Protection des consommateurs : Depuis le 1eravril, les derniers décrets de la loi sur la protection du consommateur sont applicables. De quoi donner du fil à retordre aux promoteurs immobiliers, mais pas seulement. Les banques et les opérateurs télécoms n'ont qu'à bien se tenir aussi. La loi sur la protection du consommateur a vu le jour en 2011. Beaucoup de dispositions étaient applicables sur le champ, mais d'autres sont restées tributaires de décrets d'application. Depuis quelques jours à peine, la loi est pratiquement applicable dans son intégralité, avec notamment la publication du décret sur l'offre préalable de crédit- OPC-, dans le chapitre consacré au crédit consommation et au crédit immobilier. Désormais, avant l'octroi d'un crédit, que ce soit un crédit à la consommation ou un crédit immobilier, l'organisme concerné se doit de formuler une OPC et le consommateur dispose d'un délai de 7 jours pour accepter l'offre. «Et même après l'acceptation de celle-ci, il bénéficie encore d'un délai de rétraction de 7 jours. Ce dernier décret est venu donc préciser la forme de l'offre préalable de crédit –OPC-», affirme Younes Anibar, avocat et vice-président de l'association de protection des consommateurs de Casablanca. Ce qui n'est pas sans compliquer le rôle des banquiers et ralentir les ventes des promoteurs immobiliers pour peu que le consommateur est informé de cette nouvelle disposition. Le délai de grâce, un couperet pour les banques La loi sur la protection du consommateur est pluridisciplinaire. Elle comporte plusieurs chapitres comprenant chacun des mesures qui ont été édictées pour la protection du consommateur. Sauf que l'applicabilité de certaines, surtout vu le contexte de crise actuel, risque de quelque peu de bousculer certains secteurs qui jusqu'alors étaient sourds aux droits des consommateurs. Parmi les mesures les plus importantes, on trouve les mesures contre les clauses abusives, le droit à l'information (afin de permettre au consommateur de faire un choix rationnel et bien réfléchi), le droit de rétractation (sauf qu'il ne concerne que les crédits et les ventes à distance), ainsi que le délai de garantie et le délai de grâce. Et c'est ce dernier qui aujourd'hui constitue une grande avancée pour le consommateur. «Le délai de grâce s'applique dans le cas où un consommateur ou un emprunteur, suite à un événement social imprévisible, se voit dans l'impossibilité d'honorer ses engagements ne serait-ce que provisoirement. Dès lors, ce dernier peut prétendre à un délai de grâce qui peut aller jusqu'à deux ans, bien entendu sur autorisation du juge », explique Younès Anibar. Toutefois, il existe également la possibilité de passer préalablement, pour des cas similaires d'événements sociaux imprévisibles, par le médiateur bancaire avant l'engagement de toute action judiciaire. «Seulement à l'heure actuelle, vu que le décret est relativement récent, les banques dans leur majorité ne sont pas encore sensibilisées par rapport à ce type de démarche», nuance un avocat exerçant à Fès et requérant l'anonymat. Dans le sillage du délai de grâce, il faut savoir que la défaillance de l'emprunteur ne peut s'acter qu'après trois mois d'impayés successifs. «Les banques et les sociétés de crédit en général n'attendent pas le terme du délai et entame leurs poursuites très vite. Non pas qu'elles font de la résistance frontale, simplement leurs équipes ne connaissent tout bonnement pas les nouvelles dispositions de la loi et n'ont pas reçu de formations dans ce sens », déplore un autre avocat. Autre mesure importante, lors de l'octroi de crédits, les organismes prêteurs n'ont plus la possibilité de faire signer des billets à ordre en guise de garantie du paiement du crédit. Aujourd'hui, cette mesure de garantie est frappée de nullité absolue. «Il y a même des juges qui l'appliquent de façon presque systématique. Les mesures de garantie se limitent désormais aux hypothèques et aux nantissements. On ne peut pas aller au-delà de ces deux garanties et faire signer des billets à ordre ou des reconnaissances de dettes. Le billet à ordre comme supplément, c'est fini ! », déclare Younès Anibar. Quant au délai de garantie, il a été rallongé de manière sensible. Dans le texte initial du DOC (Dahir des Obligations et des Contrats), il était d'un an pour les biens immobiliers et de 30 jours pour les biens mobiliers. Aujourd'hui, il a été porté à deux ans dans l'immobilier et à un an pour le mobilier. Mais là n'est pas la principale difficulté que risquent de rencontrer les promoteurs immobiliers. C'est plutôt le droit à l'information, qui est une des dispositions phare de la loi sur la protection du consommateur, qui deviendra probablement la bête noire de ces derniers. Le droit à l'information, angle mort de la VEFA? D'abord, parce que le droit à l'information est subjectif. En réalité, il s'agit de savoir ce que le consommateur est en droit d'attendre comme informations au sujet d'un produit, d'une marchandise, d'un service,.... Ainsi, le fournisseur doit produire toutes les informations nécessaires en vue de permettre un engagement serein et réfléchi du consommateur, avec toutes les conséquences juridiques qui en découlent. «Je vous donne un simple exemple que je viens de traiter récemment. Une personne qui souhaitait résilier sa ligne téléphonique s'attendait à ce que la résiliation se fasse immédiatement. Elle se voit opposer une facture correspondant au paiement d'un mois supplémentaire, car en réalité la résiliation ne s'est opérée que le mois suivant. L'opérateur Télécom aurait dû l'informer du détail de la procédure et de sa durée afin que l'abonné agisse en connaissance de cause. Voilà le genre d'informations auxquelles le consommateur pourrait prétendre », détaille le vice-président de l'association de protection des consommateurs de Casablanca. Le droit à l'information renvoie donc à toutes les informations importantes qui engagent la responsabilité du consommateur qui ne se serait pas engagé si elles lui avaient été révélées au départ. Typiquement, dans le cas de l'achat d'un logement via la VEFA- vente en l'état futur d'achèvement-, il faudrait que le promoteur immobilier précise sa situation dans l'immeuble, le descriptif détaillé du logement, des équipements, des matériaux utilisés, le type de projet, l'orientation, ... «En somme, il s'agit de délivrer un maximum d'informations pour éviter ce qu'on appelle dans le DOC les vices de consentement, afin qu'il n'y ait pas erreur par rapport à la chose vendue », précise Younès Anibar. C'est là donc une grande entorse à l'article 230 du DOC qui instaurait le principe selon lequel le contrat est la loi des parties. En outre, et en vertu de cette nouvelle règle, il faut que le fournisseur puisse prouver que toute l'information a été communiquée au consommateur pour faire un choix rationnel. Difficile pour les promoteurs immobiliers, à l'instar de n'importe quel vendeur, d'apporter de telles preuves. Mais ces derniers seront-ils inquiétés pour autant car le rôle du juge reste essentiel pour délimiter le champ de l'information ? Où commence-t-il et où s'arrête-t-il ? Un bilan positif A l'occasion des journées du consommateur qui se tiennent durant le mois de mars de chaque année, un bilan de l'applicabilité de la loi a été dressé. «De manière générale, nous avons été agréablement surpris par la manière dont la loi a été et dont elle est appliquée. Nous avons surtout été agréablement surpris par la position prise par les juges », indique Younès Anibar. En effet, il y a eu un certain nombre d'arrêtés qui sont allés dans le sens de l'application de l'esprit de la loi, à savoir protéger le maillon faible de la chaîne qui est le consommateur. Aussi, de nombreuses décisions ont rejeté le billet à ordre comme garantie, alors même que des saisies avaient été obtenues. Du coup, le juge a ordonné leur levée. D'autres exemples également démontrent que l'applicabilité de la loi est sur la bonne voie. Ainsi, sur le registre des taux excessifs, comme la comptabilisation des taux pour la clôture de compte, certains juges ont reconsidéré ces taux et se sont même montrés très intransigeants par rapport à cette question. Par ailleurs, il y a eu des cas où un tribunal, à Fès notamment, a considéré une clause comme abusive. «C'est donc un premier pas vers l'interprétation de ce qui relève de la clause abusive dans un contrat », admet l'avocat exerçant à Fès. Ceci étant, et de l'avis général, les juges essayent d'appliquer strictement les dispositions de la loi. Il manque bien entendu quelques principes car la loi est jeune, comme c'est le cas pour l'article 59 qui porte sur l'abus de faiblesse et l'ignorance. En l'occurrence, on ne devrait plus pouvoir tirer profit de l'ignorance du consommateur lors d'un engagement. Et si l'engagement est basé sur un abus de faiblesse ou sur l'ignorance du consommateur, l'engagement est nul. Non seulement il est annulé, ce qui implique la restitution des sommes avancées, mais en plus cela donne droit à des dommages et intérêts. Là encore, la loi sur la protection du consommateur fait une entorse au cas classique du DOC. Ce dernier, dans son article 306 prévoit, lorsqu'il y a nullité de l'obligation, uniquement la restitution des sommes avancées. Aujourd'hui, l'article 59 prévoit en plus de la nullité la possibilité de réclamer des dommages et intérêts. C'est en soi une grande avancée, sauf qu'il n'y a pas eu encore de cas exposé au tribunal pour qu'il se prononce dessus. «Depuis 2011, il n'y a pas eu encore de cas qui ait épuisé toutes les voies de recours pour arriver à la cassation, la juridiction suprême qui instaure des actes de principes. Cela devrait venir dans les deux ou trois prochaines années, lorsque des cas seront soumis au tribunal », espère Younès Anibar. Bien que l'applicabilité de la loi soit vraisemblablement sur la bonne voie, l'essentiel des parties prenantes n'est pas au fait de ses dispositions. D'ailleurs, dans le cadre des actions de sensibilisation de l'association de protection des consommateurs de Casablanca, un guichet consommateur a été mis en place pour recueillir les réclamations. Seulement, rares sont les fournisseurs/vendeurs qui réagissent. «Très souvent, ils sont dans l'ignorance totale de ce que prévoit la loi et sont confrontés à des décisions qui vont à l'encontre de leur intérêt malheureusement. Et ce n'est pas ce que nous cherchons», conclut Younès Anibar.