Canons à eau, tirs de balles en caoutchouc et de gaz lacrymogènes: la tension monte mardi en Birmanie, quatrième jour d'importantes manifestations contre le coup d'Etat du 1er février, les contestataires bravant les menaces de représailles des généraux. A Naypyidaw, la capitale construite par la junte au coeur de la jungle, la police a tiré des balles en caoutchouc sur des manifestants, selon des habitants. Des témoins faisaient état de personnes blessées, mais il était impossible d'obtenir une confirmation auprès des hôpitaux à ce stade. « On a tiré sur mon fils qui tentait d'utiliser un mégaphone pour demander aux gens de manifester pacifiquement », a raconté Tun Wai, un orfèvre de 56 ans. « Il est en train de se faire opérer. Je suis très inquiet ». Un peu plus tôt, les forces de l'ordre avait fait un usage répété des canons à eau contre un petit groupe de contestataires qui refusaient de se disperser. A Mandalay (nord), deuxième ville du pays, la police a tiré des gaz lacrymogènes « contre des protestataires qui agitaient des drapeaux de la Ligue nationale pour la démocratie », le parti d'Aung San Suu Kyi, a relevé une habitante. Les autorités ont interdit la veille les rassemblements de plus de cinq personnes à Rangoun, Napypidaw et dans d'autres villes. Un couvre-feu a été décrété. « Des actions doivent être prises (…) contre les infractions qui troublent, empêchent et détruisent la stabilité de l'Etat », a mis en garde la télévision d'Etat face au vent de fronde qui souffle sur le pays. Bravant les menaces, les manifestants sont à nouveau descendus mardi en nombre dans les rues. A Rangoun (sud), la capitale économique, des contestataires se sont rassemblés près du siège de la LND. « Pas de dictature! », « nous voulons notre chef! » Suu Kyi, détenue au secret depuis son arrestation le 1er février, pouvait-on lire sur des banderoles. Dans un autre quartier de la ville, des dizaines d'enseignants ont défilé, saluant à trois doigts en signe de résistance. Les mises en garde de l'armée « ne nous inquiètent pas, c'est pourquoi nous sortons aujourd'hui. Nous ne pouvons pas accepter leur excuse de fraude électorale. Nous ne voulons pas d'une dictature militaire », a déclaré l'enseignant Thein Winun. Ces trois derniers jours, des centaines de milliers de manifestants ont défilé à travers le pays. Ils réclament la libération des personnes détenues, la fin de la dictature et l'abolition de la constitution de 2008, très favorable à l'armée. Ce vent de contestation est inédit depuis le soulèvement populaire de 2007, la « Révolution de safran » menée par les moines et violemment réprimée par l'armée. Le risque de répression est réel. « Nous savons tous de quoi l'armée est capable: d'atrocités massives, de meurtres de civils, de disparitions forcées, de torture et d'arrestations arbitraires », a souligné Tom Villarin, du groupement des parlementaires de l'Asean (Association des nations de l'Asie du Sud-Est) pour les droits humains. Depuis le 1er février, plus de 150 personnes – députés, responsables locaux, activistes – ont été interpellées et sont toujours en détention, selon l'Association d'assistance aux prisonniers politiques, basée à Rangoun. Le commandant en chef de l'armée, Min Aung Hlaing, s'est exprimé pour la première fois lundi soir sur la chaîne de l'armée, Myawaddy TV. Il s'est engagé à « la tenue d'élections libres et justes » à la fin de l'état d'urgence d'un an, et promis un régime militaire « différent » des précédents. La Birmanie a vécu près de 50 ans sous le joug de l'armée depuis son indépendance en 1948. Le putsch du 1er février a mis fin à une brève parenthèse démocratique d'une décennie. L'armée conteste la régularité des législatives de novembre, remportées massivement par la LND. Mais des observateurs internationaux n'ont pas constaté de problèmes majeurs lors de ce scrutin. En réalité, les généraux craignaient de voir leur influence diminuer après la victoire d'Aung San Suu Kyi, qui aurait pu vouloir modifier la Constitution très favorable aux militaires. Très critiquée il y a encore peu par la communauté internationale pour sa passivité lors des exactions contre les musulmans rohingyas, la prix Nobel de la paix, en résidence surveillée pendant 15 ans pour son opposition à la junte, reste adulée dans son pays. L'ex-dirigeante serait « en bonne santé », assignée à résidence à Naypyidaw, d'après son parti. Le coup d'Etat a été condamné par les Etats-Unis, l'Union européenne, le Royaume-Uni et de nombreux autres pays. La Nouvelle-Zélande a annoncé mardi la suspension de ses contacts militaires et politiques de haut niveau avec la Birmanie, devenant le premier pays à décider d'un isolement de la junte. « Après des années de dur travail pour bâtir une démocratie en Birmanie, je pense que tout Néo-Zélandais doit se sentir catastrophé de voir ce que les militaires ont fait ces derniers jours », a déclaré la Première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern. Le Conseil des droits de l'homme de l'ONU va tenir vendredi une session spéciale sur ces événements.