Cher lecteur, pour traiter ce sujet, je n'irai pas puiser dans la documentation académique ni dans les livres historiques et anthropologiques ni dans les documents des érudits chercheurs scientifiques. Au risque d'écrire un texte prosaïque et terre à terre, je préfère être spontané et sincère et parler de ce que je sais, à partir de ce que j'ai vécu, de ma modeste expérience personnelle. Je vous prie donc, cher lecteur, de ne pas me prendre pour un prétentieux/vaniteux /égoïste/égocentrique imbu de sa personne. Loin de moi toute vanité et tout orgueil. Dieu m'en préserve ! Je suis de nature très modeste et humble et préfère passer inaperçu de peur de déranger les choses et les êtres. Donc, si je choisis la première personne du singulier c'est tout simplement parce que l'approche autobiographique est la plus appropriée pour traiter ce sujet. Je vous saurai gré, cher lecteur, de tolérer ma présence subjective tout au long de ces lignes. Le sujet est peut-être simple, peut-être non. A vous de juger : interpellé, choqué et outré par des propos, des comportements, des dires, des gestes, des témoignages et des actes violents et indécents, insolents et arrogants de la part de quelques soi-disant militants amazighes radicaux, bornés et fanatiques qui nuisent à la cause amazighe croyant la défendre ; je me pose cette question qui peut paraître bizarre : Pourquoi sont-ils chauvins, régionalistes, xénophobes et racistes ? Auparavant, cette question ne se posait pas et n'a jamais effleuré mon esprit. Alors, quel rôle dois-je jouer et quel parti dois-je prendre ? Quelle est ma place dans cet échiquier ? Dois-je la garder et la défendre farouchement ou la changer ? Faisons donc, si vous le permettez, cher lecteur, un petit flash-back digne d'un chef-d'œuvre cinématographique. J'ai passé ma petite enfance dans la ville de Safi où, à ma connaissance, les safiots ne parlent pas le tachelhit. Mes parents me parlaient en darija même si ma mère parlait parfaitement le berbère qu'elle a hérité de sa mère. La marmaille dans la rue, le fquih au m'sid, l'épicier du coin, bref tout le monde s'exprimait en arabe dialectal qui est devenu ma langue maternelle... Pour être le plus proche possible de son village natal et pouvoir veiller plus facilement sur sa mère restée au bled, mon père demanda une mutation et vint s'installer avec sa petite famille à la ville d'Agadir, en 1966, sans craindre que le toit de sa petite maison ne lui tombe sur la tête ! J'avais sept ans et j'étais en première année primaire. Je commençais à découvrir le monde, les choses et les êtres dans cette belle ville balnéaire qui me paraissait si grande et qui commençait à renaître de ses cendres après le terrible tremblement de terre qui l'a complètement détruite en 1960... Nous avons donc grandi ensemble. Accueillante, généreuse, tolérante et hospitalière, Agadir m'adopta et je devins son fils légitime. La ville de la mer et du soleil devint «ma» ville ! Me voilà devenu Gadiri et j'aimais ma ville chaque jour davantage. J'ai passé 47 ans à Agadir et refuse de vivre ailleurs. Comme un poisson hors de l'eau, loin d'Agadir, je meurs ! Je ne l'ai jamais quittée et voudrais y être enterré. Comme un arbre déraciné, loin de ma terre, je meurs ! Pour moi, Agadir est la plus belle ville du monde, tout simplement ! Durant mon enfance et mon adolescence, le parler berbère m'était familier. Je baignais dans son acoustique, son oralité, ses sonorités, sa musique. Je l'entendais, chaque jour, dans la rue. Tous mes amis étaient berbères. Ils parlaient tachelhit entre eux mais communiquaient avec moi en darija ; ce qui m'a rendu fainéant, m'empêchant d'apprendre à parler couramment le berbère. Je comprenais assez bien la langue courante mais j'avais du mal à m'exprimer aisément et bafouillais tout le temps ; ce qui faisait rire mes copains. Pour éviter d'être la risée du quartier, je ne m'aventurais plus à vouloir m'exprimer en tachelhit, me contentant du darija que je manipulais avec plus de fluidité et d'aisance. Par contre, mes amis, plus malins, ont fait l'effort d'apprendre l'arabe dialectal pour être communicatifs socialement. Le meilleur exemple ne peut être que celui de mon ami d'enfance Aziz Elfarouki que Dieu ait son âme en sa sainte miséricorde ! Je l'ai évoqué dans ma nouvelle «Brahim l'instituteur de campagne». Vous faire lire ce passage, cher lecteur, est un pur plaisir. Je vous certifie la véracité de cette anecdote : «...Cela me rappelle un ami d'enfance, venu à la ville directement de son village natal où personne ne comprenait un traître mot d'arabe dialectal. Il est entré à l'école où il a commencé à apprendre l'arabe classique. Et quand il sortait, le soir, jouer avec les enfants du quartier, il ne savait quoi leur dire. Voulant à tout prix communiquer avec ses semblables qui les prenaient pour extra-terrestre, il leur récitait le seul poème qu'il avait appris par cœur en classe, en arabe classique : «Mère pigeon dit à ses petits : Ne sortez pas, ne sortez pas !..» Sacré Aziz ! Nous sommes restés des amis fidèles jusqu'au dernier jour de sa vie et jamais une fois, une seule fois, il ne m'a fait sentir la moindre aversion pour les arabophones. Au contraire, il estimait tout le monde et respectait la différence et à la singularité de chacun. Repose en paix, Aziz! A l'époque, personne ne connaissait ce mot «Langue amazighe» et personne ne soupçonnait l'existence d'un alphabet appelé joliment «tifinagh». Les habitants d'Agadir ne disaient ni «Azul» ni «Tanmirt». Dans ma ville, il y avait des berbérophones et des arabophones et Agadir les acceptait tous sans distinction aucune et sans favoritisme chauvin. En plein essor économique, la ville attirait beaucoup de gens, venus de toutes les régions du Maroc chercher le travail, la richesse et la prospérité. Et tout ce cocktail humain cohabitait en paix et en parfaite harmonie. Chacun parlait sa langue maternelle, chacun avait son accent particulier sans que cela ne choque le voisin. Agadir était le symbole de la cohabitation pacifique et tolérante par excellence. Agadir était un Maroc miniature dont la différence fait la richesse. Il y avait même des juifs et des chrétiens qui vivaient parmi nous en toute sécurité et qui aimaient leur ville à la folie. Agadir était notre ville à tous !... Ce n'est qu'après, longtemps après... (comme a dit Jacques Brel). Donc, je vivais mon enfance de manière tout à fait normale, dans une délicieuse insouciance, comme tous les bambins de mon quartier populaire sans jamais sentir ou remarquer que l'on me rejetait pour la simple raison que je n'étais pas berbère ou que l'on me reprochait le fait de ne pas parler le tachelhit. Cela n'était nullement un handicap ou un manque et ne représentait aucun complexe d'infériorité... Ce n'est qu'après, longtemps après... Je passais toutes mes vacances estivales au village de mes origines paysannes dans la région de Taroudant. Une petite précision géographique et ethnique s'impose : notre petit bled est situé au pied de la montagne et ses habitants sont arabophones. Et tout près, il y a le village de «nos oncles les berbères». Nous les appelons «oncles» en raison des liens matrimoniaux entre nos deux villages : nos jeunes ont l'habitude de se marier avec leurs filles et eux se marient avec les nôtres. Alors, presque toutes les mères de notre village sont berbères et les villageois voisins sont nos oncles maternels. Moi par exemple, mes deux grand-mères étaient berbères de la tête au pied, et fières de l'être ! Je les adorais et les vénérais. Elles m'ont toujours couvert de leur tendresse et de leur douceur, de leur amour et de leur chaleur et ne n'ont jamais reproché de ne pas parler leur langue. J'étais leur petit-fils et elles m'aimaient, un point c'est tout ! Si je ne comprenais pas quelque chose, elles me l'expliquaient en arabe et tout allait à merveille. Ma cousine Fadma me parlait en Darija et parlait en berbère avec son agnelle. Quelle merveille ! Mes souvenirs d'enfance étaient extraordinaires et merveilleux. J'aimais passer l'été chez «mes oncles les berbères» en compagnie de ma grand-mère maternelle, au village du célèbre chanteur amazighe Amouri M'bark. Tout le monde était sympathique, avenant, généreux et hospitalier avec le petit neveu citadin que j'étais. Toutes les portes m'étaient ouvertes. La langue ne représentait aucun écueil, aucun obstacle à la communication, à l'entente, aux relations familiales et humaines... ce n'est qu'après, longtemps après... Plusieurs années plus tard, on a commencé à entendre parler de la langue amazighe, de la culture, du patrimoine, de l'art, de l'histoire et de la civilisation amazighe. Tout se résumait en un mot «la cause amazighe». De façon spontanée et sans hésitation aucune, sans même réfléchir, je suis devenu fidèle à cette cause parce qu'elle est juste et légitime, c'est tout ! Comme tous les humains, les Amazighs ont le droit d'avoir leur langue, leur culture, leur identité qui doivent être admis, respectés, encouragés et reconnus légalement et institutionnellement car ils font partie intégrante de l'identité nationale et de la richesse ethnique du peuple marocain. L'amazighité concerne tous les Marocains car elle représente leur civilisation millénaire, leur héritage ancestral, leur essence même ! Tous les Marocains doivent être des militants amazighs... Sans hésiter donc, j'ai fait tout ce que j'ai pu pour participer à cette lutte et à cette cause légitime. J'étais membre de l'association Anouar Souss pour la culture et l'art. Durant les années quatre-vingts, j'ai participé à l'organisation, au mois de Ramadan, des «Journées du film amazigh» qui avaient un succès populaire hors pair. Notre association était pionnière dans ce genre d'activités artistiques et culturelles... Ensuite, je me suis intéressé au théâtre en amazigh : j'ai mis en scène la célèbre pièce de Samuel Becket «En attendant Godot», traduite en langue amazighe, pour la première fois dans l'histoire, par mon ami et complice le poète amazighe Mohamed Ouagrar. Cette pièce a eu un succès fracassant et a prouvé à ceux qui cherchaient des preuves que le théâtre amazigh est capable de traiter des thèmes universels. La réussite de la pièce a été couronnée par plusieurs prix, surtout celui de l'IRCAM... Vous ne pouvez pas imaginer, cher lecteur, ma joie et mon bonheur à la fin de la première présentation à l'IFA quand j'ai dit fièrement : «Enfin, l'Institut Français d'Agadir a parlé en amazige !» Mon aventure théâtrale en amazigh a continué de plus belle et j'ai mis en scène «Ussan n'Tmuzgha», traduction de Mohamed Ouagrar de la pièce «Les Jours de gloire» de Youssef Fadel. Subventionnée par le ministère de la Culture, cette pièce a eu la chance d'être présentée plusieurs fois lors d'une tournée théâtrale dans les villes et les villages du Sud... La troisième pièce que j'ai mise en scène était écrite par l'humoriste amazigh Rachid Aslal et intitulée «Taghamin Umksa» (Les parts du berger)... Et la suite viendra sûrement. J'ai aussi fait connaître la poésie amazighe moderne aux lecteurs francophones en traduisant quelques poèmes de Mohamed Ouagrar et de la poétesse Sanae Zahid. J'ai chanté la gloire, la beauté et la magnificence du Sud. Plusieurs de mes poèmes évoquent mon attachement et mon engouement, mon amour et ma passion pour la terre, les gens et la vie, pour ma source et mes racines ; celles du fils du Sud ! J'ai passé de longues heures à discuter avec des interlocuteurs virtuels sur des sites Internet amazighs, m'évertuant à calmer les plus virulents, à convaincre les plus réticents et à encourager les plus hésitants. J'étais surtout membre d'un certain site en compagnie de Mohamed Farid Zelhoud et de Mohamed Ouagrar. J'ai travaillé sérieusement et œuvré de toutes mes forces à l'épanouissement de ce site. Et quelle était ma récompense ? J'étais chassé, banni, honni et expulsé du site. Pour quelles raisons ? Demandez aux responsables du site ! Ai-je perdu vainement mon temps, mon énergie, ma substance grise et ma réflexion ? Ai-je combattu des moulins à vent ? Que sais-je ? Le seul avantage concret était le fait d'avoir fait la connaissance du poète et artiste amazigh Mohamed Farid Zalhoud encore fidèle à notre amitié jusqu'à présent. Je te salue, fils digne de l'arganier et de la montagne fière... le reste compte peu à mes yeux : j'ai souvent arrosé le sable pour récolter le vent ! J'ai participé à d'innombrables manifestations, festivals, rencontres, conférences, débats culturels et artistiques amazighs. J'ai applaudi et encouragé, félicité et salué les artistes, les poètes, les auteurs, les traducteurs, les acteurs, les chanteurs, les intellectuels, les chercheurs et les militants amazighes dont plusieurs sont des amis intimes sans citer de noms de peur d'en oublier quelques-uns... Bref, la cause amazighe était mienne et j'étais sûr et certain de l'importance historique de ce mouvement et des changements socioculturels qui en résulteront. Pour moi, c'était une responsabilité et un devoir que je devais accomplir sans rien attendre en échange... Hélas, malgré tout ce que j'ai accompli, j'ai le sentiment d'être considéré comme un étranger, un intrus, un imposteur, une persona non grata, de la part de quelques soi-disant militants amazighes, uniquement parce que je ne parle pas en amazighe ! Je me sens rejeté, refusé, non admis malgré tout ce que j'ai fait. Quelle ingratitude ! Cette attitude chauvine et vile me révolte, me scandalise et me met en rogne. Permettez-moi, cher lecteur, de vous raconter deux petites anecdotes en guise de conclusion et comme exemples flagrants de ce genre de comportement ignoble et bas qui me révolte. Première anecdote : notre troupe de théâtre «Assay n'Imal» a présenté sa pièce «En attendant Godot» dans la ville de Tiznit. Après le spectacle, un jeune correspondant de presse est venu faire un reportage pour son journal. Il a interviewé les membres de la troupe sauf moi. Pourtant, j'étais le metteur en scène et, normalement, je devais être le premier à être interviewé. Pour la simple raison que je ne parle pas amazigh (sous-entendu: je suis arabe), il a jugé bon de ne pas me demander mon avis, préférant m'ignorer comme si cette pièce était mise en scène toute seule ! C'était plus absurde que l'Absurde de Godot ! Comment qualifiez-vous, cher lecteur, ce comportement ? Deuxième anecdote : un soir, le frère aîné d'un ami intime m'a fait cet aveu blessant: «Je ne sais comment tu as réussi à embobiner mon frère pour qu'il t'estime de la sorte ! Moi, tu ne m'auras pas. Moi, je te déteste! - Mais pourquoi ? Je ne t'ai jamais rien fait de mal! - Pour rien. Je te déteste parce que tu es un Arabe et moi je hais les arabes!» Je suis resté coi et pantois!... Et vous, cher lecteur, vous en dites quoi ? Plusieurs incidents pareils à celui-là : comportements, cachotteries, regards hautains, chuchotements, clins d'œil, rires moqueurs, propos impolis frôlant l'indécence, me poussent à douter et à me poser ces questions. La cause amazighe est-elle une arène, un terrain de chasse réservé, une propriété privée uniquement pour ceux et celles qui parlent berbère ? Les arabophones n'ont-ils pas le droit de participer à cette cause ? Qui mérite le titre de «militant amazigh» ? Une personne qui ne parle pas amazigh et qui fait ce que j'ai fait pour la cause amazighe ou un jeune fanatique hystérique brandissant le drapeau amazigh lors d'un match du Hassania d'Agadir en hurlant à s'époumoner : « Imazighènes ! Imazighènes ! » ? Et moi, quelle est ma place dans cet échiquier ? Suis-je amazigh ? Suis-je arabe ? Suis-je métis ? Qui suis-je ? Question existentielle qui mérite méditation ! Suis-je un militant amazigh ou un simple sympathisant ? Dois-je continuer à militer (à ma façon) pour la cause et la langue amazighe que j'ai héritée de mes grand-mères (simples bergères, reines berbères, dignes et fières) ou aller manifester pour la libération du peuple du Népal ? J'espère que les intellectuels, les critiques, les chercheurs et les militants amazighes auront le temps de répondre à ma question... A bon entendeur...