La 17e édition du Festival national du film se tient à Tanger du 26 février au 5 mars. La cérémonie d'ouverture abritée par l'historique salle Roxy, qui résiste au tsunami des fermetures qui emporte le parc des salles au Maroc, a connu un franc succès. «C'est un démarrage sous de bons auspices», dit un familier du festival. Tous les ingrédients étaient en effet réunis pour assurer une bonne ouverture à ce qui est la plus grande manifestation cinématographique nationale; y compris l'apport d'une belle pluie qui a insufflé un air d'espoir et d'optimisme dans l'ambiance générale du festival. A cela s'ajoute une bonne organisation de la cérémonie, avec une mise en scène très réussie, confiée au cinéaste prometteur Adil Fadili. Le contenu alternait des moments de présentation du programme et des séquences chargées d'émotion et de communion. L'ouverture a été marquée en effet par l'hommage posthume rendu au chercheur et critique de cinéma marocain Mostafa Mesnaoui, décédé au mois de novembre dernier alors qu'il se trouvait au festival du Caire. C'est son ami, qui était présent sur place au Caire, notre confrère Lahcen Laassibi, qui a prononcé son oraison funèbre. Un discours d'une grande éloquence et d'une grande sincérité. En revanche, le discours du ministre de la Communication a été la fausse note de la soirée ayant confondu ce moment de recueillement avec une campagne électorale avant l'heure. Une maladresse qui a suscité des réactions de désapprobation dans la salle. Un hommage non moins émouvant a été rendu au pionnier du cinéma marocain Latif Lahlou ; il en fut très touché et reconnaissant. Un clin d'œil intelligent a été envoyé à feu Tayeb Seddiki avec la projection du film «Le poulet» de Jean Fléchet ; un sketch filmé de 1954, avec des figures fondatrices de la scène marocaine, où l'enfant de Mogador brillait déjà de mille feux. La maîtresse de cérémonie, la gracieuse Fatéma Naouali a en outre présenté les membres des deux jurys ; le court métrage présidé par l'enfant chéri de Larache, le cinéaste Abdeslam Laklaï et le long métrage présidé par le chercheur universitaire, spécialiste d'Habermas, Nour-Eddine Afaya. Ils auront à trancher entre 14 films dans chaque catégorie. Une première remarque s'impose d'emblée à la lecture des deux listes de films en compétition cette année. Aussi bien pour le court que pour le long, cette édition est marquée par une tendance de nature sociologique ; le cinéma marocain voit en effet débarquer une nouvelle génération de réalisateurs, avec des profils distincts, certes, mais qui tranchent avec la tendance qui a marqué la décennie précédente, avec des candidats cinéastes issus de la profession elle-même, c'est-à-dire venus non pas d'une école mais du système de production dont ils ont fini par comprendre les rouages. Pour le court métrage la remarque a été confirmée dès le premier jour de la compétition officielle (samedi) avec les films de Mohcine Nadifi, «L'esclave du mâl(e)» et de Khalid Douache, «Le proje-T». Le premier est un thriller socio-politique autour du viol d'une jeune fille dans un contexte mafieux, avec des connexions entre la police, un haut gradé et des trafiquants. Le premier plan du film joue comme un clin d'œil au bagne de triste mémoire du sud marocain. Un cast de classe (Roukh, El Baz, Niazi...) de bonnes intentions mais cela manque de cohérence. Le deuxième se veut une critique de la télévision, présentée comme instrument de torture. Mais cela pèche par trop de naïveté, à la fois au niveau du scénario et du traitement, le film reprenant lui-même le dispositif qu'il cherche à remettre en question. Les deux longs métrages de la journée peuvent être abordés –hasard de la programmation- sous le signe d'un traumatisme originel. L'orchestre de minuit, la comédie fantastique de Jérôme Cohen Olivar retrace la quête du fils d'un célèbre musicien juif pour comprendre pourquoi son père avait décidé subitement de partir et puis de l'appeler une dernière fois auprès de lui avant qu'il décède. Des...espoirs de Mohamed Ismaïl plonge dans l'inconscient d'un brillant cadre incapable de gérer sa relation avec la gente féminine. L'explication dans les deux cas de figure se trouve dans le passé. Le présent ne peut connaître son émancipation sans solder les comptes du passé. Chez Olivar par la recomposition (réhabilitation) d'une mémoire refoulée, les morts n'auront un départ serein que si « l'orchestre », figure métaphorique de la mémoire fragmentée, ne rejoue une partition dans la communion de toutes les composantes de la société. Chez Ismaïl, les grands projets auxquels le jeune architecte est invité à collaborer (le grand stade de Casablanca symbolisant l'ensemble du projet de modernisation du pays) sont condamnés à rester à l'état de maquette tant que la violence à l'égard de l'autre (ici la femme) ne trouve pas son expiation dans une mise à jour du trou noir qui bloque la mémoire traversée d'une blessure (le crime contre le père). Chez Olivar cependant, l'enjeu culturel l'emporte sur l'enjeu dramatique. Certes, il est resté dans le registre ouvert avec son précédent long métrage Kandisha, celui du fantastique qu'il déplace ici de l'imaginaire à l'historique. Cherchant à trouver la parade dans la comédie en se basant sur les valeurs qui marchent (loi du marché) : Aziz Dadas, Gad Elmaleh, Hassan El Fad, Lakhmari, Amal Ayouch... le résultat étant : le film est, à l'image de la mémoire qu'il cherche à restituer, très fragmenté avec des blocs d'inégales valeurs. Mais le mérite du film est ailleurs ; il rend visible l'invisible du champ social. Ismaïl opère une mutation radicale dans sa démarche ; ayant fait sa réputation avec le drame social («Et après») et historique (le magnifique, «Adieu mères»), il investit un espace auquel il n'a pas habitué ses spectateurs, un espace urbain hyper codé, celui du carré d'or du Maarif. Du coup, une perte de repères qui avaient fait sa force (une empathie pour les humbles ; une esthétique sobre) versant alors dans une accumulation de clichés qui ont nui à une idée initialement prometteuse autour d'une psychanalyse cinématographique de la génération Facebook. Et dans ce sens, Ismaïl a choisi de communiquer avec elle en usant des codes de la culture postmoderne : récupération des signes en vogue ; hyper présence de la musique; jeunes comédiens branchés...