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Edition : L'opinion publique espagnole otage de ses fausses perceptions sur le Maroc
Publié dans Albayane le 05 - 03 - 2012

«España - Marruecos : Heridas sin cicatrizar» (Espagne-Maroc : plaies non cicatrisées) est le titre d'un essai sociologique qui vient de paraitre à Madrid. Ecrit par le journaliste-sociologue marocain, Mohamed Boundi, l'ouvrage décortique le discours des médias espagnols sur le traitement de la question marocaine et explique les causes qui motivent la persistance dans le temps et dans l'imaginaire collectif espagnol d'un ensemble de préjugées, stéréotypes et images déformées de la société marocaine.
L'objectif principal de cet ouvrage (Diwan, 304 pages) est l'étude de la construction de l'image que les médias espagnols communiquent à l'opinion publique en relation avec le Maroc à travers différentes lignes éditoriales et approches idéologiques.
Lors des dernières crises qui avaient secoué les relations entre le Maroc et l'Espagne, un intense débat public eut intervenu sur l'incompatibilité existant entre la philosophie des relations économiques et culturelles, et le néfaste rôle que jouent les moyens de communication dans les deux pays. Cette situation invite à une réflexion sur l'altérité et les résidus du passé qui polluent la mémoire collective en Espagne. Dans la perspective marocaine, le rôle des médias constitue un des facteurs qui rendent difficiles l'entente entre les deux gouvernements et la réussite des tentatives d'amélioration de l'image publique du Maroc en Espagne. La permanente peur d'une potentielle menace, qui pourrait venir du sud, ranime en Espagne les sentiments nationalistes chauffés à blanc pour appeler à tout moment à la défense de l'intérêt national et renforcer les attitudes de rejet, de négation de «l'Autre» et l'antipathie. D'autant plus, le climat d'opinion défavorable au Maroc s'alimente d'un référentiel d'idées préconçues qui agrandit de plus en plus la distance séparant politiquement les deux Etats et renforce la réticence et les vieux stéréotypes et préjugés négatifs des uns sur les autres.
Dans ce contexte, les relations entre le Maroc et l'Espagne semblent être régies par un constant échange de regards croisés chargés parfois d'amour et d'autres de haine. La majorité de ce qui s'écrit dans la presse et ce qui est exprimé par l'opinion publique en Espagne à l'égard du Maroc est dominé par une ignorance quasi-totale sur le royaume et le fonctionnement de ses institutions. De ce fait, le Maroc est souvent décrit comme une nation dont l'économie et la culture sont sous-développées, un courant d'opinion qui est par conséquence peu favorable au rapprochement des deux sociétés.
Les rares études universitaires qui se sont penchées sur le système politique marocain se sont préoccupées uniquement des rapports des élites avec l'administration, la monarchie et les institutions législatives. L'étude de l'image du Maroc dans la presse espagnole pendant les périodes de crise conduit tout chercheur averti et indépendant à analyser les motifs de confrontation durant un siècle et demi (à partir de la guerre de Tétouan en 1859-60) et à s'interroger sur les raisons qui incitent l'opinion publique espagnole à «se préoccuper» pour la stabilité et le futur du Maroc ainsi que sur le particulier intérêt réservé par les médias à tout ce qui affecte ce pays.
Pendant les trente dernières années, sont intervenus entre les deux pays des événements de grande signification historique et géostratégique. Trois moments clés dans les relations perturbées maroco-espagnoles peuvent être retenus comme référence dans les éphémérides politiques au début du 21 ème siècle. Il s'agit de la tension surgie entre les deux gouvernements à cause du phénomène de l'immigration clandestine en été 2001; la crise diplomatique suite au rappel par le Maroc de son ambassadeur à Madrid (octobre 2001-février 2003) et l'incident de l'îlot Toura/Leila (Persil pour les espagnols) en juillet 2002.
Pour pouvoir déterminer les contours de l'image qui se construit du Maroc dans la presse espagnole et des réactions qui surgissent en périodes de crise, l'auteur a dû recourir à un travail d'analyse bibliographique des écrits (marocains, français, américains et espagnols) sur la question marocaine à partir de la deuxième moitié du 19 ème siècle jusqu'à 2011. Cette tâche a été complétée par la lecture de la presse espagnole durant un quart de siècle (1987-2012), de thèses de doctorat, la presse marocaine et des entretiens avec intellectuels et professionnels dans les deux rives du détroit de Gibraltar. Intimement unie à l'image publique et au rôle qu'assume la presse dans la société actuelle, l'élaboration de cet ouvrage avait exigé de l'auteur l'analyse en profondeur des préjugés qui couvent dans la mémoire collective espagnole sur le Maroc et qui, souvent, réapparaissent (et se renforcent) dans les moyens de communication.
Comme cet ouvrage traite de l'image du Maroc en Espagne, il est évident de constater que les stéréotypes, préjugés et perceptions négatives ont eu, dans le passé une incidence sur les relations bilatérales et les conflits militaires, et, actuellement infectent des thèmes sensibles tels l'immigration, l'agriculture, la pêche, les possessions territoriales, la délimitation des espaces maritimes ou le Sahara. Historiquement, les tensions entre les deux Etats ont été récurrentes dans les relations bilatérales et avaient conduit à des conflits armés, une décolonisation graduelle et des appréhensions aux plans économique, territoriale et culturel.
L'auteur soutient, en poussant l'analyse des causes antérieurement citées, qu'il est raisonnable d'admettre que certains moyens de communication espagnols agissent délibérément comme un instrument de perpétuation d'une image négative du Maroc. La presse espagnole exerce, en réalité, le rôle d'intermédiaire privilégié dans les contacts entre les deux Etats, fondamentalement par le fait de publier en abondance des informations, commentaires et monographies sur le royaume. En théorie, les correspondants de presse doivent agir en tant que courroie de transmission de valeurs culturelles et politiques, ce qui finalement aide le lecteur à accéder à une meilleure connaissance du paysage politique, des conditions de vie et des usages et traditions marocains.
Bien qu'il ait une approche sociologique, c'est précisément dans le cadre des relations historiques et diplomatiques que l'ouvrage apporte son grain de sel. Son mérite est de recourir à une analyse empirique de la presse espagnole d'audience nationale dans les moments de crise entre les gouvernements de Rabat et Madrid. Sans cet exercice, il ne serait guère possible de comprendre l'importance des conflits dans les relations bilatérales.
L'étude se divise en quatre chapitres construisant une argumentation commune. Le premier chapitre présente le cadre théorique qui permet de déceler les facteurs qui exercent une incidence sur la construction de la réalité sociale et sur le rôle des moyens de communication de masse. Le deuxième explique la situation de déséquilibre qui a marqué plus d'un siècle et demi l'histoire des relations maroco-espagnoles.
Durant cette étape se sont renforcés les stéréotypes et l'outrage des marocains dans les manuels scolaires, la littérature, la presse, le cinéma et les discours politiques dans l'objectif de dénigrer leur culture et style de vie. Cette attitude se justifie par des résidus historiques, une grande parenthèse de protectorat sur le nord du Maroc et la permanence de clichés datant de plusieurs siècles. La persistance de contentieux insolubles (tel le cas des possessions territoriales dans le nord du Maroc), la recherche d'une solution du conflit du Sahara et les problèmes dérivés des récents contacts directs des populations à travers l'immigration, le tourisme et les investissements rendent souvent difficile l'éradication totale des motifs de tension.
C'est dans ce panorama que se sont construits dans la mémoire collective espagnole les stéréotypes et images négatives sur le Maroc et les marocains.
Au troisième chapitre, l'auteur opte pour l'analyse de contenu des journaux d'audience nationale d'Espagne dans l'objectif de vérifier si ces perceptions négatives ont disparu ou continuent d'être inaltérables dans la presse espagnole, particulièrement dans les moments de crise. Durant les périodes de tension, relève l'auteur, la presse espagnole enregistre un haut niveau de production d'éléments informatifs, interprétatifs et graphiques relatifs au Maroc. L'étude permet ainsi de relever que les thèmes traités sont ceux qui sont abordés durant les quatre dernières décennies: Sahara, pêche, possessions territoriales, immigration, religion, monarchie et système politique. Ce sont également les mêmes questions qui se considèrent comme des foyers de tension pour occuper de larges espaces dans la presse.
Enfin, au quartier et dernier chapitre, l'auteur recourt à d'autres techniques pertinentes de la recherche sociologique et ressources méthodologiques, tels les sondages d'opinion, pour pouvoir aboutir à une idée globale sur les effets de la crise dans les relations bilatérales et le comportement des acteurs sociaux et politiques en Espagne.
Parmi les conclusions auxquelles est parvenue l'étude, l'auteur soutient que le contentieux territorial ravive, plus d'un demi-siècle après la fin du protectorat espagnol sur le nord du Maroc, l'ensemble des relations bilatérales. En dépit des bonnes intentions enregistrées au niveau officiel, les germes de tension et le climat de crispation dominent en permanence les rapports politiques entre Rabat et Madrid. Toutefois, dans le cadre social, la situation est différente et les contacts entre les deux sociétés civiles sont exemplaires. A l'exception de cas isolés (El Ejido et Catalogne par exemple), les rapports de convivialité n'ont pas été infectés par des comportements collectifs racistes ou xénophobes à l'égard des immigrés marocains.
Le mécontentement du gouvernement marocain se justifie par le traitement journalistique tendancieux qui se fait des informations relatives à ses institutions, aux relations commerciales et humaines ou à la question du Sahara. L'analyse de l'actuelle phase que traversent les relations maroco-espagnoles permet de souligner la manifeste volonté des deux parties d'asseoir de solides rapports politiques.
Conscients de la prérogative de favoriser le dialogue et fortifier les échanges entre les sociétés civiles, les médias aussi bien marocains qu'espagnols tentent, dans la nouvelle phase des relations maroco-espagnoles d'atténuer les stéréotypes négatifs et connotations péjoratives. L'étude du rôle des mass media devient ainsi très utile dans le rapprochement de l'opinion publique à la réalité de chacun des deux pays. C'est la raison pour laquelle cet ouvrage, œuvre d'un chercheur marocain, vient remplir un vide dont souffre la bibliographie académique, et pour contribuer à comprendre le contenu de ce qui s'écrit sur le Maroc et comment se présente son système politique aux lecteurs de la presse d'Espagne.


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