Jamal Karimi Benchekroun, secrétaire général de l'organisation de la jeunesse socialiste, explique dans cet entretien les principaux défis auxquels doivent faire face aujourd'hui les jeunes. Pour lui, «au lieu de sombrer dans une approche descriptive taxant les jeunes d'apolitisme, il faudrait s'interroger plutôt sur les raisons d'un tel comportement afin de comprendre leurs motivations et leurs véritables représentations de l'univers politique». Et de souligner, «seule une politique publique en bonne et due forme est capable d'intégrer les jeunes dans l'espace public». Les propos. Al Bayane : L'organisation de la jeunesse socialiste fête ce lundi 18 janvier ses quarante ans. Que représente pour vous la commémoration d'un tel événement ? Jamal Karimi Benchekroun : Sans nul doute, cette structure a pu durant quatre décennies, renforcer sa présence en devenant au fil des ans un acteur incontournable de l'espace public. Cela est dû essentiellement à l'engagement et au dévouement de ses militantes et militants à l'ensemble des préoccupations de la jeunesse marocaine, sans oublier le travail formidable accompli par les anciens secrétaires généraux, à commencer par Salem Latafi, Mohamed Nabil Benabdallh, Said Fekkak et Driss Rédaouani... Qui plus est, il faut dire que la jeunesse socialiste, depuis sa création, a fait de la défense des valeurs progressistes son credo principal. C'est un espace de socialisation politique et civique par excellence. Ceci étant dit, à l'instar d'autres organisations, la jeunesse socialiste contribue, pour sa part, à la formation et à l'encadrement des jeunes. Comment procédez-vous pour concrétiser vos objectifs ? Je tiens à souligner que la jeunesse socialiste est une organisation indépendante. Son agenda est fixé par ses militants et militantes qui composent le Conseil central. Démocratie oblige ! Ainsi, depuis sa création, la jeunesse socialiste veille souvent à organiser des débats autour des différentes problématiques nationales, notamment la question du Sahara marocain, l'abstinence politique, l'économie...A cela s'ajoutent les universités d'été qui connaissent la participation de grands professeurs de l'enseignement supérieur, sans oublier les soirées artistiques visant à inculquer à nos jeunes les valeurs esthétiques et artistiques. La jeunesse socialiste est un espace de débat, condition sine qua non pour former nos jeunes et les doter d'un esprit critique. Bref, elle a un rôle stratégique à remplir. Selon vous, quels sont les facteurs ou les causes qui expliquent le désintéressement des jeunes à l'action politique ? La sociologie politique nous apprend que le désintéressement à la politique est aussi un comportement politique. Ainsi, ceux qui parlent de la désertion totale des jeunes de la scène politique se trompent catégoriquement. Cependant, un travail en aval et en amont s'impose. A mon humble avis, au lieu de sombrer dans une approche descriptive taxant les jeunes d'apolitisme, on doit s'interroger sur le pourquoi d'un tel comportement pour comprendre leurs motivations et leurs véritables représentations de l'univers politique. Y a-t-il donc une solution pour réconcilier les jeunes avec l'univers politique ? Assurément, l'Etat assume, en grande partie, une large responsabilité. Pour pallier à une telle défaillance, la raison nous recommande d'œuvrer pour propager la culture politique au sein des écoles primaires et secondaires, intégrer l'enseignement de la philosophie dans les manuels scolaires afin de contrecarrer les idées obscurantistes et nihilistes. Que préconisez- vous exactement ? Seule une politique publique en bonne et due forme est capable d'intégrer les jeunes dans l'espace public. Pour ce faire, l'Etat doit assister les organisations des jeunes en leur procurant les moyens logistiques pour que ces structures mènent à bien leur mission. Aussi, le Parlement marocain doit s'intéresser aux problèmes des jeunes en légiférant en faveur de cette catégorie. Et ce n'est pas tout. Il faut réhabiliter l'université marocaine via la mise en place d'une stratégie nationale. Tous les acteurs sont appelés à apporter leurs visions. Nous appelons dans ce sens les responsables à se pencher sur la réforme du système éducatif et de la formation. Les volets culturel, artistique et sportif ont aussi un rôle crucial à jouer dans la formation des jeunes. Malheureusement, les budgets qui sont consacrés à ces secteurs ne dépassent pas dans le meilleur des cas 0, 6%. Nous ne pouvons que nous féliciter de l'extension de la couverture maladie pour les étudiants. Cela constitue un grand pas dans la consécration de ce que l'on appelle l'Etat social. Cela prouve que les ministres du PPS ont la fibre sociale. En tant que jeunesse socialiste, nous appelons également à l'élaboration de politiques publiques visant à corriger les inégalités sociales, revoir les salaires et intégrer les jeunes dans le monde du travail... car en fin de compte, l'intégration économique est devenue la pierre angulaire de la citoyenneté. Et toutes ces revendications sont contenues dans le mémorandum revendicatif présenté à l'occasion du 7e congrès national de la jeunesse socialiste. Qu'en est-il du rôle des partis politiques ? Certainement les partis ont un rôle indispensable à remplir là-dessus. Les structures partisanes se trouvent aujourd'hui dans l'obligation de rajeunir les élites dirigeantes. Il faut prendre en considération le fait que les jeunes dominent la pyramide d'âge du Maroc. Ainsi, les partis politiques sont tenus de procéder au rajeunissement de leurs instances décisionnelles. Aussi, les médias publics doivent mettre en place des programmes qui traduisent les préoccupations et les soucis des jeunes. Autre point non moins important, celui de la presse soi-disant indépendante qui ne cesse de dévaloriser l'action politique. Je trouve que cela est aberrant. Il faut dire que les partis sérieux, à l'instar du PPS, qui intègrent les jeunes dans leurs structures partisanes sont mimines et se comptent sur le bout des doigts. Aujourd'hui, le Maroc se trouve confronté à plusieurs ennemis qui font mains et pieds pour porter atteinte à son intégrité territoriale. En tant que jeunesse socialiste, avez-vous une stratégie pour défendre notre cause nationale ? Il faut d'abord reconnaitre que le monde a profondément changé. Les outils de combat devraient être ainsi adaptés aux multiples mutations que connait la planète. Pour rappel, nous étions présents dans toutes les initiatives visant à défendre l'intégrité territoriale du Royaume, à commencer par la marche pour la libération des villes occupées de Sebta et Melilia. Idem pour la marche au centre frontalier à «Jouj bghal» en faveur de la levée des frontières entre le Maroc et l'Algérie. Nous veillons, en outre, à être présents au niveau des réseaux sociaux et dans la plupart des manifestations internationales, comme c'était le cas en Tunisie à l'occasion du forum social mondial qui a eu lieu en 2015 où nous avons organisé des rencontres avec plusieurs organisations représentant les jeunes arabes. Le but étant de faire reconnaitre notre première cause nationale. Le combat continue car l'intégrité du Royaume est une ligne rouge... Ahmed Salem Latafi, premier secrétaire général de la jeunesse socialiste, estime que le véritable défi auquel est confrontée aujourd'hui cette organisation réside dans l'ouverture sur les jeunes marocains et l'interaction avec la nouvelle donne. Cela nécessite, insiste-t-il, de se mettre au diapason des véritables changements que connait la société marocaine et se préoccuper des problématiques persistantes. Les propos. Al Bayane : En tant qu'ancien secrétaire général de la jeunesse socialiste, quel bilan faites-vous du parcours de cette organisation ? Ahmed Salem Latafi : D'abord, je tiens à féliciter toutes les militantes et les militants de la jeunesse socialiste à l'occasion de son 40e anniversaire. Quarante ans d'existence est synonyme de quatre décennies de combat et de lutte quotidienne en faveur des idées progressistes. Créée le 18 janvier sous le nom «la jeunesse marocaine pour le progrès et le socialisme», cette organisation, de l'avis quasi-unanime des observateurs est devenue un élément clé de la socialisation des jeunes. Aussi, ne faut-il pas oublier que la jeunesse socialiste a marqué l'histoire du parti du progrès et du socialisme (PPS), notamment depuis son passage de la clandestinité à l'action politique légale en 1975, après avoir organisé son premier congrès national. Lors de la création de l'organisation, aviez-vous un objectif bien précis ? Il faut souligner, avant tout, que le PPS avait depuis sa création, une structure dédiée uniquement à la catégorie des jeunes. Je tiens à rendre un hommage au défunt martyr, Abdelkrim Benabdallah, qui fut le premier secrétaire général de la jeunesse communiste. Nous avons veillé depuis la création de la jeunesse socialiste à inscrire notre action dans une démarche interactive et à nous activer massivement dans l'université, en l'occurrence au sein de l'union nationale des étudiants marocains (UNEM). Nous étions porteurs d'un projet sociétal progressiste qui ambitionne de défendre les classes défavorisées. En parallèle, nous veillons à l'organisation d'activités politiques, culturelles et artistiques. Il faut reconnaitre que la jeunesse socialiste constitue une véritable école de formation, car beaucoup de ses militants ont assumé de grandes responsabilités au sein des hautes sphères de l'Etat. Bref, c'est une pépinière de compétences. Selon vous, quels sont aujourd'hui les enjeux aujourd'hui de l'association ? La jeunesse socialiste doit se mettre au diapason des véritables changements que connait la société marocaine et se préoccuper des problématiques persistantes telles que le chômage entre autres... Comment concrétiser un tel projet? Cela requiert un travail en profondeur. En termes plus clairs, il faut responsabiliser les jeunes en les encourageant à opter pour une approche plus pragmatique en matière de l'emploi. Inutile de rappeler que le secteur public est incapable aujourd'hui de satisfaire toutes les demandes d'emploi émanant des jeunes diplômés du supérieur. D'où la nécessité de la mise en place de programmes de formation les incitant à chercher d'autres voies, notamment le secteur privé ou l'auto-emploi. Comment expliquez-vous aujourd'hui le désintéressement des jeunes pour l'univers politique ? La jeunesse socialiste doit s'ouvrir davantage sur les jeunes marocains et interagir avec la nouvelle donne. Cela signifie qu'elle doit diversifier son programme en matière de formation tout en se focalisant sur d'autres domaines tels que le théâtre, la musique, les excursions...Autrement dit, les organisations de jeunes à caractère politique ne doivent pas être le sosie de leurs partis. L'Etat doit aussi mettre la main à la pâte en leur procurant les moyens nécessaires. Contacté par Al Bayane, Me Khalid Naciri, membre du bureau politique du PPS, estime que la décision de la constitue «un retour à la raison qu'on ne peut que saluer. De toute évidence, les pouvoirs politiques en Suède avaient besoin d'approfondir leurs informations sur le sujet. Ils ont eu le temps de le faire. Cela a contribué à conforter la position et l'image du Maroc». Me Naciri en tire des conclusions et invite tous les Marocainsa en faire de même. «Nous avons réussi à transmettre notre message sans crispation, ni agitation inutile. Il convient donc d'en tirer une conclusion fondamentale : il faut toujours communiquer en profondeur. L'épisode suédois confirme que nous sommes sur la bonne voie» conclue notre interlocuteur.