Entretien avec Brahim El Mazned, fondateur de Visa For Music Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef Six ans d'existence! Le Visa For Music (VFM) souffle du 18 au 21 novembre 2020 sa 6e bougie. En effet, ce premier salon professionnel et festival des musiques d'Afrique et du Moyen-Orient, né en 2014 a lutté ces dernières années contre les vents et marées. Mais, aujourd'hui, il a affirmé sa présence comme date incontournable dans le calendrier des salons musicaux internationaux. Cette année malgré la pandémie, le VFM maintient son édition 2020 qui sera adaptée au contexte actuel, avec diffusion digitale de concerts, et un programme de conférences, de formations et d'ateliers. Entretien avec Brahim El Mazned, fondateur et directeur de Visa For Music. Al Bayane : 6 ans déjà ! Cette année, le Visa For Music se tiendra dans un contexte difficile voire inédit. Quelles sont alors les nouveautés de cette édition, notamment en ces temps de pandémie où les festivals et les manifestations musicales et culturelles sont annulés ou reportés sine die? Brahim El Mazned : C'est une saison inédite. C'est une année marquée d'une manière indélébile par ce virus qui a mis plusieurs secteurs à genoux, notamment celui de la culture. Incontestablement, il semble que ce virus n'aime pas trop la culture, les arts et la convivialité. Certes, beaucoup de manifestations ont été annulées non seulement au Maroc mais aussi à l'échelle internationale, mais, il faut le rappeler, il y a eu beaucoup d'initiatives très louables de la part des artistes pendant le confinement, et ce en partageant leurs créations à travers le digital. Ainsi, depuis plusieurs mois, les artistes et les opérateurs culturels optent pour d'autres formes de résilience en allant vers le public dans des formats assez inédits notamment dans des petits lieux en plein air ou adaptés avec un nombre de spectateurs qui est limité et masqué. Au moins, certains pays ont réussi le pari en trouvant une capacité de ne pas arrêter l'activité culturelle d'autant plus que pour moi l'activité culturelle, c'est comme les fours de grosses industries, car ont mis beaucoup de temps à les éteindre et autant de temps pour les allumer. Cette période de Coronavirus, l'art et les artistes sont touchés de plein fouet. A votre avis, est-il temps pour rouvrir les espaces culturels au grand public? Je pense qu'il serait très dangereux d'arrêter totalement une dynamique culturelle parce qu'on aura du mal à la retrouver plus tard. Toutefois, un artiste a besoin de retrouver son espace normal de la création à savoir la scène, les lieux d'exposition... En d'autres termes, le spectacle vivant a besoin de retrouver le public. Ce qui est extraordinaire, c'est que les artistes ont la capacité de s'adapter aux normes. On ne sait pas combien de temps ce virus va rester avec nous, mais c'est à nous, en revanche, de se réinventer, de trouver de nouvelles formes et de relancer la dynamique culturelle d'autant plus que d'autres secteurs qui ont été relancés notamment le transport, la restauration et les lieux de culte... donc il en reste probablement que le spectacle vivant qui devait retrouver ses lieux habituels. Cette 6ème édition ne sera pas comme les autres. Quid alors de la programmation 2020? Quand on a lancé l'appel à candidature fin janvier dernier, nous avons reçu pratiquement 840 candidatures à travers le monde. Depuis plusieurs mois, nous attendions avec patience la fin de cette crise, mais on se rend compte qu'aujourd'hui, malheureusement, on en a encore pour plusieurs mois pour s'en sortir. Mais on s'est dit que ce rendez-vous de la rentrée doit maintenir le cap. Pour ce faire, on fera venir les artistes nationaux pour le moment parce que les frontières ne sont pas réellement ouvertes. On va en faire une édition sur la partie showcase principalement nationale mais aussi pour les artistes étrangers résidant au Maroc. On les fera venir à Rabat, on les hébergera, on leur fera faire des vidéos dans de bonnes conditions dans un studio adéquat. On fera quelque chose de qualité. Ça permettra aussi aux artistes de venir jusqu'à Rabat qui est une capitale culturelle. Tout cela est très ambitieux parce que nous n'avons pas forcement beaucoup de partenaires sur cette édition. C'est vrai, on a perdu à cause de cette crise quelques partenaires mais nous essayons de maintenir le rendez-vous. On le maintient aussi à travers des ateliers, le développement de capacités des acteurs culturels et des artistes qui ont envie de se développer soit dans le domaine du live ou digital. On a des projets de coaching, des projets de workshop, des formations qu'on va développer pendant les quatre jours du visa for musique. Il va y voir des rencontres en présentiel et des conférences en visioconférence avec d'autres collègues à l'échelle continentale. En fait, cette crise, comme vous le savez, a mis à nu l'industrie culturelle et musicale. Suite à ce constat alarmant, beaucoup de professionnels et d'acteurs du secteur culturel et artistique ont appelé pour une numérisation/digitalisation de la culture marocaine. Qu'en pensez-vous? Le numérique ne peut pas remplacer les espaces traditionnels du spectacle vivant même du spectacle numérique. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on peut visiter plusieurs musées à travers le numérique mais ça ne peut pas remplacer la visite physique et d'être face à l'œuvre. L'émotion qu'on a dans une salle de cinéma n'est pas la même qu'on a quand on n'est devant sa télévision à la maison. La même chose qu'on regarde un concert sur une plateforme digitale ; car on ne peut pas provoquer la même émotion que provoque l'artiste face à son public naturel. Le spectacle vivant, il est de nature lié à la convivialité. Par ailleurs, un concert est une communion entre un artiste et son public, entre plusieurs musiciens et le public dans son espace. Il y a quelque chose qui relève presque du sacré, c'est-à-dire, ce qui est provoqué dans un spectacle vivant. Certes, le digital est aussi indispensable parce qu'il nous permet à tout moment de consommer un produit culturel ou artistique. Un concert live ne peut pas être remplacé par youtube ou par un concert qu'on peut écouter dans une autre plateforme. Revenant au Visa For Music qui est désormais aujourd'hui l'une des structures structurantes importantes du domaine musical. En outre, plusieurs musiciens ont été impactés par la pandémie sachant que ce secteur souffre toujours de l'informel. Aujourd'hui, quelles sont les pistes pour s'en sortir de la crise? Quelles sont les priorités de la filière musicale pour une meilleure relance? Au Maroc, le secteur est de nature précaire. Et c'est vrai que le côté informel ne facilite pas les choses ! Or, il y a depuis une vingtaine d'années une dynamique assez particulière autour de la musique avec énormément de radios qui ont été ouvertes, et qui ont donné plus de place aux artistes marocains sans oublier bien entendu le nombre important de festivals nationaux et internationaux qui ont donné une grande place aux artistes marocains. A votre avis, cette dynamique est-elle suffisante pour booster et structurer ce secteur qui évolue au fils des années? Toute cette dynamique est très louable et très intéressante, mais je pense que dans la chaîne de valeur, il y a quelques maillons qui sont soit faibles ou ils n'existent pas. Pour structurer n'importe quel secteur, il faut que tous les maillons de la chaîne soient solides. Certes, il y a le statut de l'artiste qu'il faudrait améliorer parce que ce secteur est saisonnier d'une manière ou d'une autre (les festivals ont eu lieu l'été, les disques ne se vendent plus depuis plusieurs années)... Aujourd'hui, il faut se réadapter et trouver d'autres formes pour relancer ce secteur. D'abord, l'artiste ne doit pas attendre uniquement le festival parce qu'il faut développer d'autres secteurs d'activités, que ça soit d'aller vers de nouveaux espaces notamment des ateliers de musique dans les écoles ou aller dans des lieux inédits à savoir des hôpitaux, les prisons, les maisons de quartier afin de créer une dynamique structurante tout en respectant les droits d'auteur mais aussi de créer de la valeur, de l'emploi aux musiciens, aux techniciens et tous ceux qui travaillent dans le secteur du digital. Dernièrement le soutien aux artistes a suscité un grand débat. Qu'en pensez-vous? C'est une réaction naturelle puisqu'il y a une précarité. Ce que je regrette, c'est que le débat est très bas parce que, en tout cas, il y a plusieurs secteurs d'activités à l'échelle du Maroc et du monde qui sont soutenus, que ça soit dans le domaine de l'agriculture, dans le domaine des médias ou d'autres secteurs. Il est naturel que l'Etat investisse la chose culturelle parce que ça relève du secteur public. Ici, on soutient un projet, et peut-être il y a eu un problème de communication dans ce sens là mais il est indispensable à l'Etat, au secteur public et d'autres institutions à soutenir la chose culturelle surtout en cette période de crise. Incontestablement, c'est ce qui permet une cohésion sociale et à tout un chacun d'appartenir à une communauté. On a plus besoin aujourd'hui, du soutien à la culture, aux acteurs culturels et aux artistes parce qu'ils ont passé une période assez difficile ; ces artistes qui nous ont accompagnés durant toute la période du confinement.