Rares sont les Gadiris de souche, et rarissimes encore le sont les nombreux visiteurs et amoureux d'Agadir, qui savent que cette terre n'était point un «waste land» démuni de tout aspect de civilisation et de grandeur, hormis les lustres et lumières qu'elle laisse désormais entrevoir. «Vas-y doucement, regardes du côté gauche, arrêtes-toi ici, et jette un regard du côté droit. Ici, tu n'as pas le droit d'aller vite !», c'est en ces termes secs, mais enrobés dans un humanisme profond, que le jeune Ahmed, accompagnateur de la MAP, dessinait avec rigueur et rudesse les contours d'une plongée, à la fois pénible et passionnante, dans les méandres historiques d'une ville qui, en apparence seulement, n'affiche pas plus de 70 ans d'existence. Avec la même rigueur, la même sévérité de ton, Ahmed poursuit ses sommations sèches: «Vas-y doucement, arrêtes-toi ici. Tu vois cet arganier là-haut? Tu dois grimper toute cette crête rocheuse et escarpée pour voir les vestiges du fort d'Aglagal, là où fut assassiné un des illustres fondateurs de la dynastie sâadienne, Cheikh Mohamed Essâadi» (1540/1554) . Or, rien au premier abord ne laisse présager que le petit village d'Agard, juché derrière une forêt touffue d'argan au pied du Haut-Atlas à 12 km seulement au nord-est d'Agadir, abritait autant de mystères, quoique l'on sache que la région dispose d'une école traditionnelle et d'une mosquée presque millénaire d'où émanent des fragrances de dévotion, de spiritualité et de fragments d'Histoire. Traversée par un important réseau routier le long de la route menant via Azrarag vers la commune de Drarga à l'est d'Agadir, la zone est en effet émaillée d'un chapelet de douars et d'anciennes habitations disposant quasiment toutes d'un lieu de culte ou d'une école coranique. Dans «L'encyclopédie du Maroc», Ahmed Bouchareb écrit que ce fort d'Aglagal, dont ne subsistent plus aujourd'hui que des vestiges à peine visibles, est le lieu vers lequel les Sâadiens durent se retrancher en 1515, après que les Portugais eurent cessé de poursuivre les combattants, dans le sillage d'une grande expédition militaire ayant débouché sur leur faille et la mort de nombre de leurs alliés. Pour Houcine Affa, ancien doyen de la faculté de Chariâa d'Aït Melloul et chercheur dans l'histoire de la région, ce fort, dont le nom amazigh renvoie à «la montagne pierreuse», serait fondé sous les Almoravides, au moment où Youssef Ibn Tachfine cherchait à assurer la protection des routes commerciales contre les attaques des tribus Masmouda. La même forteresse a été prisée par les moudjahidines, alliés des chorfas sâadiens, où ils affluèrent en nombre au moment où ces derniers lançaient la guerre sainte contre l'occupation portugaise du fort d'Agadir et des autres présides occupés. Le chercheur soutient dans une déclaration à la MAP que les Sâadiens ont combattu les Portugais à partir d'Aglagal dès 1536, à coups de sièges conjugués au renforcement de leur fort d'une muraille et de tours équipées de 40 à 50 mortiers orientés vers le fort de «Founty» ou vers d'autres installations coloniales de la ville, avant sa libération définitive en 1541. Mais quel rapport entre Aglagal et la mort de Cheik Mohamed Essâadi ? Une esquisse de réponse est fournie par l'historien Mohamed Sghir Al Ifrani où il revient, avec moult détails, sur les circonstances de l'assassinat du Chérif qui allait être abattu par une nuit, alors qu'il faisait escale à la forteresse d'Aglalgal lors d'une tournée sur le chemin vers Marrakech, par quatre personnes qui lui avaient prêté allégeance, plus tôt, à Taroudant. Les assassins perfides lui ont coupé la tête et se sont enfouis avec leur «trophée» vers Sijilmassa, puis vers Alger d'où ils ont gagné la Porte Sublime à Istanbul, capitale des Ottomans à l'époque, reprend Houcine Affa, précisant que «c'est bel et bien ici que Mohamed Cheikh Essâdi a été assassiné avant que sa dépouille ne soit transférée, sans tête, à Marrakech pour y être inhumée». Pour M. Affa, auteur d'un livre à paraître prochainement sous le titre «Mesguina, la porte du Souss», ce qui conforte cette thèse n'est autre que la position géographique de cette région du fait que «toutes les caravanes provenant du Sahara chargées d'or et d'autres matières précieuses traversaient la région de Mesguina, l'unique passage à travers les montagnes de l'Atlas à côté de Sijilmassa à l'est». Il relève que cette zone, habitée par les tribus d'Aït Abbas, Aït Takoute et Aït Al Kablat, a été traversée depuis fort longtemps par d'importants flux humains, comme en témoignent les vestiges des Almoravides qu'illustre toujours, à environ mille mètres à vol d'oiseau depuis le fort d'Aglagal, la mosquée de Timezguida Ougard, un lieu de culte entouré d'un impressionnant cimetière sâadien et de deux sépultures curieusement orientée vers le Sud. Pourquoi encore cette orientation ? Mohamed Bayri, un acteur associatif, fait observer, en se basant sur la tradition orale, que cette orientation devrait être perçue en fonction de l'emplacement dévié du mihrab almoravide et qui ne cadre pas avec le mihrab de la mosquée sâadienne. Il note que certains racontent même que les dépouilles étaient inhumées dos au sol et pieds vers la kibla, dans l'espoir de ressusciter, le jour du Jugement dernier, dans cette posture. Faisant peu de cas de cette «interprétation populaire», M. Affa souligne que ce mihrab est ainsi orienté à l'instar de plusieurs mosquées érigées par les Almoravides dans le sud (au moins 11), du fait que ces derniers s'en tenaient au sens apparent d'une tradition prophétique selon laquelle le Prophète Sidna Mohammed aurait répondu à Ses disciples, au moment de la fondation de la mosquée de Médine, que «entre l'est et l'ouest, il y a kibla». De son côté, Haj Abdallah, un des vieux habitants d'Agard, fait observer que le cimetière attenant à cette mosquée représente peu par rapport aux autres cimetières qui s'étendent sur des superficies de plusieurs hectares, du côté droit de la route, tout en déplorant au passage l'abandon et l'oubli auquel ces sites sont soumis ou encore la dégradation qui menace leur cachet historique. A ce propos précisément, Omar Affa, frère de Houcine Affa et professeur d'histoire à la faculté des lettres de Rabat, écrit que Timezguida Ougard se distingue par ses constructions qui diffèrent des habitations locales, du fait qu'elles sont édifiées selon le style architectural sâadien et que certains tombeaux appelés par la population «Tissâadiyine» portent des ornements, contrairement à d'autres tombes plus modestes, ce qui laisse supposer que ces sépultures sont celles de princes sâadiens. Le chercheur poursuit que le cimetière attenant à cette mosquée, la plus ancienne et la plus proche du littoral atlantique vers le port d'Agadir, recevait les dépouilles des moudjahidines tombés au champ d'honneur lors des batailles que menaient les Sâadiens contre les Portugais pour la libération du fort d'Agadir (1505/1541). Il n'en veut pour preuve que le fait que l'immense étendue de ce cimetière est incontestablement disproportionnée par rapport à la population de cette région, sachant que les tribus de Mesguina ne comptaient pas plus d'un millier de foyers (moins de 3000 âmes) à la fin du 19ème siècle. Abondant dans le même sens, Houcine Affa signale que ce nombre impressionnant de tombes à proximité de la forteresse d'Aglaga et du village d'Agard d'où partait l'essentiel des expéditions militaires contre les Portugais, ne peut s'expliquer que par le nombre élevé des morts tombés dans la guerre contre les Portugais et, prosaïquement, dans les batailles que se sont livrées ensuite Mohamed Cheikh et son frère Al Aâraj après la prise d'Agadir en 1541. L'Histoire étant souvent insidieuse et la géographie toujours têtue, le fort d'Aglalgal est, depuis, tombé en ruines hormis quelques vestiges: La population s'est déplacée vers le port d'Agadir. Mais l'école d'Agard n'a pas dérogé, entretemps, à sa mission scientifique puisqu'elle allait continuait à rayonner tout au long de l'époque sâadienne, bien avant la création d'une école similaire au village voisin d'Ighlane au sud-est. Aujourd'hui, l'intendant de l'école d'Agard, Abdallh Ahmaydou, lui-même lauréat de l'école Ighlane, continue d'assurer avec d'autres enseignants la formation d'au moins une trentaine d'élèves provenant de plusieurs régions du Souss, notamment de Chtouka Aït Baha, Haha, Imintanoute et d'Aoulouz, en leur dispensant un programme alliant authenticité du passé et exigences du présent. Considérant la place qui sied à Timezgida Ougard dans le cœur et la mémoire des habitants, nombre de bienfaiteurs, mécènes et acteurs associatifs ne cessent de multiplier les initiatives au profit des pensionnaires de cette école, à travers la construction d'habitat digne et d'équipement en matelas et couvertures et autres commodités pour leur permettre de poursuivre leurs études dans des conditions plus convenables. A une nuance près, précise Khalid Al Ayoud, acteur associatif et professeur d'histoire, «sans minimiser l'importance des opérations engagées, les travaux d'extension en cours ne devraient pas se faire aux dépens d'un monument historique de la valeur de Timezguida Ougard, qui devrait être classé patrimoine national du fait qu'il constitue un des derniers lieux dépositaires de la mémoire collective de Mesguina et partant d'Agadir».