue numérique Marianne, Nos enfants grandiront-ils sous de bonnes étoiles ? par Margot Brunet, numéro 1274 du 13 au 19 août 2021, p.18.