Grâce à la publication en abondance de commentaires, souvent durs, la presse espagnole obtient des indices d'audience très hauts lorsque les relations entre le Maroc et l'Espagne traversent des moments de tension. Sa contribution au débat sur la perception qui se fait du système politique marocain et des Marocains, en dépit de la différence des approches de chaque média, est un exercice qui fait partie de la construction de l'image du Maroc dans l'opinion publique en Espagne. Il est judicieux de nous interroger pourquoi la presse espagnole est-elle beaucoup plus généreuse en commentaires, analyses et critiques à l'égard du Maroc et ses institutions pendant les moments difficiles dans les relations entre les deux pays. Quelle attitude adopte-t-elle à l'égard de la communauté marocaine résidant en Espagne lorsque les gouvernements des deux pays sont incapables de surmonter les malentendus d'ordre politique ? Conscients de la prééminence de favoriser le dialogue et fortifier les échanges entre les sociétés civiles, les moyens de communication de masse au Maroc et en Espagne tentent de tempérer les stéréotypes négatifs et les connotations péjoratives dans l'élaboration de leurs chroniques sur chacun des deux pays. Historiquement, la presse écrite a été intimement liée à la politique au Maroc et les véritables causes de son retard à l'égard de son homologue espagnol se justifient surtout par l'absence de puissants groupes d'édition indépendants. Au plan de la couverture journalistique, l'agence officielle, Maghreb arabe Presse (MAP) se distingue par être l'unique media marocain qui dispose de moyens matériels pour assurer, grâce à un réseau de correspondants à Madrid, Barcelone et Las Palmas, la couverture permanente de l'actualité espagnole. A côté, Albayane et Alayam sont les seuls journaux marocains qui disposent de correspondants alors que d'autres journaux bénéficient des services de collaborateurs, tel Almassae. Par contre, l'Espagne compte au Maroc le collectif de correspondants étrangers le plus nombreux. Au plan comparatif des moyens dont disposent les journaux marocains et leurs homologues espagnols, il suffit de dire qu'en 2009, les recettes de l'ensemble de la presse écrite espagnole ont atteint 2,125 milliards d'euros, dont 1,764 milliard d'euros pour la vente d'exemplaires. Les agences de presse Efe, Europa Presse ou Servimedia diffusent quotidiennement un incessant flot d'informations sur le Maroc, devançant parfois l'agence MAP. Le peu de télé journaux présentés à la Télévision Marocaine, l'absence d'une station radio ou d'un canal thématique d'information en continu, similaires à Radio Cinco Todo Noticias, TVE 24 Horas, le bouclage prématuré de la presse écrite offrent une grande opportunité aux médias espagnols d'informer en temps réel de tout ce qu'ils jugent important et urgent au royaume. Les pages Web des journaux espagnols constituent également une source d'information pour les internautes hispanophones marocains pour connaître les derniers développements dans les relations entre le Maroc et l'Espagne et ce qui se passe dans leur propre pays. En général, les quotidiens marocains bouclent au plus tard à 16 :00 et les premiers exemplaires sont distribués à partir de 20:00 alors que les correspondants espagnols continuent dans la rédaction de leurs dernières chroniques jusqu'à des heures très tardives, ce qui permet à leurs journaux de publier, dans l'édition du lendemain, les dernières nouvelles sur le Maroc. Dans ce contexte, il est notoire de signaler les informations qui ont un rapport avec les séances parlementaires qui se déroulent toujours l'après-midi, les dernières activités du roi et du gouvernement, l'échange de toasts en cérémonies officielles, les résumés de la presse locale distribuée le soir, les activités culturelles et sportives, ou les manifestations des diplômés en chômage à Rabat, etc. A titre d'exemple, les médias espagnols furent les premiers à rapporter les premières informations sur le tremblement de terre d'Alhuceima (Nord du Maroc), le 24 février 2004. Au niveau structurel, les causes de ce décalage sont d'ordre éthique, professionnel, technique et de conception de l'information qui s'élabore dans chacun des deux pays. L'agence de presse espagnole Efe (semi - publique), fut, par exemple, le premier média qui avait rapporté la mort du roi Hassan II, le 23 juillet 1999. Des chiffres incomparables L'étude du rôle des médias dans ce sens est très utile pour rendre plus proche l'opinion publique de la réalité de chacun des deux pays. Néanmoins, il existe une différence abyssale quant aux conditions de travail des journalistes et l'environnement juridico professionnel au Maroc et en Espagne. La diffusion de la presse quotidienne en Espagne est 10 fois supérieure à celle du Maroc dont les ventes globales oscillent entre 350.000 et 450.000 exemplaires. Analysant les récentes données de diffusion et d'audience de la presse espagnole, rendues publiques en novembre 2010 par l'Association des Editeurs de Quotidiens Espagnols (AEDE), il ressort que la moyenne espagnole de lecteurs de presse a été de 13.894.000 personnes. L'audience de la presse écrite continue sur sa lancée en 2009 puisque ce sont 21.336.000 lectures enregistrées quotidiennement. Cependant, la diffusion contrôlée par l'OJD a fait état de 3.775.000 millions d'exemplaires vendus par jour. Les six quotidiens d'audience nationale d'information générale (ABC, El Mundo, El Pais, El Periodico, La Razon, Publico) ont un tirage de 1.650.172 exemplaires mais vendent seulement 1.243.209, soit 75,33 du total des exemplaires mis en vente. Cependant, ce volume est quatre fois supérieur aux ventes totales de la diffusion contrôlée par l'OJD Maroc (presse quotidienne, hebdomadaires et mensuels d'information générale et spécialisée tous confondus). Les ventes des cinq importants quotidiens sportifs (As, Marca, Mundo Deportivo, Sport, Super Deporte) s'élève à 692.550 exemplaires sur un tirage de 1.032.608 exemplaires (67,06%). La presse écrite en Espagne se distingue aussi par l'édition de trois grands quotidiens d'information économique (Cinco Dias, Expansion, EL Economista) dont la diffusion s'élève à plus de 100.000 exemplaires distribués entre lundi et samedi. Regard critique Il est légitime de s'interroger sur le traitement qui se fait des événements qui surviennent ou concernent le Maroc, la perception de ce pays dans la production de la presse espagnole. Certaines questions constituent, en outre, l'axe central des chroniques des correspondants de la presse espagnole au Maroc. De cette manière, ils sont constamment signalés dans leur menu du jour toute information ou commentaire élaboré sur les droits humains, le Sahara, le trafic du hachich (cannabis), l'islamisme, l'immigration, la démocratisation des institutions, la transition démocratique et la monarchie. Compte tenu des circonstances particulières, sont publiés également des commentaires portant la signature d'un député, d'un ex-ministre, d'un membre de l'Académie Royale d'Espagne, d'un journaliste – écrivain ou d'un simple collaborateur pour commenter un fait d'actualité en relation avec le Maroc. Les quotidiens d'audience nationale, fermement associés à un bipartisme larvé en Espagne, forment partie à leur tour de groupes de presse et sont dirigés par des professionnels connus pour leurs affinités soit avec le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE) soit avec le Parti Populaire, les deux grands partis politiques qui se disputent traditionnellement le pouvoir. Qui écrivent sur le Maroc en Espagne ? La presse espagnole pullule en périodes de tension avec le Maroc de commentaires et chroniques élaborés par des collaborateurs occasionnels qui écrivent particulièrement dans la presse régionale. Ce sont des économistes, entrepreneurs ou universitaires, une catégorie de collaborateurs bien préparée pour expliquer les relations économiques avec le Maroc, les conséquences de l'immigration ou les gestes de solidarité du mouvement associatif dans la question du Sahara. Leurs analyses se nourrissent de données puisées dans des sources fiables, rapports de conjonctures ou informations de première main. Toutefois, la principale proportion de la production des chroniques publiées est l'œuvre de correspondants installés au Maroc qui, pendant les périodes de tension dans les relations bilatérales, recourent, pour leur part, au commentaire monographique pour expliquer les causes des crises entre les deux pays voisins. Le public de la presse espagnole se constitue principalement de lecteurs intéressés, tels les journalistes marocains, les ambassades du Maroc à Madrid et d'Espagne à Rabat, ainsi que des universitaires, techniciens de la coopération ou chercheurs s'intéressant aux relations maroco-espagnoles. Les relations maroco-espagnoles se distinguent par être constamment à la merci de tensions cycliques. L'épisode de l'îlot de Toura/Laila (Persil), en juillet 2002, pèse encore sur la mémoire collective puisqu'il avait placé les deux pays au bord d'une confrontation militaire. Un dernier incident, provoqué à la suite du délogement du campement de Gdeim Izik, dans la banlieue de Laâyoune, en automne de 2010, a ravivé les tensions dans les relations entre les deux Etats. L'analyse de contenu de trois quotidiens d'audience nationale (El Pais, El Mundo et ABC), du 9 novembre au 8 décembre 2010, a permis de relever la publication d'un total de 823 éléments informatifs, graphiques ou interprétatifs sur le Maroc. En détail, elles ont été publiées 297 chroniques de correspondants, 41 éditoriaux, 105 commentaires signés, 247 photographies, 41 caricatures et graphiques ainsi que 36 entretiens sur des thèmes en rapport avec le Maroc. Uniquement à la Une, ce pays a été cité 56 fois à la « UNE ». Compte tenu de ces chiffres, chacun des trois quotidiens a publié une moyenne de neuf éléments par jour durant un mois, une proportion est très élevée pour informer leurs lecteurs de l'actualité d'un pays étranger. La majorité des informations relatives au Sahara a été, également, insérée dans la rubrique « Espagne » ou « Nationale » comme s'il s'agissait d'une question de l'actualité nationale. Dans ce contexte, la presse assume un rôle primordial dans le suivi des événements qui se déroulent au Maroc, particulièrement au Sahara. Dans l'échelle des valeurs, il ressort de cette analyse, un ton critique dans les éditoriaux, commentaires, chroniques ou caricatures à l'égard des institutions marocaines, particulièrement, les ministres de l'Intérieur et de la Communication – Porte parole du gouvernement. Par contre, durant la période de l'étude, aucune mention ne fut faite au bilan des inondations, accidents de la route au Maroc ou la ligue marocaine de football. Cette fois, ce sont les médias qui furent les protagonistes d'une tension qui avait mis face-à-face les sociétés civiles, les partis politiques et les parlements des deux pays. Les médias espagnols ont pour la première de l'histoire des relations entre les deux pays imposé leur agenda aux gouvernements. La presse espagnole se nourrit, ainsi en période de crise, des frictions entre les gouvernements d'Espagne et du Maroc alors que les tentatives de dépurer les tensions et reproches absorbent la plupart des efforts déployés par les diplomates, la société civile, et les cercles économiques. A la surprise des politiques et en dépit de la situation de tension qui peut être qualifiée d'anormale dans les relations entre deux Etats voisins, l'intégration des immigrés marocains au plan socioprofessionnel en Espagne (plus de 777.000 en situation régulière), les échanges culturels et les efforts que déploie la société civile ont permis de modifier le prisme par lequel sont vus le Maroc et les marocains. La presse dans les deux pays est appelée, à son tour, à assumer sa part de responsabilité pour atténuer les malentendus qui surgissent de temps à autre entre les deux gouvernements.