Entretien avec Amine Nasseur, metteur en scène de la pièce «Chabka» Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef Comme à l'accoutumée, le théâtre et les créateurs marocains ont brillé de mille feux lors de la 11e édition du festival du théâtre arabe qui a eu lieu dernièrement au Caire. Le spectacle de la pièce de théâtre «Chabka» (théâtre Ourkid), écrit par Abdelkrim Berchid et mis en scène par Amine Nasseur, a été chaleureusement salué par le public, les critiques et les journalistes. La pièce n'a pas été sélectionnée parmi les finalistes de cette édition, mais elle a fait parler d'elle. «Chabka» relate l'histoire d'une famille dont Salha (ancienne institutrice) et son époux (retraité) qui sont renfermés dans leur maison. La radio est leur seule fenêtre pour rester en contact avec le monde extérieur. La pièce met la lumière sur la société actuelle, ses valeurs, son passé, son avenir et son devenir. Al Bayane : Vous avez participé dernièrement au Festival du théâtre arabe qui s'est déroulé au Caire avec votre pièce de théâtre «Chabka» qui n'a pas été sélectionnée parmi les 4 spectacles finalistes de cette édition. Vous vous attendiez à ce résultat? Amine Nasseur : En fait, personnellement, je m'attendais à cela parce qu'on ne savait pas comment le jury évaluera les spectacles. Pour de nombreux professionnels et festivaliers, «Chabka» est un spectacle moderne où il y a une rénovation, surtout au niveau des styles artistiques. Je pense que ce spectacle rime parfaitement avec le thème du festival du théâtre arabe «Pour un théâtre arabe nouveau et renouvelé». Effectivement, ce spectacle est ouvert à plusieurs lectures et interprétations d'un référentiel à l'autre. Et c'est quelque chose de tout à fait normal ! Je n'étais pas choqué par les résultats, ni par la non sélection de notre spectacle parmi les 4 spectacles finalistes sur les 8 en lice. Vous avez travaillé sur un « vieux » texte du dramaturge Abdelkrim Berchid. En effet, la pièce relate l'histoire d'une famille qui s'est enfermée dans sa maison. Les dialogues et les scènes mettent l'accent sur le vécu et la réalité non uniquement de la société marocaine, mais aussi arabe. Les personnages du texte sont vieux, mais le spectacle a été joué par des jeunes qui ont apporté une énergie et un dynamisme sur scène. Pourquoi ce choix? Symboliquement, les valeurs ont un prolongement dans l'Histoire, dans le temps, mais elles se renouvèlent bien entendu selon l'époque et la génération qui les portent et qui les transmettent dans les différentes pratiques sociales, artistiques… Nous avons abordé le texte d'Abdelkrim Berchid qui a été écrit depuis plusieurs années, mais nous l'avons travaillé d'une manière nouvelle. C'est-à-dire? En d'autres termes, nous avons essayé de prendre les idées générales et intéressantes dans ce livre. Nous avons puisé dans les valeurs et les avons présentées avec un souffle jeune de notre temps. Il y a deux personnages principaux, à savoir Salha qui est instructrice et son époux (un retraité), mais il y a un jeune qui a une mentalité un peu traditionnelle et opportuniste que nous voyons aujourd'hui chez beaucoup de jeunes. Le texte est-il d'actualité? Effectivement, le texte est toujours d'actualité. Dans la pièce, nous avons essayé de fouiller dans le texte et chercher des éléments et des détails qui s'adressent à ce que nous vivons, à la réalité de notre époque afin de la montrer artistiquement au public. Le rôle des personnages est fondamental dans le texte et dans la pièce. Comment avez-vous repéré vos comédiens? Pour moi, l'artiste doit être «docile» c'est-à-dire qu'il doit avoir cette capacité de travailler dans chaque style artistique proposé. Cet artiste doit être capable de porter avec le réalisateur l'idée et la vision et le style artistique sur lesquels on va travailler. Dans mon travail, je ne me base pas sur un grand nom ou un artiste qui compte à son actif plusieurs travaux. Ce qui m'est essentiel, c'est le fait que le comédien soit capable, proprement dit, de rentrer avec moi dans le jeu théâtral et dans l'essence de la pièce que nous essayons de créer ensemble. A vrai dire, ce travail collectif peut donner une valeur ajoutée au travail. Revenons un peu sur la langue du texte et plus précisément celle de la pièce. Quelle est son importance? A l'origine, le texte est écrit en langue arabe, mais nous l'avons réécrit en darija. Pourquoi? Tout simplement, pour qu'on puisse en parler avec une langue moderne, une langue qui nous parle comme génération de ce temps et dans le contexte actuel. Notre culture est diverse et multiple. Cette richesse doit être incarnée dans la pièce. Au début, cette pièce a été faite en darija. Mais entre temps, on se préparait pour jouer dans le cadre du Festival du théâtre arabe. Donc, il fallait avoir cette dimension arabe, tout en gardant sa spécificité locale. Le spectacle a été bien reçu au festival. Nous avons essayé de créer un spectacle qui met en lumière la réalité arabe avec une seule langue commune. La langue n'était plus un obstacle pour nous. La musique est un élément important dans la pièce. On peut dire même qu'elle est un personnage qui a enrichi le spectacle. Est-ce un choix anodin? Dans tous mes spectacles, je mise sur la musique. Je me pose toujours la question de savoir comment créer un rythme qui puisse séduire le public parce qu'on ne peut travailler sur le théâtre d'une manière classique qui ne touchera pas le public. J'ai travaillé dans ce spectacle sur la musique. Ce n'est pas un élément que j'utilise pour combler un vide dans le spectacle, mais c'est un élément important qui accompagne le texte et la mise en scène. C'est une chose importante pour moi. Dans cette optique, vous avez travaillé sur la musique des années 70 et 80. Pourquoi? Parce que c'est une époque qui est très riche musicalement. C'est une époque qui a créé un changement sur le plan musical et artistique au Maroc et ailleurs. A cette époque-là, nous étions influencés par trois types musicaux, notamment la musique orientale avec ses ténors comme la diva Oum kalthoum, Abdelhalim Hafez, Mohammed Abdel Wahab et bien d'autres, sans oublier la musique marocaine qui a été influencée par l'orient, mais qui a essayé en parallèle de créer sa spécialité, notamment avec Abdelwahab Doukkali, Ghita benabdeslam. Et puis, il y a la formation musicale qui a marqué toute une génération, Nass El Ghiwane. Dans la pièce, j'ai choisi Lemchaheb parce qu'ils étaient plus révoltés dans leurs chansons. En outre, nous avons essayé de porter notre touche esthétique et notre regard artistique et intellectuel sur cette époque à notre propre manière. Dans la pièce, il y a à la fois ce sens humoristique qui fait rire aux éclats et ces scènes sérieuses voire tristes où toutes les émotions se confondent, mais interpellent. Pourquoi ce mélange? On pourrait travailler une pièce comique ou tragique à 100%, mais dans ma démarche artistique, je me focalise sur l'humain simple, sur son quotidien, son vécu avec ses contraintes, ses rêves et aspirations. Il doit y avoir ce sentiment des gens simples dans les pièces sur lesquelles je travaille. La finalité c'est de transmettre des idées.