Les adieux de Gabrielle Gabrielle Russier (l'héroïne de Mourir d'aimer, le film et la chanson, et auteur de Lettres de prison, éditées après sa mort par les soins de son maître et ami Raymond Jean) fut professeur de français (avant de devenir agrégée puis docteur ès lettres) à Casablanca, au lycée Moulay Abdallah. C'était Mme Noguès, Gaby Noguès, du nom de son époux, M. Noguès étant un ponte de la RAD, fille de la SMD, la société marocaine de distribution d'eau et d'électricité. C'était une petite femme, tirant sur le roux, de modeste maintien, discrète, cachant un feu intérieur. On l'a d'abord connue très enceinte, de ses deux jumeaux, qu'ensuite elle promenait dans une poussette à deux places. Son époux et elle n'avaient pas les mêmes convictions politiques et ils n'étaient pas heureux en ménage, quelque effort qu'ils fissent pour donner cohésion à leur couple. En 1958, elle signa la motion des 481, exigeant de De Gaulle l'indépendance immédiate de l'Algérie. M. Noguès n'apprécia pas du tout et mit sa femme et ses enfants dans un avion, en cours d'année scolaire, pour la France, où il alla les rejoindre un peu plus tard. Elle était mon amie. J'étais son ami. Ce départ nous affligea tous deux. Elle était résignée, fragile et désolée. J'allai lui dire au revoir, montant chez elle pour la première fois, au premier étage d'un immeuble pas loin du marché aux fleurs de l'ex-rue de Commercy (aujourd'hui rue d'Agadir). Je lui offris un châle noir de Tiznit. Elle se tenait debout au milieu de ses malles. Elle me raccompagna jusque dans le hall de l'immeuble et là elle me dit dans un souffle, avant de disparaître : «Faites quelque chose de votre vie».