Quand la Fondation CDG donne «Carte blanche» à Habbouli Bouchaib, il en use selon la démocratie. C'est-à-dire, selon ses propos, donner la chance à autrui pour exposer, pour se faire connaître et atteindre la notoriété. Sortant des sentiers battus et des convenances dans ce genre de manifestation, le peintre reconnu sur la scène artistique «a préféré rompre avec la démarche ancestrale» comme le souligne Mme Naciri, directrice générale de la fondation mécène. Prônant une ouverture sur la jeunesse, cherchant la production picturale «là où la pratique artistique a besoin d'attention et d'accès à la sphère culturelle», Habbouli invite quatre artistes à cette exposition placée sous le thème «Regards d'artistes» pour leur offrir l'opportunité de libérer leur énergie créative. Il s'agit d'Hassan Abarou, Rachid Bakhouz, Anas Bouanani et Aziz Sahaba. Il manque à cette liste une présence féminine pour que la démocratisation voulue par Bouchaib Habbouli puisse intéresser l'ensemble de la population artistique dans sa diversité. Hassan Abarou s'inscrit dans «l'esthétique abstraite consciemment maitrisée». Des toiles vides pour le regard avec un contraste aux limites qui laisse la recherche de la volonté de l'artiste libre de toute entrave. On retrouve des signes, une signature ; comme pour casser l'omniscience d'une étendue uniforme et sans aspérités. Les lignes asymptotiques retiennent l'imaginaire pour le ramener à l'absurdité de ce qu'il voit. La tendance est de minimiser l'effort consenti pour l'expression artistique alors qu'il s'agit «d'un déploiement d'espaces superposés de différentes trames» obtenu par une puissance gestuelle et une fureur fougueuse. Cela se comprend mieux quand les tons se détachent délicatement ou se rassemblent vers une colonne génératrice d'énergie. L'espace est ainsi rempli ; du vide sidéral on retrouve de la matière. Le temps s'étale sur une génération entre deux siècles. Rachid Bakhouz est dans l'abstrait. Ses toiles donnent aux neurones cette frénésie nécessaire pour comprendre l'usage des couleurs et des formes. L'espace de la toile ne se consomme pas totalement. Une marge souligne la perméabilité du magma coloré, en cours de différenciation, et cette zone où presque rien ne figure. Comme si le peintre avait besoin de repos après son effort artistique ou d'exprimer sa volonté de laisser les choses telles qu'elles sont, stagnantes mais en même temps ouvertes à toute perturbation plastique. Abstraction faite de la signature, la toile ne présente aucune polarité ; alors que la polarisation des tons souligne la nuance ou parfois la limite entre les agrégats. La contemplation permet au regard de se retrouver dans une conception autre que celle de l'artiste. Cette approche de l'espace, dans une expression picturale bidimensionnelle,a la capacité de susciter des passions où on retrouvera l'émancipation et la remise en cause aussi bien de soi que de l'environnement et de son architecture. Anas Bouananise rapproche de l'abstraction lyrique selon Habbouli. On est touché par ses teintes automnales qui tourbillonnent où s'étalent au-dessus d'un amas de sable dans une cartographie de plus en plus apaisée. Blanc en cascade à travers un gris en filaments, à moins qu'il ne constitue le socle de ce qui apparaît comme la dominante, une couleur de terre dont «les émanations encore indicibles (laisse) l'imaginaire construire une utopie insaisissable». La stratification se devine quand elle n'est pas soulignée. Elle est relique du figuratif acquis avant «la maturation lente et réfléchie» vers la synthèse de l'abstraction et la liberté qu'elle procure. La vulnérabilité des formes induit le doute sur leur réalité sans pour autant les mettre en cause dans la construction du rêve auquel aspire l'artiste. «Le tout collé et traité au pastel», la formule est de Moulim El Aroussi dans la présentation du travail pictural d'Abdelaziz Sahaba. Des visages penchés montrant une certaine ingénuité ou une réflexion dont la pesanteur maintient l'équilibre de la tête. La beauté des traits est atténuée par la profondeur du regard; et au nez masculin fait suite une bouche féminine. Personnage en quête du bonheur qui reste prisonnier de ses narines au milieu de coupures où l'on arrive à décrypter des bouts de phrases tels que talon d'Achille ; refuge ; rêves ; senti… (ments ?), des «finances» chamboulées et autres coupures dont la signification est beaucoup plus en relation avec l'appréciation de l'artiste que du regard méditatif. Un sentiment d'intelligence se propage du personnage dont l'envol de l'oiseau hors de sa cage suggère sa conviction profonde pour la liberté. Le temps est oublié dans la solitude. Enveloppée dans un col roulé pour éviter le froid de l'environnement, la gorge, cet entonnoir entre l'intérieur et le monde extérieur, est soumise à rude épreuve à voir les mégots dans le cendrier, la fumée qui se dégage, les boissons qui font croire au bonheur. Comme pour souligner la continuité de son travail, Habbouli expose au fond de la galerie des bas-reliefs, alors que l'on retrouve exposé au milieu de la salle des bijoux reprenant les motifs deses peintures au brou de noix et une partie de celles-ci. La disposition des tableaux dans son ensemble reflète la matérialisation de la «Carte blanche» qui lui a été accordée. Devant ses cuivres en relief, Bouchaib Habbouli se lance dans un plaidoyer revendicatif sur la diversité de l'expression plastique rejetant toute rupture ou approche différente. Identique à lui-même, il trouve dans la fidélité un apaisement. C'est l'expression de l'esprit sur lui-même qui atténue, allège et console les méfaits de la bêtise humaine exécrable, car non reconnaissante du plaisir de la vie autant dans sa sobriété que dans sa splendeur. Habbouli est autodidacte, sa renommée, il la doit à lui-même, à son travail et à sa persévérance. La vie n'a pas été toujours clémente avec lui et les beaux jours sont ceux où le peintre a pu se débarrasser momentanément de ses figures, de ses portraits qui « l'habitent », de ses oiseaux dont l'envol reste incertain. C'est aussi une raison qui explique sa volonté de « démocratiser l'art », lui qui sait ce que vaut l'expression picturale sur le marché sans pour autant bénéficier toujours de sa manne. Natif et habitant d'Azemmour, il constitue un succédané humain et humaniste de la ville elle-même. Entre ses ambitions dans l'émancipation et la réalisation de son envol et les contraintes de la rigueur, de la discipline, de la maitrise des techniques de la vie pour se maintenir dans un environnement de plus en plus agressif. Les oiseaux et les figures du répertoire créatif de Habbouli font partie de sa métaphysique. Bien malin celui qui arrivera à les déchiffrer dans le vécu de l'artiste, dans une société clair-obscur où il refuse toute forme d'aliénation, dans sa culture d'adulte et dans ses hantises d'enfant.