Finalement, Mariano Rajoy annonce son intention de se rendre en visite au Maroc comme sa première destination à l'étranger en tant que nouveau président du gouvernement espagnol. La nouvelle a été rendue publique, mercredi, par des sources proches de la présidence du gouvernement et pourra intervenir le 18 courant. D'ailleurs, le ministre délégué aux Affaires Etrangères et à la Coopération, Youssef Amrani, a rencontré le même jour son homologue espagnol, José Manuel Garcia-Margallo, dans un premier contact des diplomates des deux nouveaux gouvernements. Le déplacement de Rajoy au royaume intervient comme un geste rituel dans une tradition non écrite dans les relations de voisinage entre les deux royaumes riverains du Détroit de Gibraltar. Ce geste, qui intervient en début de chaque nouvelle législature en Espagne, comporte une forte charge de symbolisme pour inaugurer une nouvelle étape des relations bilatérales et faire table rase sur les déboires de la précédente. Traditionnellement, les relations entre les deux Etats sont à la merci de tensions perpétuelles comme conséquence de problèmes dits insolubles. Désormais, le Parti Populaire (PP : conservateur) au pouvoir est appelé à remettre les pendules de l'horloge au temps réel des rapports avec le grand voisin au Sud de l'Espagne. De là, interviennent de nombreux éléments qui versent dans la pragmatisme et la suprématie de l'intérêt national. Alors dans l'opposition, le PP se comportait comme un farouche adversaire des intérêts du Maroc. Les causes abondent. D'abord, il y a des explications d'ordre idéologique du fait que le PP est le prolongement de la doctrine conservatrice qui se nourrit d'un passé impérial, de la nostalgie des droits historiques sur le Maroc et la préservation d'une pensée résiduelle portant les germes de la pensée colonialiste surannée. Ensuite, le traumatisme du départ forcé du protectorat sur le Nord du Maroc, en 1956, qui avait fortement marqué le franquisme et ses animateurs. Enfin, la persistance d'un courant conservateur en Espagne qui n'est pas prêt à enterrer les vieux stéréotypes et préjugés considérant le Maroc comme une hypothétique chasse gardée, une pêcherie traditionnelle ou un réservoir de la main d'œuvre bon marché et sans qualification. C'est cet état d'esprit qui envenime les relations entre les sociétés civiles et rend encore plus délicats les rapports entre les gouvernements de Rabat et Madrid. Rajoy, en tant que représentant du courant conservateur (église, patronat, armée et organisations politiques traditionnelles) a la dure mission de purger la mémoire collective espagnole des images négatives sur les Marocains et leur pays.Il est bien au fait des problèmes en suspens entre les deux pays. Il avait assumé un rôle central lors des trois grandes crises qu'ont connues les deux Etats durant le deuxième mandat de José Maria Aznar au pouvoir entre 2000 et 2004. En été 2001, les deux pays avaient, rappelle-t-on, vécu une première crise dite des « patéras » à cause des flux migratoires irréguliers à travers le détroit de Gibraltar. Rajoy avait signé, en juillet,en compagne d'Abbés el Fassi, ministre du travail au gouvernement d'Abderrahmane Yousfi, le premier accord bilatéral sur la régulation de la main d'œuvre entre les deux pays. Cet accord n'a pas eu la chance d'être mis en marche puisque deux mois plus tard a éclaté, en septembre, la crise migratoire avec un violent échange d'accusations entre marocains et espagnols concernant la responsabilité de l'avalanche des embarcations bondées de clandestins sur les côtes sud de l'Espagne. Fin octobre 2001, les deux capitales furent confrontées à une crise diplomatique, la plus aigüe depuis la marche verte avec le rappel sine die par le Maroc de son ambassadeur à Madrid, Abdeslam Baraka. Le gouvernement marocain reprochait à son homologue espagnol le traitement partial et tendancieux de la question du Sahara, l'attitude de la presse espagnole à l'égard de ses institutions, et, la marginalisation de la main d'œuvre marocaine par le patronat qui privilégiait d'autres collectifs (nouvellement arrivés en Espagne) au marché du travail tels les polonais, les bulgares, les roumains et les latino-américains. Sans ambassadeur du Maroc en poste, la spirale de la tension avait monté de plusieurs crans jusqu'à conduire les deux Etats à une crise territoriale à cause de l'incident de l'îlot Toura-Leila (persil pour les espagnols). Encore une fois, Rajoy se trouvait en première ligne alors qu'il assumait la vice-présidence du gouvernement d'Aznar. Le 17 juillet 2002, le même Aznar avait ordonné l'envoi de l'armada espagnole, composée de frégates, sous-marins appuyés par des escadrilles de chasseurs-bombardiers dans le Détroit de Gibraltar pour se poster à quelques centaines de mètres de la côte du Maroc et déloger une dizaine de ses gendarmes qui assuraient la vigilance de l'îlot. C'était des moments cruciaux dans la région avec la menace d'une guerre ouverte. Finalement, l'incident fut résolu grâce à l'intervention de parties tierces sans causer de victimes dans aucun des deux camps. Bien qu'une décennie eut découlé depuis le passage de Rajoy au gouvernement, les relations maroco-espagnoles demeurent marquées par les séquelles des trois crises (migratoire, diplomatique et territoriale). De grands efforts ont été déployés pour assainir les relations politiques. A la surprise de tout observateur averti, la coopération économique et commerciale est restée à l'abri des tensions entre les deux gouvernements. Cette tendance s'est maintenue durant l'étape des socialistes au pouvoir (2004-2011). En témoigne la croissance en nombre de la communauté marocaine installée en Espagne. Elle est actuellement forte, selon les statistiques officielles auxquelles a eu accès Albayane, de 826.870 membres(hausse de 9%par rapport à 2011). De même, 206.849 parmi eux sont affiliés à la Sécurité Sociale (moins de 8.583 affiliés et recul de 4% par rapport à 2010). Toutefois, le collectif marocain compte le plus haut pourcentage de chômage aussi bien en comparaison avec la moyenne nationale que celle des étrangers. Ce sont 225.566 marocains qui cherchent un emploi dont 76.200 bénéficient d'indemnités de chômage, soit 31% du total des étrangers non communautaires se trouvant dans la même situation jusqu'à fin décembre. Concernant les échanges économiques, la visite de Rajoy au Maroc intervient en un moment prospère pour le secteur extérieur de son pays. La balance commerciale est largement favorable aux espagnols jusqu'à octobre dernier grâce à des exportations vers le royaume de 3,453 milliards euros contre des achats d'une valeur de 2,605 milliards euros, soit un excèdent de 848,457 millions euros et une couverture de 132,67% en sa faveur. Bien qu'il soit en-deçà des espoirs du Maroc, le cumul des investissements espagnols au royaume entre 1993 et 2009 a atteint 3,038 milliards euros. Le Maroc souhaite que les investissements espagnols soient réalisés dans des secteurs stratégiques qui contribueraient au développement de la recherche scientifique et technologique de pointe, à la promotion des instruments de production et à l'installation d'unités industrielles générant davantage d'emploi. Ainsi donc, la visite de Rajoy, qui a eu un entretien téléphonique la semaine dernière avec son homologue marocain, vient-elle en bon moment pour donner une impulsion aux investissements espagnols et enterrer les faux calculs qui hypothèquent le futur d'une véritable entente entre les deux capitales. Au plan social, le collectif marocain en Espagne donne chaque jour la preuve de son intégration à la société d'accueil en dépit des moments difficiles qu'il traverse comme conséquence de la crise économique. L'agenda de cette visite sera établi bien entendu dans ce sens. Le reste dépendra de la volonté politique.