Les dirigeants et militants du Parti du progrès et du socialisme se recueilleront ce lundi, après la prière d'Al Asr au cimetière Achouhada de Casablanca, sur la tombe d'Ali Yata, disparu il y a 21 ans. L'occasion pour Al Bayane de revenir sur le parcours d'un grand et exceptionnel leader politique. Feu Ali Yata (Si Ali, comme ses camarades et amis ont pris l'habitude de l'appeler) a marqué la vie politique nationale qu'il a quittée juste avant l'événement de l'alternance politique à laquelle il n'était pas, du tout, étranger. Sa première jeunesse a été riche en militantisme pour les idéaux d'un Maroc libre du joug colonial et d'une nation émancipée et avancant vers le progrès. A peine adulte, et après un passage dans l'école du patriotisme grâce au fkih Bouchta Jamai à Casablanca et au fkih Ahmed El Chinguitti, auparavant à Tanger, sa ville natale, Si Ali a rejoint les premières cellules communistes et le Parti communiste du Maroc, fondé par une poignée de militants démocrates et anticolonialistes européens, et dirigé à l'époque par Léon Sultan. Ali grimpa vite les échelons de la responsabilité et déjà en 1945, à la mort de Léon Sultan, l'ex Secrétaire général du PCM, il prena les choses en main et fera entendre la voix des Marocains hostiles au positionnement du PCF, dirigé à l'époque par Maurice Thorez qui s'était, pourtant, distingué par son refus de la guerre contre le Maroc dans la décennie 20. 1949 est une date historique puisque Ali Yata, qui devient SG du PCM, et ses camarades, notamment feu Abdeslam Bourquia, ont réussi à «marocainiser» le Parti communiste du Maroc, jugé, à l'époque, de trop docile au PCF. Un patriote conséquent Cette particularité et cette volonté d'autonomie vis-à-vis du PCF (qui liait l'indépendance du Maroc à l'arrivée de la classe ouvrière française au pouvoir à Paris.. !) marqueront les rapports entre les deux partis, après l'indépendance du Maroc. Mais Ali Yata était également connu pour ses prises de positions sur l'avenir du Maroc indépendant et les accords d'Aix-Les-Bains. Ce qui lui a valu, à côté de nombreuses admirations, une adversité de la part des autres branches du Mouvement national (le parti de l'Istiqlal et ensuite l'Union nationale des forces populaires, qui voyaient en le Parti un rival potentiel qui pourrait fausser leurs calculs). Mais, au-delà des rivalités politiques, Si Ali était connu par son attachement indéfectible à la Patrie et à son indépendance mais aussi à la cause populaire. Il a d'ailleurs été défendu par de grands avocats de l'époque et non des moindres à l'image de feus Mhamed Boucetta et Abderrahim Bouabid... Lors de ces procès, il paiera le tribut de ses engagements conséquents sur tous les fronts, lors du protectorat français mais également durant les premières décennies du Maroc indépendant. Durant l'ère coloniale, il fut souvent réprimé et emprisonné pour avoir défié les forces de l'occupation étrangère. Il fut renvoyé, à plusieurs reprises, en Algérie, en même temps que feu Si Mohamed Ferhat, membre du Bureau politique du PCM… La suite est aussi jalonnée de combats patriotiques par l'implication du Parti communiste Marocain dans la lutte armée contre l'occupation étrangère. Ali Yata donna un véritable coup de fouet au «Croissant noir» de feu Haddaoui, dirigé, début des années 50, par feus Abdelkrim Benabdallah et Abdallah Layachi, dont le premier en paya le tribu par sa vie, dès les premiers jours de l'indépendance, Haddaoui et Abdelkrim Benabdallah sont assassinés par la «Mounadama Assirya» (L'Organisation clandestine), dirigée à l'époque par le Parti de l'Istiqlal et feu Mehdi Ben Barka... Et quand le Maroc obtient son indépendance, avec le retour de feu Sa Majesté Mohammed V, le Parti communiste était encore das l'illégalité et son secretaire général Ali Yata exilé en France, après des passages dans les prisons françaises (Fresnes, La Santé à Paris, Les Beaumettes à Marseille et Barberousse à Alger..). Ali Yata ne connaitra pas la joie de l'indépendance au Maroc. Il restera exilé et ne regagnera le Maroc que plusieurs mois après et sera reçu, à la tête d'une délégation du PCM, par le Roi du Maroc. Le Parti communiste sera reconnu légalement mais pas pour longtemps. Il sera interdit, en 1959, par la justice marocaine sous le gouvernement de Moulay Abdellah Ibrahim, leader historique du Parti de l'Istiqlal et de l'Union nationale des forces populaires (UNFP) qui en bifurquera. Procès, condamnations et prisons... La décennie suivante ne sera pas de tout repos. Ali Yata et le PCM sont condamnés à la clandestinité mais ils tentèrent d'obtenir le droit à l'expression et à l'existence légale en fondant le Parti de la libération et du socialisme (PLS) dont la vie ne durera pas plus de 14 ùois. Le PLS est interdit par la justice, sur une requête du ministre de l'Intérieur de l'époque, qui n'était autre que le sinistre général Oufkir. Ali Yata, Chouaib Riffi et IsmaIl Alaoui ont été arrêtés. Les deux premiers ont été condamnés, respectivement à 9 et 8 mois fermes, alors que le dernier a bénéficié d'un non lieu, après deux semaines d'incarcération, étant donné qu'il avait quitté la conférence internationale des partis communistes et ouvriers de Moscou, avant l'intervention d'Ali Yata devant les représentants du mouvement ouvrier international, jugée trop «communiste» et donc contraire à la nouvelle dénomination du Parti... Ali Yata renouera, ainsi, avec le commissariat de Derb Moulay Chrif, la prison de Ghbila à Casablanca ou la prison de Laalou à Rabat... D'ailleurs cette conférence aura la particularité qui avait fait du PLS et du Parti communiste soudanais les seuls partis ouvriers et communistes arabes à refuser le plan Roger's et la résolution 242 ayant divisé la Palestine en deux Etats... Mais bien que communistes jusqu'aux os et un pro- soviétique sans fard, Ali Yata n'a jamais caché ses amitiés avec les dirigeants communistes qui avaient clairement manifesté leur opposition à Khroutchev puis Berjnev, à l'image de Mao Tse tung PC chinois), Joseph Tito (ex Yougoslavie) et Nicolae Ceausescu (Roumanie). Le PLS et sa presse, comme pour les nombreux titres édités par le PCM, resteront interdits, jusqu'en 1974 où le Parti est autorisé à changer de nom (Parti du progrès et du socialisme- PPS) pour jouir de la légalité et du droit à l'existence politique légale, grace à une conjoncture nationale, marquée par la revendication par le Maroc de la récupération du Sahara marocain, qui était sous le joug colonial espagnol. Le prix de la légalité politique... Donc il va falloir attendra l'avènement du processus démocratique en 1974 pour que le Parti du progrès et du socialisme voit le jour pour poursuivre le combat de la concrétisation des contenus de l'indépendance nationale et de la marche vers la démocratie revendiquée dès la libération du pays du joug colonial. Mais dans tous ces combats, Ali Yata avait une faculté inouïe d'adaptation, malgré la rude répression, et n'a renié, à aucun moment, ses convictions idéologiques, en faisant preuve de réalisme et d'innovation. Depuis, Ali Yata a tenté de profiter de la démocratisation progressive de l'espace national, en s'investissant à fond dans deux fronts. Sur le front parlementaire, Si Ali, député de la circonscription de l'ancienne Médina de Casablanca, a permis d'élever, haut et fort, la voix du PPS, ses analyses et ses positions, tant sur le plan politique que social et économique. Plus tard, avec Ismail Alaoui, en tant que député des Beni Hssein du Gharb, le Parti dispose d'une paire de députés, un duo exceptionnel qui jouaient, à eux deux, le rôle d'un groupe parlementaire et étaient, de l'avis général, plus productifs que des groupes parlementaires constitués. Les populations amazighes se souviennent encore de son intervention historique en faveur de la constitutionnalisation des droits et de la langue amazigh, devant le Parlement. Sur le plan médiatique, la plume de Si Ali était très connue et appréciée des lecteurs des journaux du Parti, de ses militants et des observateurs politiques et des chancelleries au Maroc. Outre ses nombreux éditoriaux, Ali Yata a laissé le souvenir d'un fin analyste de la situation politique et sociale, un redoutable polémiste doté de grandes capacités didactiques, qu'i avait acquis, quand il était jeune instituteur... Un artisan de l'alternance démocratique... Mais, chose peu connue à part dans certaines sphères politiques bien restreintes, Ali Yata a amplement contribué à la réussite de l'avènement de l'alternance, qui alla porter Me Abderrahmane Youssoufi (tiens un Tangérois aussi ... !) au sommet de l'Exécutif marocain en 1997, quelques mois après le décès de Si Ali... C'est grâce à lui que les canaux de la négociation ont permis un travail très discret qui allait faire venir la Koutla démocratique aux rennes de la gestion publique des affaires du Maroc moderne. Dans ce sens, il faudra rendre un hommage particulier à Ali Yata pour avoir été l'un des grands artisans du gouvernement de l'alternance démocratique, que le défunt vétéran du PPS n'a pas savouré la joie de sa réalisation… Aujourd'hui, 21 années après, le Maroc poursuit cette marche consensuelle qui fait sa force et forge le respect à l'échelle internationale, en s'appuyant sur les acquis de la génération des contemporains d'Ali Yata. Une pensée particulière est à adresser à tous ses compagnons, ses contemporains, à ces hommes et ces femmes qui ont tout donné et sacrifié pour que le peuple marocain puisse acquérir sa dignité et avancer sur le chemin de la liberté, de la démocratie et du progrès social. La génération nouvelle peut s'enorgueillir de poursuivre le chemin tracé par ces aînés qui ont tout donné sans rien réclamer en échange, en puisant sur ce legs inestimable de modestie, de responsabilité et de sérieux. Un bel exemple d'altruisme et de sacrifice que celui de feu Ali Yata, qui fait cruellement défaut par les temps qui courent. Ali Yata laissera l'image du combattant inlassable de la liberté et de la démocratie, de défenseur intraitable des démunis et de militant internationaliste qui plaide les causes des peuples.