Le constat est quasi banal; c'est devenu une évidence universelle: la gauche aujourd'hui a mal. La gauche va mal. Au grand désarroi des militants qui oscillent entre désillusion, résignation et amertume. D'abord en termes de performances électorales, à quelques exceptions près, les grands partis de gauche connaissent un repli. Certains d'entre eux qui, au milieu du siècle dernier, étaient parvenus à frôler le quart des suffrages exprimés, sont aujourd'hui non seulement en perte de vitesse mais risquent de disparaître des écrans électoraux... D'autres ont choisi, suite à des revers politiques successifs, à se disloquer en fusionnant avec d'autres courants ou de se métamorphoser en nouvelles entités...en vain. Mais au-delà de cette contre performance dans la compétition démocratique, le plus grave revers que subit la gauche réside dans son déclin idéologique et culturel. Amer, le secrétaire général du parti socialiste français, J.-C. Cambadélis l'a reconnu en juin dernier, lors du dernier congrès national de son parti : «La gauche, dit-il, n'est plus en situation d'hégémonie culturelle». Au nord comme au sud, la gauche a perdu la bataille des idées. En Europe, avec l'avancée foudroyante des thèses de l'extrême droite, belliqueuses, xénophobes, et carrément racistes. Au sud, avec le triomphe des courants conservateurs illustré par la victoire des partis d'obédience islamiste lors des premiers scrutions libres organisés dans le monde arabe. Enfin, une forme de pensée unique fait de la démocratie libérale et du marché l'horizon indépassable de l'action politique. Toute visée alternative, émancipatrice est reléguée aux rangs des chimères, considérée désormais comme une vue de l'esprit. C'est dans ce contexte que sort un livre qui ouvre une brèche dans le linceul de résignation qui transforme cet état de délabrement idéologique en fatalité. Il s'agit de l'essai publié par le politologue Gaël Brustier, A demain Gramsci (Paris, le Cerf, 2015). La thèse du livre sonne comme un rappel à l'ordre. Ni l'ampleur de la mondialisation, ni l'irruption de la violence djihadiste, ni la profondeur de la fracture sociale et communautaire...n'ont été anticipées par la gauche, quelles que soient ses variantes : radicales, socio-libérales. Pour l'auteur, au moment où la gauche se focalisait sur ses scores électoraux, la droite occupait le terrain idéologique et s'emparait du pouvoir essentiel, celui des idées. La conclusion qui s'impose en toute logique consiste à réhabiliter le penseur qui a théorisé la notion de l'hégémonie culturelle et l'avait posée comme prélude à la prise de pouvoir politique, à savoir Antonio Gramsci. C'est une des figures intellectuelles qui ne cessent de nourrir la réflexion des militants de gauche et dont l'apport théorique et intellectuel a été longtemps mis au ban de la réflexion par les tenants du dogmatisme et qui a été durant sa vie, la cible principale des force de la réaction et du fascisme rompant. Il a été arrêté en 1926 ; il meurt en prison. Lors de son procès, le procureur de l'Etat fasciste avait dit à son égard «il faut empêcher ce cerveau de réfléchir pour vingt ans». Qu'est ce qui fait que cet intellectuel est encore plus contemporain que jamais ? D'abord par le fait même qu'il n'hésita pas à retourner l'outil critique contre sa propre expérience. Il effectua en effet un retour critique sur ses positions antérieure pour mieux appréhender la situation qu'il analysait ; celle marquée par la défaite de la révolution en Occident. Gramsci avait salué le triomphe de la révolution bolchévique mais en même temps il avait entamé une réflexion judicieuse sur la nature désormais spécifique du changement dans le cadre des pays démocratiques. Il prit acte de la stabilisation du capitalisme. Une leçon pour aujourd'hui encore où ce système malgré les crises qui le secouent et les horreurs qu'il engendre parvient à se régénérer. Pour l'auteur des Cahiers de prison aucune domination politique ne peut advenir sans une hégémonie culturelle. Le front des idées est tout aussi important que le front politique, économique et social. Une illustration éloquente nous est fournie par le cas marocain. Les succès électoraux du PJD (novembre 2011, septembre 2015...) sont la traduction politique d'une hégémonie culturelle. Les islamistes récoltent électoralement les fruits d'un champ déjà labouré par un immense travail socio-culturel. L'hégémonie est la capacité nous apprend Gramsci à créer un univers d'idées, de symboles et d'images dans lesquels un peuple se reconnaît. Les succès d'Abdelilah Benkirane ne sont pas la conséquence d'un travail de quelques conseillers en communication. Il n'en a pas besoin. Il puise dans le référentiel culturel (sémantique et lexical) qu'il partage avec son auditoire et dont il est issu. C'est ce qui a fait dire à un intellectuel marocain, Mohamed El Gahs que le PJD a lu Gramsci ! Avec les islamistes, en effet, les conseillers en communication et en marketing politique seraient plutôt inspirés de s'inscrire à l'ANAPEC. Le peuple ne signe jamais un contrat dans lequel il ne croit pas. Pendant longtemps son adhésion était le résultat d'une domination par la coercition (épisode Basri). Aujourd'hui, pour la première fois nous assistons à l'articulation du pouvoir politique à une hégémonie culturelle. Pour rester dans le paradigme gramscien, nous assistons à la réunion de la société politique et de la société civile. C'est ce que le PPS a très bien saisi dans son analyse de la situation politique post 2011. En faisant le choix de s'allier au PJD, il contribue à la création de conditions pour la convergence entre le système socio-politique et les représentations collectives exprimées démocratiquement. Le PPS agit ainsi pour l'émergence du bloc historique qui n'est rien d'autres que «l'adhésion des classes sociales différentes à un projet politique correspondant à un niveau d'évolution donné de la société». Ce faisant, il souhait convaincre les autres composantes de la gauche qui ont tout à gagner à rejoindre «le sens commun» des gens et en négociant un large compromis historique avec le PJD. Sur cette voie, le PPS reste animé par un autre principe de Gramsci : pessimisme de l'intelligence, optimisme de la volonté !