Dans l'œuvre de Hamid El Alaoui, mise en évidence sous l'appellation de «navigation dans la passion», les éléments picturaux concourent à faire éclore aux yeux du regardant l'expérience de la contemplation effective. Celle qui a pour point de départ le plaisir des compositions tout en rythmes harmonieux. Ses aléas et ses manifestations non-apparentes que via ce qui est occulté. C'est une affaire de traces : signes, formes et matériaux divers mais circonscrits à une utilisation fonctionnelle bien réfléchie et décidée dans le pré-atelier de l'imaginaire de l'artiste. L'ensemble chapeauté par une palette de deux, trois couleurs pour l'essentiel de ce qui est mis en œuvre afin de rendre compte de ce plaisir. Dans les tons terreux et ombrés, ceux des origines par lesquels l'homme a inauguré la longue marche de l'expression en images. Il est d'abord un état multiplié de passion. Comme source d'inspiration évidente, et comme thème majeur résultant d'un travail artistique hanté par l'élan vers l'autre, différent et semblable qu'est la femme dans un premier temps(la plupart du temps en fait) avant d'embrasser la thématique de de l'autre et de l'existence. On en veut pour démonstration les œuvres intitulées (et tout travail de l'artiste porte un nom et une lettre, D,G,M dans nombre des cas), trilogie de la passion, jumeau d'esprit ou départ d'ange. Ce sont autant de toiles qui signifient, à la fois séparées et assemblées. Dans un souci de complémentarité à chercher. Car il y a des constantes chez l'artiste. Ce blanc toujours au centre travaillé pour avoir un éclat perturbé qui s'étend considérablement vers ce brun des contours. Ce même brun qui dote les tissus colorés collés ci et là, couleur des arcades insérées des ruelles tétouanises sans doute (ville de l'artiste) où les êtres sont des silhouettes d'ombres et de lumière, lieux de secrets et de l'ambiguïté recherchée. L'artiste les capte en silhouettes à formes généreuses. Dressées et de profils mais invariablement à moitié. La voilà cette complémentarité qui se fait sentir de nouveau, car rien n'est offert ni saisi en entier. Son art applique à la lettre l'objectif des arts plastiques qui est de rendre compte de l'équivoque et du caché tout en l'approchant par le vocabulaire plastique justement. Or ce n'est guère une fin en soi, mais une manière d'exprimer que fait rehausser l'introduction d'éléments bienvenus tels la clé et le cadenas des portes ancestrales (symbolique de l'homme et la femme mais sans s'opposer) et chaînes de fer, auxquels il faut ajouter des symboles plus modernes : équations mathématiques, électrocardiogramme... tout ce qui ressemble à un lexique de la passion caressée. Mais singularité de l'artiste, celui-ci ne penche pas vers la couleur de prédilection d'un tel penchant, le rouge, quasiment absent. À la place il y a du bleu réparti judicieusement en des formes géométriques au centre ou légèrement décalé, comme un tampon paisible et profond. On dirait qu'il fait ruisseler le penchant affectif universel entre la terre et l'eau ou le ciel. Entre fougue et calme serein traversé par l'éclat de l'avant éclosion. C'est une complémentarité, non pas des contraires, mais du même scindé pour créer le plus. Ici, il s'agit d'uniformité où tout s'imbrique, même dans la division, afin d'atteindre une verticalité tirant vers le haut. Ce qui exclut l'incrustation du paradoxe. Cette peinture réussit à élever le regard et le charmer en le truffant des questions dociles. Du coup, le travail sur la passion avec ses espaces où les formes conversent plaisamment, et les silhouettes blanches ou blanches bleutées agissent telles des réminiscences d'un imaginaire en corrélation avec l'intériorité émotionnelle de l'artiste à l'instar de tout créateur mu par le désir de la transcendance. En cela, il suffit de contempler les trois tableaux portant les titres de «Départ d'ange», «Pieds au-dessus du paradis» ou «Approches À, B,C». Ce sont autant de variations riches en significations sur la thématique de la passion dont la récurrence fidèle aux éléments plastiques choisis est une exploration de proche en proche vers une certaine vérité qui se donne à sentir sans se nommer. L'attrait de tout affect est dans sa recherche minutieuse via les moyens artistiques mis en œuvre. Dans la réalité de tous les jours comme dans un tableau. Et cela est plus explicitement prouvé dans les toiles, «l'un des deux» et «buts communs» où il est question d'une abstraction poétique forte de ses aplats vifs noyés dans un magma dont la valeur sombre est le résultat d'une superposition de couches de couleurs voisines ou complémentaires d'effets immédiats. Or c'est un sombre qui affiche un éclat de lumière diffus et palpable. On est là immergé dans la poésie. C'est un foisonnement de sensations en mouvement que Hamid El Alaoui étale avec une maîtrise qui doit son exécution à un état intérieur d'inspiration allié à un savoir faire de l'artiste doublé du designer. Ça se sent à travers l'agencement d'une architecture à géométrie variable sans perdre le sens du rythme. Il y a parfois la domination de la clarté rompue (comme dans les toiles citées ci-haut) au centre ou vers le haut, et des fois la prédominance de l'obscur éclairci par la teinte lumineuse d'une couleur vive, le rouge (cas rare dans ce travail) en l'occurrence, introduite sans l'intention de créer le pendant nécessaire à une mélodie tantôt criante tantôt paisible. Ce n'est pas un hasard si l'une des toiles est titrée «Symphonie nocturne»... *Ecrivain et chroniqueur