L'appel à la grève générale de 24 heures en Espagne, le 29 mars, est un acte «légitime, juste et indispensable». C'est le mot d'ordre qu'avaient scandé les marcheurs dimanche au centre de Madrid et dans 60 autres villes pour manifester leur rejet de la Réforme du marché du travail, adoptée, jeudi dernier, à une large majorité au Congrès des députés. Cette action appelle à plusieurs lectures mais il en existe une qui est valable, à savoir que les centrales syndicales ont voulu acculer le gouvernement de Mariano Rajoy à la négociation de certains aspects de cette réforme en vue d'améliorer son contenu dans le sens de protéger les droits des travailleurs. D'abord, les syndicats affirment avoir épuisé toutes les voies de négociation avant de décider d'appeler à la grève générale. Ils considèrent qu'un tel débrayage est devenu «inévitable» y compris par le gouvernement. Les syndicats reprochent à l'équipe gouvernementale qu'elle avait adopté une Réforme en pleine destruction du marché de l'emploi qui compte actuellement plus de 5,4 millions de chômeurs au quatrième trimestre de 2011, selon l'Enquête sur la Population Active. La Réforme, estiment les syndicats, a pour objectif de faciliter le licenciement des travailleurs et non «l'encouragement de l'engagement» de nouveaux employés. Ils soutiennent que le gouvernement de Madrid, appuyé par le patronat, agit en appliquant les instructions de l'Union Européenne et obéissant aux mouvements des marchés financiers. L'objectif est de «démanteler» l'Etat du bien-être et le modèle de convivialité qui a surgi durant la transition démocratique en 1978. L'analyse des discours et études des syndicats en relation avec la situation du marché du travail, permet de relever que ladite réforme, adoptée en premier lieu par décret-loi le 19 février dernier par le conseil des ministres, va conduire au licenciement facile et rapide des employés et créer une dualité du marché (avec des contrats indéfinis et temporaires). Lors d'un acte syndical à Madrid, le 24 septembre dernier auquel avaient assisté vingt mille délégués, la centrale Commissions Ouvrières (CC.OO) avait mis en garde contre le fait qu'avec les politiques appliquées (alors par le gouvernement socialiste) et celles annoncées par la droite, les piliers de l'Etat du Bien-être (législation du travail et le modèle social) seraient fortement affectés. Pour le gouvernement de droite, arrivé au pouvoir le 20 novembre dernier, les mesures destinées à restructurer le marché du travail font partie d'un «exercice de responsabilité» pour réduire le déficit public, relancer l'entreprise et reformuler les contrats de travail et la politique de formation professionnelle. Les premières conséquences de l'application de la Réforme du marché du travail sont déjà palpables dans le tissu social. Il s'agit, soutiennent les syndicats, de moins de protection des droits des travailleurs, la détérioration des secteurs de santé et d'éducation, la réduction des rubriques budgétaires destinées aux services sociaux, le recul des droits sociaux et civils et la faillite de l'Etat du bien-être. C'est pour ces raisons, les deux principales centrales syndicales, CC.OO et Union générale des Travailleurs (UGT) ont décidé de recourir à «un des instruments constitutionnels à leur portée, à savoir l'appel à une grève générale». Lors d'une conférence de presse à Madrid, dimanche à l'issue des marches dans 60 villes espagnoles contre ladite Réforme, les leaders des CC.OO et UGT ont signalé que les mobilisations sociales seront «un succès» si les travailleurs obligent le gouvernement à ouvrir des négociations dans le sens de modifier cette réforme. Ils ont accusé les responsables espagnols de vouloir tirer profit de la crise pour provoquer «la régression des droits des travailleurs pour toute la vie», et annoncé qu'il existait des «alternatives» parce que, disent-ils, les coupes budgétaires conduisent «dans une voie dangereuse». Dans des études, rendues publiques et parvenues à Al Bayane, les experts des centrales syndicales soutiennent que la réforme du marché du travail, adoptée « sans dialogue avec les interlocuteurs sociaux », n'est qu'une simple pièce des politiques de réajustement budgétaires promues par les institutions européennes, à l'instigation des gouvernements allemand et français, en vue de satisfaire les exigences des marchés financiers qui spéculent avec les dettes souveraines. Dans ce contexte, il faut rappeler que l'Union Européenne, depuis le deuxième semestre de 2010, avait orienté ses politiques destinées à juguler la crise, exclusivement vers la réduction du déficit public. Elle a ainsi recommandé la réduction des dépenses sociales et la restructuration du marché de l'emploi. En Espagne, ces politiques ont eu comme conséquence, une graduelle dégradation des services publics et des politiques sociales, ce qui, en périodes de crise, ouvre la voie devant la privatisation de certains services publics. C'est pour cette raison que se sont accrues les inégalités sociales, la diminution de la consommation et de demandes de prêts, la chute de l'activité économique et la croissance du chômage des jeunes de près de 50%. Ceci coïncide avec le changement de cycle politique en Espagne, entamé à l'issue des élections municipales et régionales de mai 2011, qui a été couronné par le triomphe à la majorité absolue du parti populaire en novembre dernier et le renforcement du pouvoir du patronat. Au niveau du marché de l'emploi, il est clair que cette situation va faciliter l'assouplissement des mesures de licenciement, réduire les modalités de contrat et augmenter la précarité au marché du travail.