Karim Ben Amar Le Maroc a connu une météo très peu clémente durant la deuxième semaine du mois de janvier. Sans surprise, les principaux sinistrés sont les habitants des bidonvilles et des quartiers populaires. Confrontés à des pluies diluviennes, les plus démunis ont réellement souffert. Sur les réseaux sociaux, l'on a visionné des vidéos apocalyptiques: des vieilles bâtisses se sont littéralement effondrées durant les pluies torrentielles. Des familles se sont retrouvées à la rue, faute de toit. D'autres ont été sommés par les autorités de quitter le domicile au vu de l'insalubrité des maisons. Motif invoqué: l'état de ces vielles maisons s'est détérioré à cause des fortes pluies. Un risque réel puisqu'une vidéo relayée sur les réseaux sociaux montrant une maison s'écrouler à Hay Mohammadi démontre le danger palpable. Lors de nos pérégrinations dans ce même quartier, et plus précisément à Derb Moulay Cherif, nous avons été confrontés à la détresse des familles. Dormant à même le sol, femmes, hommes et enfants ont pour instruction de ne pas rejoindre le domicile au vu du risque d'effondrement. D'autres, n'ont pas d'autres choix que de squatter à proximité de l'ex-domicile désormais mis sous scellé par les autorités ou détruit par les fortes pluies. Comment s'organisent-ils ? Acceptent-ils cette décision ? Ont-ils reçu de l'aide de la part des autorités ou des élus? Ont-ils l'intention de quitter leur domicile pour de bon? Reportage. Les pluies diluviennes survenues dans plusieurs régions du royaume ont fait beaucoup de dégâts. Sans surprise, les plus démunis sont les principales victimes de la météo peu clémente. Il est près de 15H ce samedi 23 janvier lorsque l'équipe d'Al Bayane se rend à Derb Moulay Chérif dans le quartier Hay Mohammadi. Des barrières de sécurité ont été installées par les forces de l'ordre afin de délimiter la zone à risque. Approché par nos soins, Zakaria, un jeune brigadier nous a guidés jusque dans les rues les plus sinistrées. Une fois les barrières de sécurité dépassées, c'est une image apocalyptique qui s'offre à nous: des maisons détruites par la pluie, du matériel d'ameublement ne pouvant plus servir, ainsi que des gravats formant d'immenses tas de détritus. Une fois dans la rue numéro 6, nous avons relevé la présence de femmes, d'hommes et d'enfants assis ou dormant à même le sol. Se trouvant désormais dans une grande précarité, les habitants sinistrés assurent qu'ils n'ont désormais nulle part où aller et se contente de repas froids. Hicham, un père de famille âgé de 41 ans a déclaré que «les autorités ont sorti les affaires et vêtements des sinistrés à même la rue. Depuis, la plupart des habitants du quartier dorment dans les ruelles». Et d'ajouter «pour nous protéger de la pluie, nous étions obligés d'accrocher des bâches pour dormir au sec. Mais les autorités nous l'ont interdit prétextant que cela donne une mauvaise image du pays». La même source affirme que «l'extrême majorité des habitants de ce quartier n'a nulle part où aller. De plus, au même titre que mes voisins, je n'ai pas les moyens de louer ailleurs. Pour cela, il faut au moins avoir la somme de 5000 Dhs : un mois de loyer en plus du mois de garantie ainsi que les frais liés au compteur d'eau et d'électricité. La plupart des habitants du quartier sont au chômage, ceux qui travaillent gravitent autour de 2000 Dhs par mois. Il est donc impossible pour nous d'avoir en notre possession deux mois et demi de salaire», atteste-il l'air attristé. En plus de cela, au travail j'ai la boule au ventre, ma hantise est qu'à mon retour je trouve ma modeste demeure louée tout de même à 1400 Dhs, mise sous scellés par les autorités comme cela est arrivé à certains de mes voisins», assure-t-il. Abdelmalek est l'un des habitants de Derb Moulay Chérif ayant eu sa maison sous scellés. Âgé de 59 ans, ce père de famille est désormais à la rue. «Une injonction concernant la destruction du domicile m'a été adressée en 2012. De plus, j'ai dû débourser 3000 Dhs pour faire expertiser la maison et cela sans aucune contrepartie. Mais une fois que les inondations ont débuté, mon domicile a été mis sous scellés», déclaré-t-il l'air désabusé. Toujours dans la rue numéro 6, l'équipe d'Al Bayane a été conviée à visiter une demeure. La demeure est occupée par trois familles (soit près d'une quinzaine de personnes). Nous sommes montés au dernier étage de la bâtisse. Najat Boujdid, mère de famille âgée de 57 ans a affirmé que ni elle, ni son époux, ni leurs quatre enfants n'allaient quitter leur domicile pour l'unique raison, qu'ils n'ont aucune alternative. «J'ai trois fils et une fille, tous sont au chômage, au même titre que mon époux. Nous n'avons donc pas de revenus fixes pour pouvoir aspirer à louer un domicile. De plus, mon époux et moi-même sommes en mauvaise santé». «Ce dont je peux vous assurer est que nous ne sortirons pas de notre maison (deux minuscules pièces ne dépassant pas les 35 mètres carrés), advienne que pourra», a-t-elle ajouté. Durant notre entretien, le toit de la maison déjà bien endommagé, a commencé à s'effriter, provoquant ainsi une panique dans la pièce. Najat a assuré qu'ils ne quitteront pas le domicile malgré le risque de mort qu'ils encourent. «On ne sortira pas, plutôt mourir que de se retrouver dans la rue et devenir littéralement des sans-abris», a-t-elle tonné. Son fils Khaled a assuré qu'aucune aide n'est arrivée de la part des autorités ou des élus, pas même des tentes ou des couvertures. D'après la même source, les bienfaiteurs ont même été interdits d'accès par les autorités après que certaines aides privées ont été détournées par des riverains». «Aussi, il y a une école à, proximité, pourquoi ne pas héberger les sinistrés dans ce bâtiment comme cela se fait dans les pays du Nord? De plus, c'est soit cette option soit mourir dans nos taudis», s'exclame le jeune homme. Sur la toile tout le monde a pu voir cette maison s'effondrer dans le quartier Derb Moulay Chérif. Abderahim le père de famille qui y vivait depuis toujours s'est retrouvé lui aussi à la rue. Il a affirmé à l'équipe d'Al Bayane que les autorités ne lui ont même pas laisser le temps de ramasser ses affaires, ses meubles, son électroménager au même titre que les vêtements. «Depuis ce jour, je vois mes matelas, les débris de mon salon, des armoires sous les décombres ». Et d'ajouter que «les autorités m'ont interdit d'emporter quoi que ce soit de peur que la bâtisse s'effondre». e stresse des habitants de Derb Moulay Chérif est palpable, après plus de deux heures passées dans la rue numéro 6, l'on peut sentir l'anxiété des habitants. Entre chamailleries entre voisins et entraides, une hypothèse revient encore et toujours. Certains riverains avancent que le quartier est d'ores et déjà vendu. «Acheté par un pays du Golfe à ce qu'il parait. L'on va assister à la destruction de Derb Moulay Cherif, maison par maison, rue par rue. Tout porte à croire que l'objectif est de rayer ce mythique quartier de la carte, mais dans ce cas qu'adviendra-t-il de nous ?», s'interrogent-ils de manière commune. Un autre propos est sur toutes les lèvres : «les habitants de Derb Moulay Chérif ont combattu le protectorat français avec courage et bravoure. Ce quartier a légué au pays, des héros de guerre, des ingénieurs, des médecins, des juges, des policiers, des diplomates, des sportifs de haut niveau, mais voilà qu'aujourd'hui tout porte à croire qu'on s'obstine à vouloir le rayer de la carte».